Lettre à Emmanuel Mousset :
« Ce qui est frappant à la lecture de ton blog et de ton livre, c’est à
quel point tu sembles aimer les gens. La puissance de ton engagement militant
et de ton implication dans ta carrière te vient sans doute de cette simplicité,
de ce contact franc et sécure avec les gens, bref de cet amour et curiosité
pour les autres. C’est ce qui explique la force de ton désir de réussir. Pourtant
quand nous faisions nos études de philosophie je ne conserve pas le souvenir d’une
telle affection pour les autres étudiants. Mais je crois avoir compris le
problème. A la fac nous étions entourés principalement de jeunes bourgeois et
petit-bourgeois, tu ne te sentais pas à l’aise. J’ai cru comprendre que tu as
été élevé par ta mère, elle-même issue d’un milieu très populaire voire
défavorisé. Mais comme dirait Cyrulnik, je pense qu’elle t’a apporté un
attachement sécure, et naturellement dans un milieu populaire on est plus
solidaire on se serre les coudes, ce qui explique peut-être ton amour naturel
ou au moins ta simplicité au contact des gens, et la force de ton engagement même
si il est illusoire (illusion qui est propre à tout engagement, que nous
croyons sincère, basé sur des principes, alors qu’il ne dépend que de la force
de notre désir). Nous autres bourgeois et petit-bourgeois nous avons été élevés
dans l’amour-propre, dans la comparaison et la jalousie envers les autres
bourgeois et petit-bourgeois, les gens du peuple sont méprisés, nous ne nous
comparons pas à eux, ils n’existent pas, peut-être était-ce un peu ce que tu
ressentais à la fac. Pour ma part je suis issu d’un milieu petit-bourgeois,
mais mon père est un pervers (narcissique) et ma mère ne m’a apporté aucun
attachement sécure à cause d’un vide affectif d’une indifférence et d’un égoïsme
qui lui est consubstantiel. Pour le dire vite et bien, ma mère ne m’a jamais
aimé et ne m’aimera jamais. D’ailleurs elle ne sait pas aimer, elle ne sait qu’admirer
et envier beaucoup les gens brillants qui appartiennent généralement à une
bourgeoisie cultivée qui la fascine. Pour ma part je suis médiocre, comment
pourrais-je intéresser ma mère ? Elle-même est issue d’un milieu très
populaire et rural et joue les bourgeoises cool et bobo, origines qu’elle
cherche à tout prix à camoufler, je suis ce qui la trahi, voilà pourquoi elle a
toujours cherché à me cacher aux yeux de ses amis car elle avait honte de moi,
je lui rappelais ses propres origines. Je souffre donc d’un attachement
insécure, qui m’empêche de me développer dans quelque domaine que ce soit, qui
me fait être dépressif et anxieux. En plus je suis le dernier des
petit-bourgeois, car ma mère m’a toujours dévalorisé en me comparant à mes
petits camarades qui étaient toujours mieux que moi, normal, c’était les
enfants de vrais bourgeois, eux !
Quant à toi, je t’ai vu sur une photo avec Comte-Sponville. Félicitations,
tu sembles bien épanoui, peut-être plus que lui, il faut dire que tu es un
homme du peuple, simple, alors que lui aussi a dû souffrir de la solitude de l’amour-propre
et de la comparaison que ressens tout bourgeois ou petit-bourgeois ; même
si il était le premier, cela n’empêche pas la solitude.»