Moi : "Tu as "noté" un de tes intervenants sur ton blog
en disant que c'était "assez bien". Ça me rappelle quand Chédin nous
demandait de noter, nous autres élèves en philosophie, d'autres élèves qui
faisaient un exposé oral sur une notion philosophique, assez
"masochistes" pour accepter de s'exposer au verdict de leurs
condisciples. Le plus "cruel" était systématiquement notre ami
philosophe Emmanuel Mousset qui mettait généralement comme note "0",
quant à moi paralysé par la terreur que représentait cet exercice de
tauromachie philosophique, je n'osais dire une note qu'avec une voix tremblante
et atone et Chédin me considérait avec une moue de mépris comme si je
n'existais pas. Bon je vois que notre ami philosophe a fait des progrès, il
consent à dire "assez" bien."
Emmanuel Mousset : "Je me souviens de l'exercice, pas
de mes zéros. Cette note ne me ressemble pas. La cruauté consiste à mettre un,
deux ou trois. Zéro, c'est le néant absolu : il faut du génie, de
l'inconscience ou de la perversité pour avoir zéro. La médiocrité est pire que
la nullité. C'est pourquoi j'accorde facilement quelques points, mais pas trop,
et jamais zéro. Quelqu'un qui a zéro peut se vanter de son exploit ; celui qui
a deux ou trois taira son piteux résultat."
Moi : "On est donc bien d'accord sur une chose : tu es
cruel, ce qui serait un élément d'explication de ta "réussite
professionnelle". Ma petite théorie personnelle est qu'en régime libéral
drastique de "guerre de tous contre tous", ce sont les plus
individualistes et les plus cruels qui s'en sortent le mieux. Nietzsche dirait
d'ailleurs pour ta défense que ce que le troupeau prend pour de la méchanceté
chez un individu, est en réalité la valeur supérieure de cet individu au regard
des faibles qui le jalousent. Tout comme aux yeux des serfs et des
"vilains", le comportement des seigneurs pouvait être interprété
comme de la méchanceté alors qu'il n'était que le reflet de sa valeur "supérieure". Bravo tu es devenu un "seigneur" local que beaucoup
jalousent, certains craignent et d'autres admirent.
Bien sûr je n'adhère pas du tout à ce point de vue
nietzschéen qui cautionne la cruauté des riches et des classes aisées à l'encontre
des gens ordinaires qui ont gardé des valeurs de décence commune, ce qui
explique leur vote pour Macron pour lutter contre le "péril
fasciste", sentiment exploité avec cynisme par l'intéressé et ses nombreux
soutiens de l'ombre. Macron qui de toute façon les dupera dans leur idéal de
décence commune, puisqu'il réalisera le programme, rien que le programme et
tout le programme inscrit dans la doctrine du libéralisme telle qu'énoncée pour
la première fois de façon systématique par Adam Smith, postulant le vice et la
perversion individuelles comme garanties de la vertu collective apportée par la
prospérité économique qui découle de l'action de la "main invisible"
impliquant la non intervention de l'Etat en matière économique. L'erreur de
départ de raisonnement qui prend désormais un écho formidable, et que du vice
intime ne peut déboucher la vertu collective, mais bien plutôt un genre de vice
et de perversion collectifs qu'une petite heure en naviguant sur internet
suffit, afin de prendre la mesure des dégâts engendrés dans l'absence de toute
décence commune qui s'y exprime, le plus souvent au nom du profit."
Emmanuel Mousset : "Ma "cruauté", comme tu
dis, n'est pas personnelle ou psychologique. Je crois que je ne ferais pas de
mal à une mouche. Mais ce qui est "cruel", c'est la vérité, surtout
quand elle porte sur les personnes."
Un intervenant : "Laissez la cruauté à Antonin Artaud,
ce que vous tentez d'expliquer, E M, n'est que la condescendance et froideur du
petit bourge vis à vis de ceux que vous considérez tout simplement inférieur
parce que ceux là ne sont justement pas vous. Vous ne feriez sans doute pas mal
à une mouche, en êtes-vous plus humain que d'autres pour autant ?"
Emmanuel Mousset : "Non, je ne prétends pas être plus
humain qu'un autre. Et il m'arrive même de tuer des moustiques."
Moi : "Il est normal qu'Emmanuel Mousset soit un peu
cruel avec les autres, puisqu'il l'est beaucoup avec lui-même. La culture, l'éducation,
l'instruction sont une cruauté nécessaire que l'on inflige aux enfants, aux
ados, aux jeunes adultes, et pour ceux qui sont courageux ou qui aiment ça,
parce qu'ils ont sublimé la cruauté en plaisir, en curiosité, qu'ils
s'infligent tout au long de la vie.
C'est une cruauté nécessaire car sinon l'ensemble de la
société sombrerait dans la barbarie, Emmanuel Mousset est tout simplement un
gardien ou encore un phare pour ceux qui sont naufragés, sans repères, sans
direction, incapables de s'orienter.
Le problème posé est celui d'une société qui avait des
racines catholiques comme la France, donc qui posait un bien commun universel,
et qui mute doucement sous l'action du libéralisme vers une forme de
protestantisme où chacun est gardien de sa propre foi et de sa conscience.
Autrement dit le catholicisme est une religion sociale en contradiction avec
les valeurs du libéralisme qui sont purement individuelles et qui prônent
l'individualisme.
A chacun désormais que nous avons détruit tous
collectivement les racines catholiques de la France, de s'en sortir comme il
peut dans une société qui ne fournit plus à personne des valeurs spirituelles
mais des valeurs purement mercantiles. Chacun est encore libre si il le
souhaite de renouer avec le catholicisme, pour ma part je tente de m'orienter
vers ce choix personnel, car je n'en vois pas d'autre."
Emmanuel Mousset : "Ce qu'il y a d'infâme dans
"ton" catholicisme, c'est qu'il est purement identitaire, social,
moral. Il ne correspond pas à un acte de foi sincère. Il n'est même pas une
quête métaphysique. Tu as besoin de valeurs, de repères, de racines : la
mystique chrétienne, au contraire, renverse tout ça. Finalement, tu es une
sorte de musulman, qui veut un cadre de vie, une communauté, des traditions."
Moi : "Je n'ai pas atteint ton degré d'abstraction dans
la spiritualité, je n'ai pas été enfant de chœur et mes parents ne m'ont pas
autorisé à recevoir le baptême. D'une certaine façon la boucle est bouclée
entre le baptême de Clovis et ma génération qui majoritairement n'a pas reçu le
baptême.
Pour moi la foi ne se marie pas avec un idéal abstrait, elle
a pour modèle des valeurs vivantes, des valeurs charnelles qui ont trouvé à
s'exprimer dans le réel et furent capables de rendre le monde habitable : la
boucle est bouclée, oui car le monde devient inhabitable.
J'ai modestement, à mon petit niveau connu ce monde là dans
un coin reculé de basse Bretagne où les gens ordinaires parlaient encore
breton, et savaient ce qu'était une vie décente, sans prédation de son prochain
pour se hisser au niveau de la réussite. Je ne suis pas un mystique du
déracinement, je suis un terrien attaché à un terroir, tout ce que vomit une
certaine idéologie parisienne. Ce que j'aimerais c'est une société qui ne nous
impose pas de force le déracinement comme condition de possibilité de la
"paix" dans le monde, tout enracinement impliquant une frontière,
donc une césure entre humains à l'origine des conflits. Ce n'est pas si simple
car la perte d'identité et le conflit permanent avec ses pairs, pour un brin de
reconnaissance sociale déshumanise : qu'est ce qui est pire, mourir dans un
conflit armé pour défendre sa patrie, ou bien mourir psychiquement de son
vivant, sans aucun idéal, détruit par ses pairs au nom des valeurs du
libéralisme qui nous imposent la guerre de tous contre tous ?
Je vois où tu veux en venir avec ton attaque ad
hominem, tu veux encore me faire parler de la religion par laquelle est
née le catholicisme, tu veux me faire parler de nos parents spirituels les Juifs.
Je sais qu'il y a un peuple pour qui sa nature et sa spiritualité correspondent
au déracinement, qui s'explique par son histoire particulière, ce
particularisme devrait-il devenir un universel ? Est-ce pour autant qu'il
devrait imposer son modèle à tous les autres peuples ? Je pose juste la
question. Entre parenthèses il a tellement confiance en son particularisme
nomadiste, qu'il s'est empressé de se trouver une terre, donc des racines.
Terre où il n'hésite pas à pratiquer le nationalisme le plus intransigeant, à
faire rougir de pudeur une Marine Le Pen. Il y a des explications à tout ça, quand
il a compris que beaucoup de peuples étaient rétifs à sa mystique du
déracinement, à sa tentative toute récente d'évangélisation à la mystique du
déracinement, pratiquée d'ailleurs comme conséquence d'un traumatisme
post-Shoah, en vue d'un "plus jamais ça !", et qui s'accompagne de sa
part d'un paradoxal retour à la terre d'Israël, comme si il craignait
inconsciemment les conséquences de sa tentative d'évangélisation à la mystique
du déracinement.
Je ne sais pas qui est le plus infâme entre celui qui
voudrait que l'on respecte la nature et les racines comme condition de
possibilité de notre survie sur cette planète, ou celui qui au nom de sa
spiritualité abstraite déclare que la nature est une "merde"
méprisable tout juste bonne à être dominée et exploitée.
Quant à la "mystique chrétienne qui renverse tout ça",
on dirait un de ces "arrière-mondes" que pourfendait Nietzsche.
Pour un peu je croirais entendre que c'est moi la bête
immonde ("écrasons l'infâme" que représente le dogme chrétien disait
Voltaire), tout ça parce que par l'esprit je n'ai pas su saisir les valeurs de
la modernité. Oui mais même l'esprit est l'objet d'une transmission charnelle
selon moi. Autrement dit pour toi les infâmes sont les victimes et les
vainqueurs sont forcément vertueux : renversement des valeurs par rapport au
sens commun, mais cela se respecte."
Emmanuel Mousset : "Tu idéalises la terre et le passé.
Depuis Clovis, l'histoire a été tumultueuse ! Oui, le judaïsme est une bonne
référence. Quant à l'existence d'Israël, elle répond évidemment à une tragédie
historique, non pas à un besoin d'enracinement. Les Juifs n'en ont d'ailleurs
pas besoin : ils se sont toujours très bien intégrés là où on les a acceptés."
Moi : "Je n'ai jamais dit que l'existence d'Israël
correspondait à un besoin d'enracinement. Oui c'est suite à une tragédie
historique, n'empêche que par la force des choses les juifs n'ont pas choisi
n'importe quelle terre, mais celle qui correspondait à leurs racines
spirituelles, à la terre qu'ils ont dû quitter et qu'ils ont idéalisé durant
2000 ans. Et pourquoi les Français eux devraient-ils être en exil sur leur
propre terre selon une métaphysique du déracinement, et devraient-ils renoncer
à toute métaphysique liée à la terre et à l'histoire, au nom de quoi ? De la
flagellation au nom de tous leurs crimes passés qui justifie l'accueil de tous
les damnés de la terre, plus légitimes moralement à occuper cette terre car
vierges de tout crime et même victimes. Après la bataille des idées, voici venu
le temps de les appliquer, remplaçons le vieux peuple réactionnaire et renfermé
sur son histoire, par un peuple capable d'entendre l'idée de progrès c'est-à-dire
un peuple progressiste !"
Emmanuel Mousset : "1- Les Juifs sont un peuple
religieux. Leur Jérusalem n'est pas de ce monde.
2- Les Français n'ont jamais été poussés hors de chez eux. En revanche, ils ont souvent occupé d'autres territoires, loin de leur patrie."
2- Les Français n'ont jamais été poussés hors de chez eux. En revanche, ils ont souvent occupé d'autres territoires, loin de leur patrie."
Moi : "Macron vient de comparer la France à une gare :
"Une gare, c'est un lieu où l'on croise des gens qui réussissent, et des
gens qui ne sont rien." Autrement dit pour être français désormais il faut
réussir, sinon on n'existe pas. C'est effectivement conforme à l'idéologie libérale. Ce n'est plus le fait d'être né sur le sol qui vous assure le droit d'être français mais celui de réussir ou de ne pas réussir, quel que soit votre lieu d'origine ou votre volonté ou non d'adhérer à ses valeurs et à son histoire, à ses mythes et à son art de vivre. Le droit du sol vient d'être remplacé par le devoir de réussite pour être français, sinon on n'est "rien". C'est la fin d'une nation qui reposait sur la religion, la culture, l'histoire et l'art de vivre, c'est le début d'une nation champignon sans racines, ou start-up nation."
Emmanuel Mousset : "Géniale, cette métaphore de la gare
: c'est tout à fait ça ! Mais ton interprétation est erronée (ce qui est dans
l'ordre des choses pour un anti-macronien). Ceux qui ne réussissent pas, il
faut leur donner les moyens de réussir (et on peut réussir de multiples
façons). Ce pourrait être aussi une définition du "socialisme" tel
que je l'entends."
Moi : "C'est vrai que ce que propose Macron c'est un
modèle de réussite dans le cadre de l'économie Monde et non pas seulement dans
la France, qui il le dit clairement doit être considérée comme "un lieu de
passage". C'est pas con, et l'on pourrait même envisager à terme, si tout
les pays jouaient le jeu, l'établissement d'un gouvernement mondial dans
l'esprit d'une mystique du déracinement. Il y aura évidemment de nombreux
sacrifiés, des gens qui resteront au bord du chemin, et il faudra aussi penser
à eux, les secourir, car tout le monde n'est pas capable d'une réussite éclatante
à la Zuckerberg. Il est évident aussi que dans ce nouvel habitus que nous
propose Macron, certains partiront avec plus d'atouts que d'autres selon leur
niveau d'éducation, car il faudra être bien armé pour affronter le Monde."
Emmanuel Mousset : "1- Ton séjour sur terre n'est lui
aussi qu'un bref "passage". Mais rassure-toi : quand tu boufferas les
pissenlits par la racine, ton idéal de la terre et de l'enracinement sera enfin
réalisé.
2- Depuis la préhistoire, certains partent avec plus d'atouts que d'autres. Ce n'est pas une raison pour s'y résoudre. Macron ne se résout pas à ce qu'il y ait des millions de chômeurs en France alors que des millions d'autres vivent sans problème majeur d'emploi, de logement, de santé et de loisirs. Voilà l'injustice, l'inégalité à combattre. Et pas par ta logorrhée antilibérale qui ne débouche sur rien, même pas sur la révolution et le communisme (au moins, ça aurait une certaine allure)."
2- Depuis la préhistoire, certains partent avec plus d'atouts que d'autres. Ce n'est pas une raison pour s'y résoudre. Macron ne se résout pas à ce qu'il y ait des millions de chômeurs en France alors que des millions d'autres vivent sans problème majeur d'emploi, de logement, de santé et de loisirs. Voilà l'injustice, l'inégalité à combattre. Et pas par ta logorrhée antilibérale qui ne débouche sur rien, même pas sur la révolution et le communisme (au moins, ça aurait une certaine allure)."
Moi : "Je ne suis absolument pas d'accord avec ta
définition du socialisme, je ne vois pas comment l'application du programme du
libéralisme pourrait déboucher sur une forme de socialisme, c'est absurde : un
libéralisme socialiste, c'est un oxymore, arrête d'enfumer tes lecteurs avec
des contre vérités. Depuis longtemps la gauche républicaine s'est rangée du
côté du libéralisme en contradiction avec les idéaux du socialisme originel
porté par des penseurs comme Fourier, Proudhon et beaucoup d'idées de Marx à
condition qu'elles ne cherchent pas à faire système.
Et je ne cherche pas à avoir de l'allure, mais à ce que les
gens ordinaires autour de moi aient une vie décente dans une société décente :
afin que la société fasse corps dans la joie de vivre, ce n'est pas une utopie
irréalisable, j'ai connu une telle joie de vivre dans mon enfance, dans ma
famille, et qui aujourd'hui semble avoir disparue de toute vie sociale : il y a désormais bien longtemps que le progrès n'est plus au service de l'humain, mais l'humain au service du progrès.
Par contre la gauche libérale libertaire représentée par
Macron est certainement le régime politique qui permettra la meilleure
réalisation du libéralisme bien plus que la droite conservatrice finalement,
d'où le fort engouement qu'il suscite dans les milieux médiatico-culturels, qui
attendaient en France la réalisation du libéralisme économique dans sa forme
la plus pure depuis des années. La première grande mesure de la Révolution
française et de la gauche républicaine, qui allait devenir de nos jours la
gauche libérale libertaire, fut d'abolir les corporations au nom de la liberté
individuelle, "liberté" qui postule la prépondérance de l'individu
sur la communauté, et finalement sur l'intersubjectivité : effectivement
l'association et la solidarité entre travailleurs ont toujours été le pire
ennemi du patronat bourgeois, qui cherche à isoler les travailleurs physiquement, moralement et spirituellement. Cette "liberté"
individuelle, issue de la Révolution française d'inspiration idéologique
bourgeoise, a abouti à une atomisation et une aliénation des travailleurs, ce
qui arrange bien les patrons pour mieux les exploiter : le sort des
travailleurs fut bien plus dur au XIXème siècle de Germinal que sous l'Ancien
Régime et le statut des corporations qui permettait l'association et la
solidarité des travailleurs entre eux. Ce n'est pas parce que toi tu as de la
considération pour les travailleurs issus des milieux populaires, que Macron et
les patrons partagent ton point de vue. Toi tu es peut-être un faux naïf, mais
eux sont de vrais cyniques.
Je le répète les gens ordinaires aspirent à une vie décente,
or la patronat a intérêt à maintenir un certain niveau de chômage afin que les
salariés ne deviennent pas insolents en exprimant notamment des revendications
salariales et sociales jugées "exorbitantes" par les patrons, qui
aspirent à tirer toujours plus les salaires vers le bas en mettant en
concurrence des travailleurs de tous les pays vers le moins disant salarial et
social. D'où l'objectif pour Macron de faire de la France, "un lieu de
passage" pour les travailleurs de tous les pays, qui seraient recrutés en
fonction de la faiblesse de leurs revendications, ou au contraire en raison de leur haut niveau de compétence.
L'équité pour toi c'est de rabaisser les droits des
travailleurs les plus "privilégiés", pour permettre de créer des
emplois : et cela conformément aux vœux de Macron de détruire ou tout au moins
de "simplifier" drastiquement le droit du travail. Pour moi la création d'emplois
ne repose pas sur de tels sacrifices qui consistent en un nivellement par le
bas des droits de tous les travailleurs et certainement la future création
d'une masse de travailleurs pauvres ; mais sur la bonne volonté du patronat,
qui en réalité dans son histoire n'en a jamais fait preuve et n'en fera sans
doute jamais preuve sauf sous la contrainte imposée par le rapport de force
(devenu de moins en moins possibles car les travailleurs sont atomisés, et le
seront encore plus par les accords d'entreprise en remplacement des accords de
branche), son seul principe de conduite étant sa rapacité dont il a fait un
dogme indépassable."
Emmanuel Mousset : "1- Il y a plusieurs définitions du
socialisme (encore heureux !) et le libéralisme (qu'on confond souvent avec le
mode de production capitaliste) est au départ une idéologie de gauche.
2- Les gens ordinaires aspirent à une vie décente ? C'est quoi, ce catéchisme saint-sulpicien ? Va à Auchan le samedi matin, tu la verras, la "vie décente" des "gens ordinaires" ! Mais suis-je bête ! Tu es sans doute le premier à t'y précipiter, "homme ordinaire" que tu es, avec ta "vie décente". Moi, l'ordinaire ne me convient pas, et je ne vais jamais à Auchan."
2- Les gens ordinaires aspirent à une vie décente ? C'est quoi, ce catéchisme saint-sulpicien ? Va à Auchan le samedi matin, tu la verras, la "vie décente" des "gens ordinaires" ! Mais suis-je bête ! Tu es sans doute le premier à t'y précipiter, "homme ordinaire" que tu es, avec ta "vie décente". Moi, l'ordinaire ne me convient pas, et je ne vais jamais à Auchan."
Moi : "Est-ce que j'ai dit que le libéralisme n'était
pas une idéologie de gauche ? Oui et c'est bien le contresens que font beaucoup
de gens en pensant que la gauche n'est pas libérale mais sociale. Or
précisément et tu as bien raison de le souligner, le libéralisme qu'il soit
politique ou économique a bien des racines de gauche. Et c'est précisément la
gauche de Mitterrand au pouvoir qui a accompli en France la plus grande
mutation libérale non seulement sociétale, mais surtout économique. Ainsi faut-il
bien distinguer entre gauche et socialisme, ce n'est pas du tout la même chose malgré
ce qualificatif de "parti socialiste", qui fut bien souvent trompeur
pour bien des gens et a continué à l'être jusqu'à très récemment. Je crois
qu'il a été remplacé par l'appellation "nouvelle gauche', c'est déjà moins
malhonnête sur la marchandise proposée.
Les citoyens se laissent souvent enfumer par ce concept de
gauche, car ils pensent que c'est une forme de socialisme, or pas du tout. Le
socialisme s'est construit au XIXème siècle face aux ravages de l'idéologie
progressiste et à la déshumanisation engendrée sur la classe ouvrière. Je ne
dis pas que la gauche soit totalement insensible à cette déshumanisation, elle
tente d'y remédier de façon plus humaine que la droite je pense, mais il n'empêche,
la gauche pense qu'elle va trouver le salut pour l'humanité dans l'idée de
progrès, dans le progressisme. C'est une illusion. Quand les
socialistes à l'instar de George Orwell, dont une figure moderne pourrait être
représentée par le cinéaste Ken Loach, tentent de trouver le salut dans de nouvelles
formes de solidarité, de coopération, d'intersubjectivité entre les Hommes, de
vie décente, bref d'humanisation que recherche naturellement tout Homme
ordinaire, alors que le libéralisme nous entraîne toujours plus loin dans
l'égoïsme, l'individualisme, l'indécence et la prédation dans les rapports
humains. La "vie Auchan", je suis d'accord avec toi est une forme de
déshumanisation que s'infligent à eux même les Hommes ordinaires lorsqu'ils
n'ont pas trouvé les ressources spirituelles de s'épanouir dans la culture :
c'est le Monde du donné par opposition à un Monde qui serait à construire culturellement et spirituellement. La "vie Auchan" est une forme de servitude
volontaire. Or à cause de la propagande publicitaire, mais aussi de la culture contemporaine
qui se déshumanise progressivement, cela demande un effort inouïe de s'extirper
du monde du donné.
Je pense que d'un point de vue catholique, une victime est
autant coupable finalement qu'un bourreau, car une victime en consentant à sa
servitude répand elle aussi le mal, mais d'une autre façon qu'un bourreau, qui
lui, inflige la servitude à autrui. Autrement dit une victime se complaît dans son
malheur et n'apporte pas plus d'espérance au monde : d'un point de vue éthique
je reconnais que tu m'es donc bien supérieur.
Une philosophie actuelle pourrait être une forme de stoïcisme,
consistant à essayer de se mettre à l'abri spirituellement en attendant éventuellement
des jours meilleurs, car la plupart des Hommes et tu as raison de le souligner
ne sont pas prêts à entendre une forme de vérité, qui consiste en une
résistance face au consumérisme aliénant.
Contrairement à ce que pense Macron, ce n'est pas une
mystique du déracinement et les patrons qui sauveront la France, éventuellement
ils sauveront ce qu'il restera de la France, c'est-à-dire Paris intra-muros et
quelques grandes métropoles régionales, condamnées à se couper du reste du pays
encore attaché à des valeurs de terroirs et d'enracinement.
Bien sûr l'idéal consiste toujours dans le dosage et dans
une juste mesure entre mystique du déracinement (qui comporte bien des points
positifs), et mystique de l'enracinement (qui comporte aussi bien des points
négatifs), ici je rejoindrais la pensée "complexe" de Macron :
"et en même temps" (comme quoi il y a aussi du bon chez Macron)."
Emmanuel Mousset : " Une gare ferroviaire est un
haut-lieu métaphysique. J'ai fait un billet là-dessus, il y a quelques années.
Récemment, traversant la gare du Nord (la plus grande d'Europe), j'ai eu cette
pensée (macronienne ou pas ?) : "Je sais où je vais. Beaucoup de gens ici
ne savent pas". Pour poursuivre dans la métaphore, je crois qu'un grand
mal a été fait à l'humanité le jour où on a inventé les valises à roulettes (je
te laisse méditer sur ça)."
Moi : "Sinon je ne vois pas très bien la différence
entre le libéralisme économique et le mode de production capitaliste. Comme par
hasard sous l'action de la "main invisible", le libéralisme
économique abouti toujours à des modes de production capitaliste. Cite-moi un
seul exemple où ce n'est pas le cas ?
Oui effectivement les Trente Glorieuses où le libéralisme
économique était régulé par des modes de redistribution sociale et financière d'inspiration
keynésienne. Le phénomène économique appelé "Trente Glorieuses"
s'explique par deux facteurs :
1) Il fallait reconstruire après un terrible conflit mondial
destructeur et meurtrier et donc motiver l'esprit de solidarité chez les gens.
2) Il fallait offrir un contre modèle attrayant au
communisme, le virage libéral sans régulations ni redistributions des années 80
s'explique par l'extrême faiblesse du communisme en URSS, puis par sa chute
finale.
D'un point de vue économique les Trente Glorieuses étaient
donc un compromis bâtard entre socialisme redistributif et libéralisme
d'inspiration adam smithienne. Malheureusement pour l'humanité, le libéralisme
a fini par tuer le socialisme, ce qui est logique et hégélien et non pas
héraclitéen, lorsque deux logiques contradictoires cohabitent (oui car
Héraclite, tout comme Nietzsche tolèrent et même encouragent la contradiction,
sans la mise à mort de l'un des deux éléments contradictoires). Ça me rappelle
un prof de philo arrivant en classe et s'exclamant : "Nietzsche a tout
dit... Tout... et son contraire !" Alors que chez Hegel, la totalité est
le fruit d'un processus dialectique où l'un des deux termes contradictoires
parvient à l'emporter sur l'autre et à l'éliminer totalement de la surface de
la terre. Ce qui était bien le projet qu'avaient les nazis pour le peuple juif
: "mystique de la race" contre "mystique du
cosmopolitisme". La tolérance c'est bien accepter l'existence et la
cohabitation de termes en apparence contradictoires, mais qui en réalité
peuvent parvenir à s'harmoniser.
C'est donc le libéralisme économique à sa source chez Adam
Smith qu'il faut critiquer, car il amène toujours et c'est inscrit dans son
programme, dans son ADN, des modes de production capitalistes donc
déshumanisants pour la majorité des gens ordinaires."
1- Les tragédies politiques de notre temps s'appellent fascisme et communisme, pas libéralisme.
RépondreSupprimer2- Le Chili de Pinochet, la Chine actuelle sont des régimes de dictature, des économies capitalistes qui n'ont rien de libéraux.
Comme quoi le libéralisme économique peut s’accommoder de régimes répressifs et autoritaires, j'en suis persuadé et pense même que c'est le destin des démocratie occidentales, qui ne savent plus se renouveler par l'utopie (Macron est un leurre qui n'a rien d'utopique), et ne sont plus capables que d'imaginer et d'élaborer rationnellement ou artistiquement la dystopie qui vient (effectivement rien d'utopique dans le projet du transhumanisme, mais un caractère dystopique assumé).
RépondreSupprimerL'Europe de Bruxelles montre en tout cas que Hitler n'avait pas tout à fait tort. Ce sont bien les Allemands les plus forts en Europe, on pourrait dire le "peuple élu", que ce soit par une mystique de la race ou une idéologie libérale.