samedi 17 septembre 2022

Godard avait-il le droit (moral) de se suicider ?

Même Godard a choisi le suicide médicalement assisté, alors qu'il n'était pas malade, juste épuisé mais sain de corps et d'esprit. Alors pourquoi ne pas descendre cet âge pour des gens sains à 80 ans, puis 70, 60, 50, 40, 30, 20 ans ? Sains mais ratés de l'existence, victimes de leur famille ou de la société, j'en passe et des meilleurs et que sais-je encore ! Dieu sait qu'ils sont nombreux et ont conscience de leur "inutilité" en ce bas monde. Lorsque la souffrance est intolérable pour x ou y raison, le droit au suicide médicalement assisté devrait être un droit de l'Homme universel et gratuit comme l'École, et non réservé à quelques millionnaires ou people en Suisse. La société doit se regarder en face et assumer la mort de Dieu, la fin du jugement de Dieu, son idéal de jouissance exacerbé, sans entraves ni limites, post soixante-huitard que le néolibéralisme a pleinement repris à son compte - sauf qu'il n'y a que les pervers en réalité qui arrivent encore à jouir dans une société aussi fondamentalement corrompue et nocive. Je m'explique :

On a confondu épanouissement personnel ou collectif, plaisir, joie, bonheur, et jouissance privée. Car la jouissance est privée en réalité, plus que jamais, comme la propriété. Et qui dit jouissance privée pour une minorité dit aussi privé de jouissance pour la majorité. Ce qui fait la jouissance est qu'elle ne se partage pas à la différence du plaisir, de la joie, ou du bonheur encore plus rare. On jouit en réalité de son égoïsme voire du malheur de l'autre, sinon on ne jouit pas. La jouissance est en réalité une émotion égoïste et prédatrice fondée sur la jalousie et l'envie, la rivalité mimétique, que notre société moderne peuplée de pervers narcissiques de différents calibres porte en étendard. La jouissance est le propre du pervers. La plupart, pervers narcissiques de petit calibre ou simples jouisseurs inoffensifs, en sont largement privés, restent pour toujours frustrés, car elle est pleinement réservée aux élites qui en ont les moyens - juste récompense d'une enfance studieuse donc choyée et d'une carrière fondée sur le mérite ? Il y a un fil conducteur de Mandeville dès le début du XVIIIème siècle, premier théoricien du libéralisme moderne, à aujourd'hui. C'est écrit noir sur blanc dans La fable des abeilles : pour que la société s'enrichisse il faut que le pouvoir économique revienne aux pires des Hommes, c'est-à-dire aux pervers, ceux pour qui la loi est nécessaire mais uniquement pour les autres. Et tout l'édifice social en régime néolibéral repose sur le pouvoir économique, non plus sur la religion, ni même la morale, ni même encore le savoir et la culture. C'est ce qu'on appelle le libéralisme d'une société qui se libéralise chaque jour toujours plus.

Stop à l'hypocrisie, il y a des gens que la société vomit, qu'elle ne peut absolument pas supporter, qui sont intolérables. Non parce qu'ils sont ignorants ou immoraux, mais victimes, ce sont les mauvais coucheurs qui ne demandent qu'à disparaître. Ce ne sont évidemment pas les pervers, ils sont immoraux et leur propre nature est de générer des victimes, ils sont pleinement adaptés au monde moderne et admirés comme c'est leur souhait le plus cher, généralement millionnaires voire milliardaires, au moins people ou psychologues. Alors que la société assume pleinement ses responsabilités plutôt que de continuer à surveiller et punir, à humilier les plus fragiles, les "inutiles", les démunis, pour son plaisir sadique en réalité. En les faisant sursauter à coups de tirs de revolver au milieu des pieds, pour qu'ils dansent une gigue endiablée. Et c'est le pervers qui tient le manche, car lui seul échappe toujours aux fourches caudines de la loi, voire devient lui-même magistrat pour le plaisir de punir, donc de faire du mal, dans cette grande comédie tragi-comique qu'est la vie en société. Tandis que la foule frustrée donc cruelle, se réjouit de voir punies des victimes encore plus profondes qu'elle ne l'est elle-même.

Celui qui est puni une fois adulte fut très généralement une victime dans son enfance, ou alors paie les fautes de ses parents, voire de ses ancêtres ou de son peuple tout entier. Et Dieu sait combien la génération des baby-boomers fut fautive à plus d'un titre ! Plutôt la mort que la souillure ! Pour une victime, seule la mort permet d'échapper au châtiment terrible que constitue la vie, le seul moyen de s'en affranchir - si on a l'âme religieuse on pourrait presque penser qu'un tel châtiment ne peut provenir que d'une vie antérieure fautive. C'est cependant paradoxalement toujours l'amour de la vie, l'amour d'une vie meilleure, qui fait que l'on se suicide. Dans un monde néolibéral fondamentalement injuste et pourri, et cependant très riche matériellement car peuplé de jouisseurs égoïstes "créateurs de richesse" - mais sans doute en a-t-il toujours été ainsi à toutes les époques pour le monde pourri et de diverses manières (car il n'y a rien à espérer de l'espèce humaine) ; la mort devrait être en libre accès, comme les capotes, la pilule ou l'avortement. Après tout ces derniers exemples sont aussi des moyens de s'affranchir de la vie, en ne la donnant pas ou en supprimant des fœtus déjà très bien développés qui très certainement ressentent la douleur. Et pour la femme dont on a déifié les droits en Occident, de s'affranchir de l'homme définitivement.

Quand le dernier tabou sera enfin levé (et il sera levé), comme la logique du marché le veut, celui du libre accès à la mort, alors on pourra véritablement dire comme Artaud que l'on en a fini avec le jugement de Dieu. Comme le disait Sade (mais pas encore en langue inclusive) : Français.se.s, encore un effort si vous voulez être républicain.ne.s !