dimanche 24 avril 2022

Nous sommes tous en danger !

 


Mais n'oublions pas ces deux grands philosophes du soupçon que sont Schopenhauer et Nietzsche, penseurs de l'absurde, le premier en en tirant une philosophie pessimiste, figée dans son absence d'issue, comme le personnage misanthrope qu'il était, préférant à la compagnie des Hommes celle des chiens plus nobles. Le second en faisant la source d'une philosophie du foisonnement interprétatif aux mille lignes de fuite deleuziennes, en tout cas reprises par ce dernier. Ces deux-là, les deux premiers évoqués, ont grandement influencé Freud qui en a tiré un business lucratif, indémodable, comme le montre la série actuellement en vogue sur Arte. Et n'oublions pas non plus le plus grand penseur de la technique qu'est Heidegger, qui nous éclaire tant sur le temps présent qu'il a défini en concepts, mais qui est là, ce monde de la technique, devant nous comme le nez au milieu de la figure, d'une effroyable évidence dans toute sa laideur esthétique et sa violence intrinsèque, inévitable comme un destin ! Comme le disait Arendt, le progrès se fait derrière le dos des Hommes en chair et en os.

Quant à la matière et l'esprit, nulle prééminence de l'un(e) sur l'autre. L’Occident avance par destruction créatrice, là où les sagesses orientales sont soucieuses de respecter l'équilibre entre les contraires : jeunes/vieux, femmes/hommes, riches/pauvres, modernité/traditions, beau/laid, famille/individu, matière/esprit... La culture de l'Occident en est une du conflit permanent, du remplacement sans fin de l'ancien par la nouveauté. Celle de l'Orient qui va heureusement nous supplanter, en est une du compromis, de l'accumulation des couches successives sans en détruire une seule. Car seulement le conflit résolu permet d'accéder à la sérénité... Tout le contraire du néolibéralisme et de la modernité occidentale... et de toute sa philosophie depuis ses origines grecques en général !

Il n'y a jamais eu de sagesse en Occident, le terme de "philosophie" est lui-même une forme d'escroquerie intellectuelle, il y a juste de l'intellectualisme, c'est-à-dire de la spéculation intellectuelle. À cet égard la pensée de Comte-Sponville, qui tente de faire le lien entre sa pensée avec une forme de sagesse zen, voire l'expérience mystique, présente un certain intérêt, pour y trouver une forme de consolation par temps de crise perpétuelle, à la manière d'un Schopenhauer qui lui la trouvait exclusivement dans l'art. On pourrait juste rajouter que la crise actuelle, perpétuelle et exacerbée, est causée par le capitalisme, générateur depuis ses origines de soubresauts en cascades. Le capitalisme est l'anti-sagesse par excellence, une machine à produire du malheur, de la misère, des guerres en séries, du conflit entre les contraires. Quand on pense que des libéraux (souvent d'origine anglo-saxonne et obsédés par l'argent) qui s'autoproclamaient au sens propre, "philosophes", donc amoureux de la sagesse, sont à l'origine de ce merdier sans fond ! Ce qu'il y a eu de plus mauvais dans toute l'histoire de la philosophie (surtout Mandeville et Smith !), semble malheureusement l'avoir emporté haut la main pour régenter notre présent...

Ça me fait penser à Salamé demandant à Macron, "croyez-vous en les forces de l'esprit ?", et ce dernier après avoir affirmé qu'il préférait Hugo à Céline (évidemment enfin !) dans un bel esprit de consensus... de répondre "oui". Cela m'a laissé rêveur ! Il coche vraiment toutes les cases du politiquement correct le plus caricatural. Tout dans sa manière d'être suinte la bobo attitude la plus triviale. Le choix par Salamé de ces deux écrivains emblématiques ne devait évidemment rien au hasard, elle lui servait sur un plateau l'occasion d'exprimer son progressisme. Mais s'était-il seulement imprégné d'Hugo et de Céline suffisamment pour les sentir, en avait-il eu le temps et les moyens, voire l'intérêt, et fallait-il les opposer comme deux conceptions diamétralement antagonistes, l'une noble et l'autre crapuleuse ? Personnellement je ne le pense pas. C'est peut-être la même vision, le même esprit, mais à deux moments diamétralement opposés de notre Histoire, l'un empli d'espoir dans le progrès, l'autre désenchanté par son résultat... La guerre, bref toute l'horreur décuplée par l'action de la technique (donc du progrès) dont peut être capable l'humanité, étant passée par là... Macron indécrottable progressiste ? Non vraiment il n'a rien compris au film !

Seulement voilà, le progressisme de Macron est de nature violente et intrusive, autoritaire, et le personnage est bien plus inquiétant que Le Pen, comme l'a montré d'ailleurs le débat. C'est certain que ça a de quoi déboussoler sérieusement... Surtout la génération des baby-boomers, sympa au demeurant, pour qui tout fut bien plus facile et qui vote très massivement Macron !

La plupart des petits villages ne sont surtout plus que l'ombre d'eux-mêmes, ils ont perdu leur âme, ce qui faisait qu'ils étaient vivants. Les gens y formaient une communauté qui a disparu. Chacun désormais chez soi dans son petit confort. Plus du tout ou alors très peu de valeurs pour réunir. Je crois vraiment que c'est ce que Heidegger appelle oubli de l'être. Pour moi cela se ressent de manière intuitive, c'est comme le nez au milieu de la figure, il n'y a même pas besoin de culture livresque pour l'éprouver dans sa chair, pour avoir vécu ses derniers soubresauts de vie à travers mes grands-parents ruraux qui parlaient breton, dans un village que d'aucuns traiteraient de trou du cul du monde et qui m'apparaissait comme le centre du monde. Comme le disait Pasolini dans sa dernière interview de mémoire : "Nous sommes en grand danger !"

Et encore ! Le pauvre Pasolini n'avait pas connu la fibre et le smartphone ! qui font que même devant sa télé on est désormais pollué par Facebook et autres réseaux sociaux, car le smartphone, une extension de notre psyché puisque la fonction crée l'organe, est une drogue encore bien plus addictive que l'écran TV, se superposant à lui...

"Ne vous faites pas d’illusions. Et vous, avec vos écoles, avec votre télévision, avec vos journaux bien tranquilles, vous êtes les grands conservateurs d’un ordre horrible fondé sur la possession et sur la destruction. Soyez heureux, vous qui n’êtes contents que lorsque vous pouvez coller une étiquette sur un crime. À mes yeux, ce n’est là qu’une des nombreuses opérations de la culture de masse : ne pouvant empêcher certains événements, on trouve la paix en fabricant des tiroirs sur mesure que l’on referme aussitôt." P. P. Pasolini. Autrement dit difficile d'adhérer à l'indignation lorsqu'elle est collective, hallucinatoire et quasi sur commande ? On notera que l'École elle-même selon Pasolini, loin d'être un outil d'émancipation (la geste hugolienne) est devenue un moyen qui participe de la grande aliénation collective. La guerre est universellement laide au-delà de tout esprit partial des bons et des méchants (image renvoyée par la télévision mainstream et la philosophie de comptoir dispensée par des professionnels patentés), et par-delà toutes les raisons et les processus complexes qui l'ont déclenchée pouvant l'expliquer sans nullement jamais pouvoir la justifier - tout comme toute forme de violence gratuite ou de terrorisme aveugle.

Mais que dire des "Petits prêtres, bourgeois imbéciles" manichéens qui nous enjoignent à condamner inconditionnellement sans comprendre ? Car expliquer ce serait un début de commencement de justification, donc d'excuse, ce serait mettre sur le même plan le bourreau et la victime en faisant du bourreau une victime. In fine rendant impossible la distinction du bien et du mal, ce dont ont tant besoin les "Petits prêtres, bourgeois imbéciles" pour avoir une emprise sur leurs ouailles.


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