vendredi 1 juillet 2016

Vers la compassion généralisée ?

La seule chose que je reproche aux rapports humains, aujourd'hui en France, c'est d'être globalement trop agressifs, comme le déplore Michel Houellebecq. Je sais que ça n'a pas toujours été totalement comme ça, aujourd'hui la crise est vraiment lourde à porter. Dans les années 70, les rapports humains étaient plus sereins. Je sais qu'on va m'accuser de sensiblerie excessive, mais n'oublie pas d'où tu viens Emmanuel. Tu n'as pas grandi à coup d'autoritarisme et de "coups de pied au cul", contrairement à ce que tu voudrais laisser croire, mais grâce à la bonté de certains maîtres. Bonté dont un certain monsieur Chédin faisait la vertu cardinale, souviens-toi ! Certains plus "crus" que moi, te reprocheront d'être un enfant du "baby-boom" ingrat : il y a une part de vrai là-dedans ! Cependant il y a une chose que l'on ne peut pas te reprocher, et qui est peut-être encore plus importante que la bonté, c'est la capacité à saisir l'occasion quand elle se présente. Mais ce n'est pas la peine non plus d'en faire tout un plat, encore une fois c'est le caractère et les circonstances qui expliquent et qui déterminent cette capacité à saisir le kairos. Rien de surnaturel, ni de spirituel, ni même d'admirable, dans tout ça. A ton tour donc de faire preuve de bonté et de sensibilité, pour payer ta dette à la société. Le monde est beaucoup plus agressif aujourd'hui, c'est un fait. Il y en a beaucoup qui s'en accommodent, car ça leur permet d'assouvir leurs pulsions mauvaises
C'est excitant, cela active certaines pulsions sexuelles archaïques, comme le spectacle des gladiateurs. Certains éprouvaient du plaisir parmi les bourreaux paraît-il, de tout temps. Ce sont ces pulsions sadiques qu'il me paraît utile de soigner aujourd'hui, plutôt que de parler de révolution ou même de réforme de la société : par exemple il me semble que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes permet à certains d'assouvir leurs pulsions mauvaises de destruction de la nature, de non-respect de l'environnement, et même de malveillance envers ceux qui pâtiront des nuisances sonores ou même seront expropriés. Ça vous excite de voir souffrir les gens ? C'est bien, cela veut dire que vous êtes adaptés.

Emmanuel Mousset : "Je ne sais pas à quelle époque tu compares notre époque. Mais tu sais très bien que le monde d'autrefois et d'il n'y a pas si longtemps était beaucoup plus violent que le nôtre. C'est d'ailleurs pourquoi la moindre agressivité, y compris la plus anodine, nous insupporte : plus une nuisance est réduite, moins elle est tolérée. C'est peut-être un progrès, même si j'en doute. Chez moi, et sûrement chez toi aussi, les gens se plaignent du bruit des travaux, des tondeuses à gazon, des hélices (pourtant silencieuses) des éoliennes. C'en est presque comique. Tati en aurait fait un bon film. Bunuel aussi."
Tu as sans doute raison, ce qui fait question c'est la totale faillite morale de notre époque, qui fait que les gens s'effondrent à la moindre peccadille. Cela peut fournir un espoir en l'avènement de la compassion généralisée et de la non-violence portée au rang de dogme. Il paraît que c'est lorsque les civilisations sont épuisées, lorsque les gens ressentent toute agression anodine comme une violence insupportable, que le règne de la compassion généralisée peut advenir. Le catholicisme était une religion qui punissait le fait de faire mal à autrui, dans le cadre d'une civilisation bénéficiant d'un trop plein de vitalité, alors que le bouddhisme est le signe d'une civilisation épuisée ou plus personne ne supporte pour soi-même la moindre violence, la moindre douleur et la moindre contrainte, et pour autrui idéalement la moindre punition : ce serait pour moi un progrès extraordinaire et signifierait un changement total de paradigme. Reste le problème que constitue l'esprit de conquête d'une religion comme l'islam. Franchement quand on voit l'Histoire de l'humanité occidentale, ses guerres, ses massacres, ses génocides, il n'y a pas de quoi être fier, il n'y a rien d'admirable là-dedans, rien qu'un trop plein de souffrances absurdes. Je pense qu'en peu de temps, devant l'ampleur de leurs propres massacres insensés, les musulmans aussi pourraient comprendre ça, eux aussi : l'absurdité de l'esprit de conquête et la vanité de la volonté de puissance. Quant à toi l'adepte de l'autoritarisme et du "coup de pied au cul" : pour aller vers quoi ? Le bétonnage généralisé du pays France ? Les voyages anti-écologiques à l'autre bout du monde, alors qu'il suffirait de revaloriser son propre milieu, son propre environnement ?

Emmanuel Mousset : "Erwan, en bon nietzschéen, le bouddhisme adopté par l'occident est pour moi un signe de décadence, le refus de la féconde souffrance, une amputation de la vie. Le "coup de pied au cul" n'est pas mon genre, mais la paire de gifles, oui. Fais attention, si tu me rencontres."
"Coup de pied au cul", "paire de gifles", ne pinaillons pas sur les mots ou les expressions, et oui, je me range aux côtés de Houellebecq pour traiter globalement Nietzsche de "vieille pétasse". J'ai voyagé en pays bouddhistes et je n'y ai pas vu une amputation de la vie, mais au contraire un grouillement de vie, ne s’interdisant pas la jouissance au nom d'un désir jamais assouvi comme en Occident. L'Occident est la contrée du désir non assouvi, désir toujours porté à son incandescence par le système notamment publicitaire du libéralisme, sans résolution possible : un piège à cons, en gros. L'Occident est une machine à faire du fric, à attiser le désir, mais où il ne fait pas bon au fond le dépenser, c'est pour cela que ceux qui ont accumulé du fric, vont souvent le dépenser en pays bouddhiste, là où il fait bon jouir. L'Orient bouddhiste encourage le plaisir et la jouissance, au détriment du désir incandescent d'origine libérale, non assouvi : cela me paraît beaucoup plus sain. Quant à Nietzsche il demeure intéressant dans une interprétation purement artistique de la création, mais absolument pas fécond dans une interprétation politique, qui a débouché notamment sur le nazisme, comme un avatar possible du nietzschéisme politique : non merci !
Les bouddhistes n'ont pas le même rapport au désir. Alors que pour les Occidentaux, et plus particulièrement les oligarques, le désir attisé est une façon de gagner de l'argent ; pour les bouddhistes le désir est une souffrance qu'il faut combattre par l'assouvissement du désir dans le plaisir. Donc les bouddhistes valorisent le plaisir et dévalorisent le désir ; alors que c'est tout le contraire en Occident : un désir inassouvi sans arrêt attisé par toutes sortes de sollicitations, et des femmes qui ne veulent pas faire plaisir, bien conditionnées par nos oligarques, de qui, eux seuls (oligarques, acteurs, people), elles consentiraient peut-être à recevoir l'hommage, comme peut-être, dans aucune autre contrée dans le monde.

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