vendredi 23 novembre 2018

Michéa, cryptocommuniste ?





Est-ce que de par ma relation familiale, je ne suis pas devenu ostracisé au sein de la société ?

Émile : « Michéa est un cryptocommuniste... »

David : « Pas grave pour moi. C'est surtout un admirateur d'Orwell qui a analysé sa conception de la common decency. Cela me parle à moi. Politiquement je pense qu'il est absolument impossible de laisser se développer cette société à deux vitesses qui ne fait que creuser les inégalités. Ce n'est pas tenable.
Un peuple, pour être peuple, doit avoir le sentiment de partager une culture, une identité et une civilisation mais aussi une certaine égalité.
Les analyses d'un Hervé Juvin me parlent également.
En y ajoutant celles de Renaud Camus, ma doctrine politique est résumée. »

Émile : « De ce point de vue on peut être d’accord avec la plupart des gens qui sont pour le bien et contre le mal. »

Populiste « Cette référence à la « décence commune » des gens ordinaires, sens commun plus ou moins implicite des « choses qui ne se font pas », a été beaucoup reprochée à Jean-Claude Michéa par l'extrême gauche. On l'a accusé de faire preuve d'une idéalisation nostalgique de la communauté villageoise, d'une vision irénique de classes populaires préservées de corruption morale, voire de « primitivisme ». La décence commune n'est pas le sens moral inné et naturel de Rousseau, fruit d'un accord spontané, mais dépend justement de « conditions sociales ». Il se retrouve lorsque sont réunies les conditions de ce que l'anthropologue Marcel Mauss appelait le « paradigme du don », soit le triptyque « donner-recevoir-rendre ». Il faut bien comprendre que cette logique est une logique alternative à celle de la dialectique droit-marché, qui est une logique « cannibale », détruisant les conditions même d'émergence de la common decency. Cette notion est à rapprocher de la phronesis chez Aristote ou du sens de la mesure chez Albert Camus. Elle est conscience des limites et méfiance de l'hybris. Primauté des mœurs sur le droit. Elle est ce qui distingue par exemple un éleveur qui a une relation avec ses animaux à l'industrie agro-alimentaire (soumis au double règne de la norme tatillonne et de la rentabilité sans pitié) ou bien le club de foot bénévole du grand club mondialisé. La common decency suppose une relation de proximité qui permette le face-à-face et donc la fidélité, l'entraide, l'altruisme et l'honnêteté donc commandés ni par la loi ni la peur. »

David : « @Populiste. Ce qui est reproché par la gauche à cette notion de décence commune, c'est avant tout son côté parfaitement conservateur et enraciné. »

Populiste : « @Émile. C’est mal le connaître ou le lire que de le croire, qu'il est cryptocommuniste. »

Émile : « Je l’ai lu justement, et attentivement. Ce qui ne m’empêche pas de l’apprécier, son analyse surtout, les remèdes me font plutôt peur. »

Populiste : « Il prône le retour à un socialisme originel enraciné dans les communautés traditionnelles et méfiant à l'égard du progrès technique et défend l'idée d'une démocratie fondée non plus sur le clivage droite-gauche, mais sur l'opposition entre « ceux d'en haut et ceux d'en bas ».
Il prophétise l'autodestruction prochaine du capitalisme sur fond de révolution numérique et de robotisation. « Le système capitaliste mondial est bel et bien entré dans la phase terminale de sa crise structurelle ». Selon lui, ce système pourtant fondé sur le principe d'une accumulation sans limite se heurte désormais à trois limites majeures. La limite morale, car il détruit progressivement les bases anthropologiques de toute vie commune. La limite écologique, car une croissance infinie est évidemment impossible dans un monde fini. Et la limite systémique car la financiarisation de l'économie conduira à terme à l'explosion d'une gigantesque bulle planétaire. »

Émile : « Le socialisme originel ? Vous voulez parler d’Adam et Ève, le paradis, tout ça ? À moins que ce soit le bon sauvage de Rousseau... Même restreint à un pays comme la France, vous mettez ça en oeuvre comment ? Le seul système récent ayant réussi ce tour de force c’est le Cambodge, vous savez, les gentils khmers rouges ! »

Populiste : « Quelles raisons vous font penser qu’il est un « cryptocommuniste » ? Le socialisme originel vous fait partager les crêpes que vous venez de confectionner avec le voisin qui vous amène sa scarole, nous sommes loin du laogaï (rééducation par le travail) ou de ses succursales Cambodgiennes ne vous semble-t-il pas ? C’est aussi la patience dont je fais preuve à votre encontre malgré l’ironie affleurant dans vos propos et la méconnaissance d’un auteur qui à l’évidence ne vous est pas familier... »

Émile : « Ses positions sur le capitalisme par exemple. »

Populiste : « L'intuition fondamentale de Michéa est celle d'une unité du libéralisme dans sa version aussi bien économique que culturelle, qui sont indissociables. L'image qu'il utilise est celle du ruban de Moebius qui présente deux faces apparemment opposées mais qui en réalité n'en sont qu'une. Il est aussi illusoire de vouloir être libéral-conservateur que socialiste libertaire. « En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que l'homme moderne dit « de droite » a tendance à défendre la Prémisse (l'économie de concurrence absolue) mais a encore beaucoup de mal à admettre la Conséquence (le Pacs, la délinquance, la fête de la musique et Paris-Plages) tandis que l'homme moderne, officiellement de gauche, a tendance à opérer les choix contraires » écrit-il dans Impasse Adam Smith. « Il faut le progrès, pas la pagaille », disait naïvement le général de Gaulle en 1965, pensant dissocier innovation technique et libération des mœurs. « Pas de progrès sans pagaille », lui répond Jean-Claude Michéa. »

Moi : « Alors Michéa ne serait-il pas socialiste-conservateur ? »

Populiste : « @Erwan. « Anarchiste-conservateur », plutôt que « socialiste-conservateur » ni marché, ni goulag, mais ces schémas catégoriels sont quelque peu réducteurs…
J-C. M : « En 1956, Wright Mills décrivait la classe dominante (« l'élite du pouvoir ») comme cette minorité qui, non seulement n'a pas à « faire face aux problèmes quotidiens », mais qui « dans une certaine mesure crée elle-même ces problèmes et oblige les autres à y faire face ». Il me semble que cette définition minimale est aujourd'hui plus actuelle que jamais… Il souligne également le décalage entre la compassion obligé de la gauche pour les « minorités » et son profond mépris affiché pour l'immense majorité des classes populaires « ce troupeau informe de Beaufs, Deschiens, Bidochons et autre Dupont-Lajoie, par nature réfractaire au cercle de la raison » »

Moi : « Merci de m'avoir répondu, j'avais un peu l'impression d'être l'homme invisible dans votre échange assez vif avec Émile, je suis rassuré !
Juste au passage, si je suis aussi sensible aux questions que vous soulevez, c'est que je suis moi-même victime de cette ostracisation dans la présumée « beaufitude » des classes populaires ou moyennes dans mon cas, de la part de ma propre famille de baby boomers pour ce qui concerne mes parents.
Environnement familial toxique, où soit l'on réussit à accéder au statut bobo comme certains de mes cousins (reconnus, donc ayant des droits au sein de la famille), soit on se suicide (comme pas mal de membres de ma famille, exclus et invisibles socialement donc privés de droits en son sein), soit on périclite comme moi, privé de tout droit parce que « non méritant » (de la part notamment de ma génitrice aux importants moyens qui lui viennent directement de mes grands-parents, mais tout est relatif évidemment !), et l'on essaie de résister, peut-être maladroitement, en lisant notamment Michéa ou même Zemmour qui me réconfortent ! Bah rien que de très banal au fond ! »

Populiste : « Intellectuellement vous semblez loin de péricliter…
A vous lire je suis même persuadé que vous êtes en mesure de prouver à vos contempteurs l’inanité des préjugés qu’ils nourrissent à votre encontre. Meubler une solitude envahissante de lectures et d’auteurs qui vous « parlent » constitue un palliatif puissant aux maux qui nous assaillent. Ne vous découragez surtout pas, vous êtes digne d’estime, ceux et celles qui pensent le contraire, vous jalousent ou vous envient, ils sont insignifiants... »

Moi : « Bon je vais vous faire une dernière confidence intime, après j'en aurai fini avec le grand déballage, promis. J'ai tellement pris l'habitude d'être maltraité par mes deux parents pour qui je fus le bouc-émissaire de leur relation toxique (car dans ma famille il y avait quand même des gens biens hormis eux deux), que même vos encouragements sincères malgré mes 51 ans et ma vie de famille plutôt réussie (une femme, trois enfants, un métier de prof respectable), me mettent mal à l'aise, et pourtant ils me vont droit au cœur. Donc je vous remercie. »

Émile : « @Populiste (dans le fil de la conversation trois interventions plus haut). Nous y sommes exactement, cette affirmation est purement arbitraire : on ne pourrait être libéral-conservateur. C’est une pétition de principe, il confond autonomie de la technique et libéralisme : l’autonomie de la technique nous échappe par essence et le retour aux valeurs anciennes qu’il prône n’annonce rien d’autre qu’une dictature sanglante pour créer un homme nouveau et « décent », toutes choses ayant déjà été essayées par tous les socialismes passés avec le succès que l’on sait.
Je veux bien admettre qu’il y a quelque chose d’effrayant dans l’autonomie de la technique, mais je trouve plus effrayant encore les illuminés qui ont un plan pour nous imposer le Bien ou ici la Common Decency qui reste un terme tout aussi vague. »

Moi : « Donc la droite traditionnelle d'un Wauquiez par exemple est caduque ? Et seul un Macron est cohérent avec l'évolution du néolibéralisme, sa vocation libérale-libertaire ? »

Renaud : « @Émile. Non vous avez raison, on ne peut plus être libéral-conservateur comme le souhaitait de Gaulle, c'est antinomique.
On peut accorder aux premiers libéraux le bénéfice de la naïveté d'avoir cru qu'il existait des limites indépassables, un fond anthropologique intouchable.
Mais tout cela a été pulvérisé depuis longtemps, autant à propos de l'accumulation des richesses et des moyens de domination que sur les mœurs.
Un retour à des valeurs anciennes, à une régulation basée sur une anthropologie décente ne signifient pas le fascisme et c'est bien plutôt le progressisme libéral-libertaire qui est devenu fasciste. »

Moi : « Donc la droite traditionnelle d'un Wauquiez par exemple est caduque ? Et seul un Macron est cohérent avec l'évolution du néolibéralisme, sa vocation libérale-libertaire ? Comment retourner « à une régulation basée sur une anthropologie décente » ? Quelle est l'offre politique dans ce sens ?
Le fond anthropologique a été touché, c'est indéniable. Quand il aura complètement disparu alors on pourra dire que le nihilisme a totalement accompli son oeuvre, et l'humanité telle que nous la connaissons à la surface de la Terre qui est déjà en grand péril et l'est chaque jour encore davantage contrairement à ce que pensent les progressistes libéraux-libertaires béats, pourrait bien disparaître.
Faudra-t-il que tout soit détruit, pour que nous soyons capables de reconstruire sur des bases totalement nouvelles ? Mais que restera-t-il de l'humanité et de la planète pour reconstruire ? Sans doute une ruine totalement stérile et dépeuplée tragiquement malheureusement, comme le décrit assez bien Houellebecq dans La possibilité d'une île. »

Émile : « @Renaud. Encore une affirmation arbitraire...Par contre on sait ce que les tentatives de rendre l’homme « décent » ont donné... »

Moi : « Je me trompe peut-être mais il me semble que sans les prémisses calvinistes qui ont finalement donné la théorisation du libéralisme économique par Adam Smith et la première révolution industrielle principalement en Grande-Bretagne, toute notre civilisation aurait pu évoluer dans une autre direction. Je crois que cette orientation néolibérale que nous connaissons désormais s'est faite sur toile de fond de rivalité historique franco-britannique, et que si l'aspect continental et français l'avait emporté, nous n'en serions pas déjà rendus aussi vite à une telle extrémité périlleuse pour la survie de l'humanité telle que nous la connaissons sur la planète. Mais bon c'est un autre débat et nous ne pouvons pas refaire l'Histoire, même si Zemmour s'y essaie de façon certes forte intéressante, malgré les reproches d'extrême droitisation aux « relents nauséabonds » qui lui sont faits et que je ne partage pas.
Mais vous devez penser qu'il n'en est rien et que de toute façon depuis que la philosophie occidentale s'est installée dans la métaphysique du sujet avec comme précurseur Descartes, elle était vouée à générer cette volonté de puissance, cette volonté de volonté à l'origine des développements des sciences et des techniques.
Je me trompe ?
Enfin est-ce que cela ne vaudrait-il quand même pas le coup d'essayer de réfléchir à comment rendre la vie des travailleurs plus dignes au sein de ce système, en les considérant comme une fin et non comme un moyen, afin de les rendre plus acteurs donc plus responsables ?
Pour finir on ne peut nier selon moi le péril majeur que fait courir l'autonomie de la technique à la survie de la planète ou du moins de l'humanité telle que nous la connaissons sur la planète, sans même évoquer le problème que posent beaucoup de mouvements écolos et leur côté sectaire que vous ne manquez jamais de souligner. Le problème qu'ils posent pas seulement par leur présence sectaire et partiale (selon vous je crois), mais aussi par la façon dont ils questionnent le mode de fonctionnement néolibéral de la société, qui nous promet le chaos et l'apocalypse à assez courte échéance selon beaucoup de spécialistes scientifiques, si nous n'y remédions d'une façon ou d'une autre
Enfin concernant l'aspect politique avec le mouvement des gilets jaunes, cela me semble une revendication pour réclamer plus de dignité, et de considération de la part d'un gouvernement et d'un président ressentis comme hautains et méprisants, et cela rejoint la question qui nous occupe : quelle place pour les travailleurs dans un régime caractérisé par la volonté de puissance, la volonté de volonté qui nous le savons bien est une manifestation du nihilisme ? Sont-ils condamnés à être toujours plus humiliés, toujours plus chosifiés, réifiés, par le capital ? À être des pions sans âme, simples moyens et non pas finalité, dégradés d'un point de vue kantien de la dignité de la personne humaine et de son libre arbitre, juste pour faire tourner la machine économique ? Est-ce que ce n'est pas l'ensemble de l'humanité, riches y compris, qui se salit en traitant ses travailleurs ainsi ?
Le mouvement des gilets jaunes n'est il pas un cri d'alarme sur le sentiment de déclassement qu'éprouvent les classes moyennes et le risque de disparition pressenti de leur part sous les coups de boutoir du néolibéralisme « sauvage » depuis les années 80, qui encourage l'enrichissement des riches qui possèdent déjà un gros capital (sans prendre de risques la plupart du temps !) et n'ont pas à devoir compter sur les revenus issus de leur travail mais uniquement sur le travail des autres, et l'appauvrissement du reste de la population qui ne doit compter que sur son travail ? 
Le fruit du travail n'est-il toujours pas plus dévalorisé au profit des fruits du capital qui profite aux héritiers, aux rentier, aux actionnaires et aux traders ?
La notion de prise de risque pour justifier de telles inégalités de traitement entre les Hommes, entre ceux qui profitent du système et ceux qui en sont victimes, n'est-elle pas dérisoire et bien mince et en même temps surestimée et exagérée, puisque concernant les riches il s'agit le plus souvent d'héritiers qui n'ont généralement jamais pris aucun risque. »

Populiste : « @Émile. Je les fais miennes en grande partie, et croyez moi elles ne relèvent en rien du « matérialisme dialectique... »

Émile : « Et moi je les combats car l’histoire nous montre la misère que l’application des théories qui prétendent imposer le bonheur à l’homme malgré lui ont apporté à l’humanité. »

Populiste : « Pardon, mais vous n’y êtes pas du tout, vous devriez le relire avec plus d’ attention... »

Moi : « @Émile. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il faut un peu d'utopie dans les rapports humains ? Et donc ne faut-il pas un peu de cette exagération que certainement vous me reprochez et dont vous vous méfiez puisque vous ne me répondez pas, pour redonner de l'espoir aux gens ? Plutôt que de leur seriner à longueur de temps qu'il n'existe pas d'alternative au néolibéralisme sous peine de voir émerger un régime néocommuniste avec toutes les dérives criminelles que cela comporte, comme l'a montré toute l'Histoire du XXème siècle ? Et dont j'ai bien conscience croyez-moi.
J'espère cependant que vous n'avez pas trouvé mes interventions hors de propos dans le fil de la discussion qui concernait Michéa, au moins je me suis fait une idée de l'opinion que vous avez de lui, vous trouvez son diagnostic bon, mais ses remèdes pires que le mal !
C'est George Bataille qui affirme dans La part maudite que toute type de société se caractérise par une forme de gaspillage qui lui est propre, de l'énergie qu'elle génère spontanément comme le soleil. Les Aztèques dans les sacrifices humains, les musulmans dans la conquête et la soumission au divin, les catholiques dans la création artistique pour rendre grâce à Dieu, et la société occidentale contemporaine sous l'influence du calvinisme puis du libéralisme théorisé par Adam Smith, dans l'accumulation des richesses puis dans l'investissement pour en accumuler encore plus.
Est-ce que réellement il n'y aurait pas un lien direct entre cette accumulation des richesses et l'autonomie de la technique qu'elle a rendu possible ? Pourquoi dans d'autres formes de société que la société capitaliste, l'autonomie de la technique n'a jamais existé, comme par exemple dans la société romaine pourtant très avancée dans le domaine technique ? Simple coïncidence ? Pourquoi aucune autre société que celle avec des prémisses calvinistes puis libérales comme la nôtre, n'a jamais décollé sur le plan des techno-sciences ? C'est donc qu'il y a sans doute un lien direct entre les développements du capitalisme et ceux de la technique, jusqu'à en arriver à l'autonomie de la technique, où elle a sa volonté propre et échappe au contrôle de l'Homme, qui se croyait pourtant mesure de toute chose, dans la démesure, l'hybris. »

Émile : « @Erwan. C’est vrai je ne vous réponds pas souvent, certainement car cela me prendrait trop de temps, veuillez bien m’en excuser.
Nous risquons aussi de lasser et de passer pour Bouvard et Pécuchet à écrire des tartines sur des sujets abscons reconnaissez-le.
Essayons donc d’être légers, ça ne sera pas facile...
Je crois que nous croyons tous les deux que l’autonomie de la technique est quelque chose de menaçant à l’oeuvre dans notre monde, quelque chose s’apparentant à la volonté de puissance, au nihilisme : une volonté aveugle qui se veut elle-même. L’efficacité comme une fin en soi.
Cette autonomie de la technique est une lame de fond de l’Occident qui a emporté tout devant elle et qui est devenue un phénomène mondial, un phénomène humain.
Ce qui nous oppose c’est l’idée que cette vague nihiliste serait le fait du libéralisme, une doctrine politique bien postérieure à la métaphysique occidentale qui en est le véritable creuset. Michéa en qui vous vous retrouvez a des analyses très intéressantes sur cette doctrine, en bref il pense qu’elle se résume à la régulation de la société par le droit et le marché, qu’elle est l’empire du moindre mal, cherchant à réguler l’activité humaine à la façon d’un système homéostatique. Il montre en quoi un tel système est fondamentalement instable et tend naturellement vers le conflit de tous contre tous. Tout ceci est assez convaincant mais que propose-t-il ? Rien, de vagues appels à un socialisme originel qui sent son bon sauvage malgré ses dénégations. Il part de l’idée que le libéralisme ne fait pas confiance en l’homme, que c’est une doctrine profondément pessimiste, je trouve que c’est vraiment court et prêchi-prêcha.
L’homme n’est pas bon ou mauvais, il est toujours en devenir, il est insaisissable, inquiétant, imprévisible. Le libéralisme décrit par Michéa est, comme le disait Churchill le moins mauvais des systèmes, Michéa le reconnaît lui-même, c’est même l’origine du titre de son livre : L’empire du moindre mal. Je ne vois pas en quoi son appel aux bons sentiments, à la Common Decency réglerait les problèmes d’instabilité des sociétés humaines, qu’aucun système ne saurait définitivement réguler à mon humble opinion.
Mais revenons à l’autonomie de la technique et son déploiement planétaire. Peut-être, effectivement, les marchés en sont-ils une émanation, le système le plus efficace pour assurer son développement, certainement même, mais accuser le vieux libéralisme des lumières de ce qui se passe, s’est je crois manquer le phénomène. C’est notre profond besoin de sécurité, notre volonté de nous protéger de la nature, notre incessante projection dans l’avenir qui est le phénomène véritable (notre auto domestication selon Sloterdijk). Je ne vois pas comment nous pourrons renoncer ou faire renoncer à ce qui semble être notre essence même, le souci comme dit l’autre.
Peut-être pouvons nous éviter le pire, c’est à dire l’effondrement sur lui-même de notre monde, mais peut-être n’y a-t-il pas d’autres solutions que de faire confiance jusqu’au bout à ce processus terrifiant. Je ne sais rien, je vois comme vous ce qui se déploie c’est tout. Je suis persuadé par contre que toutes les tentatives socialistes de bâtir un homme nouveau libéré du mal débouchent systématiquement sur les pires horreurs. Je crois plutôt que le salut viendra des efforts individuels du plus grand nombre vers une meilleure connaissance de soi-même, c’est aussi vague que ce que propose Michéa mais c’est potentiellement moins sanglant. Nos amis islamistes viendront peut-être nous mettre tous d’accord d’ici là... »

Moi : « Réponse géniale comme d'habitude, en tout cas vous ne me décevez pas. »

Émile : « Vous me mettez mal à l’aise, et ça c’est mal ! »

Moi : « Émile, juste une précision et pourquoi je ne pourrai jamais devenir libéral, car ce serait trahir mes ancêtres...
Mes grands-parents maternels parlaient le bas-breton, avant même d'apprendre le français. La génération de ma mère, leur fille, une baby-boomeuse devenue progressiste libérale-libertaire a trahi ses origines populaires et la langue bretonne, en même temps elle a trahi sa descendance. Elle a profité égoïstement d'un enrichissement ponctuel porté par la conjoncture et n'a pas jugé bon éventuellement de transmettre quoique ce soit à sa progéniture ; mais y avait-il quelque chose à transmettre ? Sinon l'intransigeance, l'égoïsme, la cruauté, quelque chose de propre à la bourgeoisie : une sorte d'indifférence profonde au sort d'autrui et à la misère, que l'on côtoie éventuellement lorsque l'on est bourgeois, en hochant le menton et une moue de dégoût sur les lèvres... Bref une dureté intrinsèque à laquelle je n'ai jamais pu me résoudre, et que ma génitrice a calqué dans sa façon de se comporter à mon égard.
Personnellement j'ai tout perdu, l'héritage de mes grands-parents qui leur venait de leurs ancêtres et qui était profondément empreint de décence commune (Common Decency, George Orwell), et je n'ai pas pu ou pas voulu accéder au statut bourgeois quand j'ai compris le sacrifice que cela demandait : le sacrifice de la part populaire de l'humanité, et à laquelle un Michéa ou un Guilluy sont sensibles, c'est pour ça qu'ils me « parlent »... Comme le disait mon père qui avait fini par détester ma mère et moi avec elle, elle s'est conduite comme toutes ces Bretonnes qui montaient sur Paris et exerçaient le métier de prostitué.
Ma mère s'est prostituée, bien que ce ne fut pas son titre officiel, à la bourgeoisie parisienne dans une optique vénale et purement égoïste, sans aucun souci de sa progéniture...
Non Émile vous vous trompez, la décence commune ce n'est pas un prêchi-prêcha qui renverrait aux Khmers rouges si l'on tentait de la réaliser. C'est une réalité concrète qui existait encore il y a peu dans des campagnes pas si reculées que ça, et qui rendait la vie en commun bien plus douce qu'elle ne l'est actuellement. Je pense sincèrement que Michéa et Orwell avant lui, ont davantage ce modèle populaire dans la tête, propre à nos campagnes et à un genre de bon sens populaire auquel de Gaulle était encore sensible et hélas en totale voie de disparition, qu'à celui mis en oeuvre par les Khmers rouges. »

Gaston : « Tout à fait d'accord. Je n'avais pas lu votre texte avant de réagir, mais la notion de common decency est en effet une clé pour comprendre le problème. Absolument. »


2 commentaires:

  1. Il me semble que vous considériez le fait de devoir travailler comme un malheur.
    Personnellement, moi qui suis à la retraite, j'ai toujours considéré cela comme un bonheur.
    Je n'envie pas particulièrement les rentiers.

    Le problème est qu'il faut pouvoir vivre correctement de son travail.
    Actuellement, cela n'est plus le cas.
    De plus le retour sur impôts se fait sur les métropoles et le périphérique est délaissé (mis à part la proche banlieue)

    Cela me semble une grande injustice.
    Grandes écoles, musées, facilité de déplacement, services publics etc sont concentrées dans les métropoles.
    La grande concentration des personnes coûte très cher et est inhumaine pour ceux qui doivent y venir travailler.

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    1. C'est ce qu'on a fait du travail que j'estime comme un malheur, et au premier chef la loi Le Chapelier, directement issue de la Révolution française qui a supprimé l'association des artisans en corporations et l'amour du travail bien fait. Certes cela ne l'a pas empêché d'être guillotiné ! Aujourd'hui le travailleur et le travail ne sont plus considérés comme une fin, mais comme un moyen en vue d'une accumulation de richesses (paradigme calviniste puis néolibéral...), qui au passage ne profite qu'à une oligarchie qui détient, en plus d'exploiter tout le reste de la population comme si cela ne lui suffisait pas, tous les pouvoirs. La situation est explosive et insurrectionnelle, et c'est tout à fait légitime !

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