dimanche 19 février 2017

La peur



Il y a un paradoxe à dire : « La société contemporaine, refusant la souffrance, obsédée par la sécurité, la  prévention et le bien-être, ne peut plus se reconnaître en Jacques Brel » ; alors que selon moi une société a rarement généré autant de souffrances que la nôtre. Pour se préserver les gens cherchent à occuper de petits postes de pouvoir pour pouvoir se mettre à l'abri, et rejeter la responsabilité de leur incompétence sur leurs subalternes, et cela dans absolument tous les échelons de la société on le retrouve. Le monde se divise en bourreaux et victimes, et la grande majorité sont des victimes qui à défaut de savoir se rendre heureux les uns les autres, se font la guerre, par manque absolu d'imagination et d'espoir. Ils préfèrent s'en remettre aux rêves de fous de nos dirigeants progressistes, eux-mêmes sous la coupe d'une poignée d'oligarques richissimes aux délires mégalomaniaques d'immortalité et de puissance matérielle illimitée. Ces derniers qui contrôlent désormais réellement le monde nous entraînent effectivement vers l'abîme, dans le pur déni de toute idée démocratique, c'est-à-dire dans le pur déni que la majorité des hommes soient capables de raison, mais seulement de pure méchanceté dans leurs rapports les uns aux autres. C'est pour cela que l'on peut qualifier à juste titre notre modernité d'oligarchie et non plus de démocratie. La démocratie est morte avec Thatcher, Reagan et l'esprit de collaboration désormais constitutif de tout Français de service, celui du temps fut Mitterrand.

Seulement voilà les faits leur donnent raison. « Vous voyez » nous disent-ils, « vous n'êtes capables de vous comporter les uns envers les autres que comme des bêtes féroces, et il n'y a donc que le commerce, dont vous devez nous laisser le contrôle de l'organisation (par la mondialisation, l'innovation et la destruction son corollaire), qui soit finalement capable d'adoucir vos mœurs. » Et cela selon la vieille doxa libérale énoncée déjà par Adam Smith, dont l'idéologie fut exacerbée avec le tournant néolibéral impulsé par Thatcher et Reagan : « Occupez-vous de votre bonheur de la façon la plus égoïste et perverse qui soit, et cela conformément à votre nature misérable, car nous avons une vision pessimiste de la nature humaine, et nous nous chargerons de l'organisation de la société par l'économie. »

Je ne partage pas cette vision misérabiliste de la nature humaine, qui est pourtant à l'origine du monde actuel, dans lequel nous ne vivons plus mais survivons. Ce n'est pas que les gens soient méchants en soi, soient en soi un peuple de démons pourvu qu'ils aient quelque intelligence (Kant), mais c'est le fonctionnement de notre société qui a favorisé cet état de fait, pour reprendre une idée de Rousseau.
Le malheureux philosophe, catapulté dans notre monde, ne reconnaîtrait aucune de ses idées, mais une exacerbation de la perversion sociale induite par la logique libérale. Un slogan de 68 était « cours camarade le vieux monde est derrière toi » ; or nous sommes arrivé à un moment où est peut-être venu le moment de regarder en arrière, et devant le futur effroyable qui se profile à l'horizon, de se dire : « ralenti mon ami, le monde de demain, celui de la Silicon Valley et du transhumanisme est devant toi. »

Le devoir de chacun n'est peut-être pas d'adhérer aux valeurs progressistes, mais au contraire de leur résister de toutes ses forces, afin de ne pas cautionner la folle fuite en avant du monde actuel. Toute forme de réussite matérielle, s'apparente peut-être aujourd'hui à une forme de collaboration avec l'ennemi, qui nous considère tous collectivement comme ontologiquement des misérables existentiels, définis philosophiquement comme tels par les premiers penseurs libéraux, en réaction aux guerres de religions et leur corollaire de massacres au nom du bien. Mais n'y a-t-il pas un troisième voie possible entre la guerre civile au nom du bien (qui pointe son nez en Europe à travers le jihadisme), et la vision misérabiliste de la nature humaine définie par le libéralisme ?

L'affect qui domine actuellement n'est finalement pas la méchanceté, mais la peur. C'est cette dernière qui nous rend cruels, parce que nous avons perdu toute notion de la vie en commun, en collectivité, et même du bien commun qui est pourtant l'idée originelle de la République. Or c'est bien cette idée de bien commun que la propagande libérale aura fini par faire exploser. Jusqu'à faire exploser les familles en leur sein même, au nom des droits de l'homme : c'est ici la gauche progressiste, c'est-à-dire libérale-libertaire, qui se charge le mieux d'opérer ce travail de destruction.

Les images et les slogans diffusés par la propagande publicitaire nous encouragent à toujours plus d'individualisme et d'égoïsme, au nom de la modernité libérale. Cette dernière veut nous faire croire qu'au bout de l'effort se trouve le bout du tunnel, avec l'avènement d'un humanité radieuse, débarrassée de toutes ses contingences issues du passé, comme la souffrance. « Sécurité, prévention et bien-être » sont en réalité les fers de lance de la propagande libérale qui se diffuse à travers tous les médias. Ils ne sont pas, j'en ai la conviction intime, au cœur des aspirations les plus profondes de l'humanité, qui pousseront toujours l'Homme si il n'est pas totalement corrompu par la manipulation de son esprit induite par la propagande libérale, à admirer davantage un Jacques Brel qu'un Bill Gates.

Cependant la machine infernale de la propagande libérale est désormais « en marche » (pour reprendre le slogan de Macron), et commence à trouver seulement aujourd'hui sa pleine mesure. Son emprise sur le monde entier, se fait comme sous l'effet d'une mâchoire qui loin de desserrer son étau, ne fait chaque jour qui passe que s'accentuer un peu plus. Toute le monde en a une conscience diffuse plus ou moins développée qui peut engendrer la peur. Lorsque cette conscience est trop forte, elle devient tellement prégnante que la peur paralyse toute volonté et inhibe l'action. Tout comme une proie devant un serpent préfère parfois se jeter dans sa gueule plutôt que de fuir.

Les progressistes de toute obédience, qu'ils soient de droite ou de gauche, ne croient finalement pas en la bonne volonté de l'homme et ont en réalité une vision très pauvre de sa nature. Ils préfèrent ainsi favoriser l'inhibition de tout ce qu'il pourrait y avoir de bon en lui, et privent donc l'humanité de toute chance d'accéder au bonheur en la condamnant à un genre de damnation de son vivant. C'est profondément injuste parce que jusqu'à preuve du contraire, la vie est pour chacun le seul bien qu'il possède.

2 commentaires:

  1. Erwan, vous êtes méritant car vous êtes constant dans vos laïus.
    A mon sens, il n'y a que trois catégories d'humains :
    1 - malheureusement la plus fournie, celle des hommes que la nature n'a pas avantagé intellectuellement parlant...
    2 - ceux qui croient à l'universalité humaine et qui voudraient la voir s'appliquer socialement de manière internationale...
    3 - ceux qui comme le chantait Brassens croient qu'ils sont nés quelque part et qui ne raisonnent que localement ou nationalement...
    Aux élections présidentielles, comptez les bien, il n'y aura aucun candidat relevant de la 1ère catégorie. Il n'y en aura qu'un ou deux de la 2ème catégorie. Tous les autres relèveront de la 3ème.
    A vos bulletins !

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  2. La peur est une chose absolument normale quand elle est proportionnée au danger.

    A la limite, quelqu'un qui m'annoncerait les pires calamités et qui n'aurait pas peur j'aurais des doutes sur sa santé mentale.

    Mais ce qui fait que nous sommes des hommes et pas des mollusques (je n'ai rien contre ces petites bêtes) c'est aussi de savoir surmonter sa peur !
    Il y faut du courage, mais du courage nous en avons tous au fond de nous, et il faut être fier d'être courageux, même si cela va à l'encontre de certains qui voudraient nous voir réduits à l'état de larve, nous voir ramper !

    Précisément ceux qui ont le plus peur sont ceux qui doivent faire le plus d'effort sur eux-mêmes pour être courageux : en ce sens ils sont les plus méritants !

    Et n'oublions pas la solidarité : les plus courageux ont le devoir d'aider les plus faibles !

    Haut les Coeurs !!!

    Marc.

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