Personnellement je me suis décomposé en un jour, en un
instant. Je n'ai même pas eu le temps d'avoir mon heure de gloire. Si j'ai
peut-être eu un petit instant de gloire. Ma vie c'est trois semaine de paradis
et tout le reste de purgatoire voire d'enfer dans les pires moments. Je ne suis
même pas un "artiste people" warhollien qui aurait eu quelques jours
de célébrité. Ma vie est triste à en pleurer, comme celle de millions
d'anonymes. Je n'ai plus qu'à être un obscur tâcheron qui comme des millions
d'anonymes mise tout sur ses enfants, sans leur mettre je l'espère aucune
pression à la réussite. Il est vrai que pour moi la réussite fut un enjeu
capital, car sans elle je n'ai même pas la reconnaissance de ma mère, et je ne
me suis pas vengé de mon père. Echec sur toute la ligne.
Maintenant la seule question qui se pose pour moi est : y
a-t-il un sens à une telle déroute ? J'essaie de comprendre, j'espère même
quelquefois que la mort sera une forme de salut, de réconciliation, même si
plus personne n'y croit, et moi non plus. Je n'ai aucune croyance religieuse et
comme tous mes pairs je pense que l'on trouve le salut ici-bas. D'où une
angoisse de la vieillesse, un culte de la jeunesse, le sentiment qu'après 40
ans on est vraiment très très vieux, et que tout est très rapidement foutu, pas
de sérénité donc. Je vis par procuration avec quelques idoles comme Pasolini ou
Houellebecq, ou même Philip K. Dick, quand j'étais plus jeune Céline, qui eux
ont vaincu la fatalité et qui s'approchent au plus près de la vérité sans se brûler
les ailes ; ou qui si ils se les brûlent ont vécu ou vivent encore avec une
telle intensité que leur vie en aura valu la peine.
Mes enfants me vengeront-ils et parviendront-ils à la notoriété
ou au moins à la réussite ? Mais pas une réussite par l'argent, mais une
réussite par l'argent avec comme cerise sur le gâteau par l'argent et par
l'art. Pour que pour eux l'interprétation, la représentation puisse l'emporter
sur les seuls faits, sur la seule volonté à l'œuvre dans la nature, pour qu'ils
puissent prendre leur envol, en se détachant de la tristesse du réel. Leurs
chances de réussite ? Une sur des millions. Finalement j'ai été égoïste en
faisant des enfants, je ne pensais encore et toujours qu'à moi-même.