"La
"ligne de fuite" s'est vue promptement reterritorialisée, de façon on
ne peut plus fascisante...", joli ! Je ne pense pas que l'on puisse
réduire Heidegger à son adhésion au parti nazi et qu'il y a beaucoup de choses
à sauver chez lui. Nietzsche disait qu'il n'y avait pas de faits mais que des
interprétations, de même que l'interprétation qui peut être faite de son œuvre,
de gauche ou de droite. Pour ma part je n'ai connu à la Sorbonne que des profs
se réclamant d'un Nietzsche "de gauche", dont Sarah Kofman, Jean
Maurel ou Élisabeth de Fontenay, vers la fin des années 80 et le début des
années 90.
Qu'est-ce
qu'on fait alors, on biffe Heidegger et on se prive de penser l'autonomie de la
technique ? On biffe Nietzsche et on se prive de penser la modernité ? On
revient à un pur idéalisme kantien qui valide le pouvoir de la raison ? Oui
mais sauf que Kant par le biais de la "banalité du mal" développée
par A. Arendt n'est lui-même pas tout blanc dans cette affaire de barbarie
nazie, idem pour Hegel et sa vision dialectique de l'Histoire. C'est en réalité
toute la philosophie allemande qui s'est compromise ; faut-il comme Jankélévitch
tourner le dos à toute la culture allemande ? Faut-il biffer Foucault, Deleuze,
Derrida parce qu'ils se sont inspirés de la philosophie allemande ? Peut-on
penser après Auschwitz ? Non, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a aucun PARDON possible comme le disait Jankélévitch. Donc abstenons-nous de
penser et adonnons-nous à la religion du consumérisme, tout ira pour le mieux
dans le meilleur des mondes festifs - dont Philippe Muray fait une description
jubilatoire ? D'autant plus que le wokisme, tout comme le nazisme, sont des interprétations très réductrices et tendancieuses de l'œuvre nietzschéenne.
Le
débat ne demande pas selon moi à être simplifié mais complexifié, en s’aidant
de tous les outils mis à notre disposition ; et non en s’interdisant de penser
parce que tous ces outils seraient biaisés. De toute façon il faut accepter que
toute pensée humaine soit imparfaite et biaisée, par définition. Nul système
aussi brillant qu’il puisse paraître ne comporte des failles par où viennent
s’introduire les interprétations tendancieuses, comme le wokisme. Réduire toute
la pensée de Foucault, Deleuze, Derrida, à une "vaste escroquerie" parce
qu’elle engendrerait aujourd'hui des interprétations, tendancieuses, biaisées,
et fascisantes, comme c'est vite dit ! Malheureusement la plupart des gens préfèrent des réponses toutes faites à des questions complexes.
C'est
assez normal que Bouveresse "vomisse" Nietzsche penseur de
l'interprétation issue du sentiment de l'absurde, puisqu'il est un tenant de la
philosophie analytique. Il est le défenseur du courant analytique en terres
philosophiques continentales… Tout le courant herméneutique issu de la pensée
nietzschéenne doit lui paraître irrationnel. Bouveresse a surtout réglé son
compte à toute une philosophie herméneutique nietzschéenne "de
gauche" qui rencontrait un grand succès quand lui n'en avait aucun.
J'aurais
dû être plus nuancé et dire plutôt que "vomisse", que Bouveresse
"a du mal à comprendre Nietzsche penseur de l'interprétation issue du
sentiment de l'absurde", ce que ne peut lui permettre son approche
analytique et non "sophistique". L'approche analytique est biaisée en
elle-même car elle s'interdit l'herméneutique. Or je pense que Nietzsche a
effectivement tout dit et son contraire ; ce qui peut laisser place à des
interprétations de droite et de gauche, selon la sensibilité de chacun ; c'est ce
qui fait aussi la richesse de sa pensée qui est non partisane, non binaire, non
castratrice, ouverte à tous les fantasmes qui structurent la personnalité de
chacun, au passage tout le contraire de l'idéologie woke - castratrice par nature ; et sans imaginer que
sa pensée aurait pu être récupérée pour stimuler les fantasmes sadiques qui
structuraient l'imaginaire nazie.
La
pensée de Nietzsche n'est pas univoque mais équivoque, comme celle de Montaigne
d'ailleurs, l’implicite y règne en maître au détriment de l’explicite,
l’ambivalence et l’ambiguïté, le second degré également : toutes choses que nos
contemporains, surtout wokistes et adeptes du politiquement correct ne comprennent
plus du tout. Faire l'amalgame entre la pensée de Nietzsche et ses fâcheuses
"conséquences" wokistes, me paraît relever du contresens le plus
complet.
POUR
AU CONTRAIRE RÉHABILITIER NIETZSCHE ET HEIDEGGER CONTRE TOUTE LES TENTATIVES DE
SIMPLIFICATION ANALYTIQUE D’ORIGINE ANGLO-SAXONNE, - je n’ai rien a priori
contre les Anglo-Saxons, mais comme l’a fort bien montré Nietzsche, en
matière de pensée ils sont très étriqués.
Dans
l'œuvre de Nietzsche la chose la plus importante y est moins ce qu'on dit que
la force avec laquelle on dit cela, qui permet d'affirmer des choses
contradictoires d'un point de vue analytique, mais pas du point de vue de la
pensée dont Heidegger dit qu'elle est toute autre chose qu'un développement
logique qui s'appuierait sur des axiomes, mais un CHEMINEMENT. La science
"ne pense pas" selon Heidegger précisément pour cette raison : elle
n’est pas un cheminement. Même si la logique depuis Aristote et Platon a
toujours constitué un élément important de la philosophie, il faut bien voir
que Nietzsche s'inscrit davantage dans le mouvement sophistique pour qui le
principe de non contradiction n'est pas rédhibitoire. Parce que ce principe de
non contradiction constitue encore un arrière monde de philosophe, alors que Nietzsche
s'efforce d'avoir une approche poétique de la réalité dont le projet
philosophique ultime est de féconder des créateurs et non des idéologues
fascisants et sectaire, dans un monde où « Dieu est mort
».
Faire
de Nietzsche un penseur exclusivement de droite (ce qu'il est aussi !)
constitue pour moi un a priori rédhibitoire que j’attribue à sa formation
analytique. Bouveresse : « Nietzsche en penseur politique, défenseur d'un
radicalisme aristocratique selon lequel la masse du peuple doit obéir,
travailler et être asservie pour que l'élite puisse être libre, commander et
créer. », au fond nous y sommes et il n’y avait pas besoin de Nietzsche pour
cela ; la déformation des idéaux des Lumières par le capitalisme y a pourvu
assez bien - un jouet entre les mains des bourgeois pudiquement rebaptisés bobos.
Nietzsche est le philosophe du "en même temps", bien avant notre
président néolibéral... et "philosophe" (sic) selon les mots de Brice
Couturier.
Enfin
pour terminer je vais être un peu caustique, voire cynique, parce que je m'en
fais régulièrement la réflexion à moi-même ; qui vous dit que replacé dans le contexte de l'époque et si vous aviez été allemand voire français, vous n'auriez pas admiré
Hitler ? Il y a tellement aujourd'hui dans les médias des "résistants
d'opérette" qui se réfèrent constamment à Hitler pour distribuer des points Godwin et qui le voient partout chez leurs adversaires, pensant que s'ils avaient
été présents à l'époque ils auraient pu changer le cours de l'histoire, c'est tellement
facile et peu glorieux dans le temps de l'après-coup !
Mais
qu'en savent-il seulement à l'aune de leurs convictions présentes que favorise
la doxa d'aujourd'hui et ses lois liberticides de la liberté d'expression (contrairement à la législation américaine du premier amendement) que dénoncent d'ailleurs Noam Chomsky ; généralement pour interdire toute opinion divergente
dans un bel unanimisme antifasciste, se transformant parfois en fascisme... woke
! s'ils avaient été soumis à la pression de l'époque ? Je ne dis pas ça pour
défendre Hitler ni pour tenter de réhabiliter d’une quelconque façon le
personnage monstrueux et ceux qui ont encore aujourd'hui pour lui une forme
d'admiration, mais je pense que ceux qui voient des Hitler ainsi que des
disciples de Hitler à combattre, partout, de façon hystérique, sont peut-être
ceux qui l’auraient adulé avec le plus de ferveur de son vivant.
Pour
ceux qui prétendent qu’ils n’auraient jamais été séduit par un tel personnage,
je leur réponds le problème est que la pression social et la doxa dominante de
l'époque les auraient peut-être forcés à être "séduit", l'homme est
avant tout une animal social, un zoon politikon ; c'est l'idéologie
libérale qui prétend qu'il un INDIVIDU libre et autonome qui se réalise par son
travail au service de l'intérêt général, si l'on rajoute l'amour cela forme la doxa
freudienne : "qu'est-ce qu'être normal, c'est aimer et travailler".
Tout cela n'est qu’une vaste fumisterie, l'homme a besoin de vivre en
communauté, de partager en commun comme le disait Marx, au moins dans la
famille - mais cette dernière est souvent toxique ; il ne se définit et ne
s'épanouit qu'au sein de la RELATION. Et cette relation est toujours relation à
un AUTRE.
Je
pense au contraire que le but ultime de la philosophie de Nietzsche était de
féconder l’élan créateur quelle que soit sa provenance sociale, il ne cesse d’ailleurs
dans toute son œuvre de rétablir la figure du criminel, victime des circonstances,
traîné dans la boue par le troupeau des faibles alors qu’il est lui-même détenteur d’une
vérité qui le rapproche de l’artiste. Si ce n’est pas être de gauche ça !
Le
problème de Nietzsche est surtout qu'il a mis la barre beaucoup trop haut pour
les médiocres bassement matériels et vénaux que nous sommes pour la plupart,
qui explique que son œuvre fasse davantage recette pour produire des idéologues wokistes bornés plutôt que pour féconder des créateurs véritables : encore une fois,
cela ne s’explique pas par l’œuvre de Nietzsche mais par la médiocrité de ceux
qui font sur lui un travail d’interprétation - surtout que toute interprétation dépend de ce que l'on y met de soi-même ; ou plus exactement de l'herméneutique de l'herméneutique faite par Foucault, Derrida, Deleuze. Ou encore une herméneutique de l'herméneutique de l'herméneutique etc. Effectivement Nietzsche pour beaucoup c'est un peu l'ours de "l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours" ; peu de gens ont le courage et la patience de se confronter, dans le cas de Nietzsche, à la source la plus ardue, et préfèrent se contenter de commentaires de commentaires.
La Volonté
de Puissance, l’ouvrage est une manipulation de la sœur de Nietzsche à partir
de fragments isolés, voire elle en a peut-être tout simplement inventé certains,
sans liens les uns avec les autres et présentée comme une démarche structurée,
c'est une falsification grotesque.
Sans
vouloir me livrer à une analyse sauvage, je crois surtout qu'à travers
Bouveresse qui est un penseur médiocre empli de ressentiment pour la pensée continentale, beaucoup
cherchent à brûler leurs anciennes idoles. Mais c'est bien ils sont sur la
bonne voie, ils font preuve d’une démarche iconoclaste nietzschéenne.
J'espère
qu’ils ne sont pas de ceux qui pensent que c'est le dernier qui a parlé, en l’occurrence
Bouveresse qui a raison. "La nouveauté c'est vieux comme le monde."
Enfin
sur ce que dit Deleuze sur la vignette : « Être de gauche c’est d’abord penser
le monde , puis son pays, puis ses proches, puis soi », une telle citation me
paraît être surtout de l’angélisme, typiquement de gauche dans ce qu’elle a de
plus stupide, qui met la vérité sur la tête, constituant l’alibi chez les plus
malsains, voire pervers, pour ne pas se préoccuper de leurs proches, pour
négliger leur famille, voire l’exploiter sexuellement comme l’a montré
l’affaire O. Duhamel, un cas pas si isolé que ça, une tendance lourde issue de
mai 68 et que Rousseau dénonçait déjà : "Tel philosophe aime les Tartares,
pour être dispensé d’aimer ses voisins" ; on pourrait rajouter pour être
dispensé d’aimer ses propres enfants, ce qui constitue le premiers des devoirs
ou essayer de faire semblant puisque l'amour ne se commande pas. C'est
justement parce que l'amour ne se commande pas que le devoir est là pour y
pourvoir, c'est l'un des enseignement du judéo-christianisme et de la morale
kantienne ; nos désirs ne peuvent pas tout et surtout ne doivent pas tout, car
le plus souvent ils font fi de l'altérité : la maladie du modernisme étant la
généralisation de la perversion narcissique.
Contre
Deleuze et sa vision déterritorialisée et nomade il faut sauver la famille et
la communauté, voire réhabiliter l’idée de communauté religieuse d’origine
catholique en France, surtout parce que c’est le néolibéralisme bien plus
encore que la gauche qui tente de les faire exploser. Enfin l’individu n’est
rien sans la famille et la communauté ; les droits de l’homme qui s’adresse à
l’individu et qui ne défendent souvent que ses petits intérêts mesquins et
vénaux, sont une construction des Lumières, une « robinsonnade » comme dirait
Marx, une très pâle interprétation de Rousseau et de Diderot dont on a
instrumentalisé les pensées pour les associer aux intérêts de la bourgeoisie
via le capitalisme ; une construction qu’il serait bon de remettre en
question, de déconstruire - mais alors qu’ils déconstruisent tout le reste les
wokistes se désintéressent du capitalisme, tandis que la pensée de Marx qui s’était attelée à cette déconstruction est devenue obsolète ; une construction de la
bourgeoisie plus que des Lumières d’autant plus néfaste que selon une certaine
conception libérale anglo-saxonne très pessimiste sur la nature humaine, cette
dernière se caractériserait par une impulsion naturelle au mal que l’on doit
encourager par le vice plutôt que de la réfréner comme dans le
judéo-christianisme par la vertu ; c’est la logique de la religion du
consumérisme et du commerce. Seuls les Grecs très optimistes sur la nature
humaine avaient pressenti que l’homme pouvait avoir une prédisposition
naturelle au bien, et l’avaient encouragé dans cette voie : souhaitons ou
plutôt rêvons qu'ils soient les seuls à ne pas s'être trompés.
NIETZSCHE
PENSEUR DU SURHOMME ET DU GRAND STYLE N'EST PAS UN PHILOSOPHE POLITIQUE
Et
dans le même ordre d’idées vous ajoutez : « La philosophie de Nietzsche, je
crains que. B. Russell et J. Bouveresse aient raison à ce sujet, constitue bien
une forme d'élitisme aristocratique... Peut-on sortir d'une société composée de
maîtres (le camp nietzschéen) et d'esclaves (le camp chrétien) ? C'était le
pari de la social-démocratie, visant à promouvoir une classe moyenne... Je
crains que ce pari soit aujourd'hui en voie d'obsolescence programmée. » En
gros pour vous la philosophie de Nietzsche légitime la logique néolibérale (là
je ne suis pas d’accord car Nietzsche est très rarement un penseur politique et
n'a rien à voir avec le libéralisme), foncièrement inégalitaire nous sommes
bien d’accord sur ce dernier point. D’ailleurs assez cocassement bon nombre
d’aphorismes de Nietzsche sont repris comme des slogans dans la publicité pour
vanter les mérites de tel ou tel produit. La logique inégalitaire est dans les
fondements mandevilliens du libéralisme, sans avoir besoin d'avoir recours à Nietzsche.
Cependant
le projet ultime de sa philosophie était selon moi de féconder des artistes
créateurs (Nietzsche de gauche) bien plus encore qu’une aristocratie politique
(Nietzsche de droite). Il avait pris acte de la mort de Dieu donc de la mort du
Christ et du christianisme, il avait donc le désir de féconder des créateurs
d'un type nouveau axé sur le modèle du surhomme et du grand style ne devant
plus rien au modèle chrétien qui avait pourtant si prolifiquement fécondé l’art
durant bien plus de mille ans. Il disait que les artistes devraient renoncer à
prendre pour modèle l’agonie du Christ dans l’acte de création – modèle dont au
passage un écrivain comme Houellebecq dit se revendiquer, vomissant Nietzsche
et son amoralisme.
Je
crois qu’il voulait aussi qu’on assiste à un regain et à un âge d’or de la
culture gréco-romaine sur le modèle de la tragédie grecque et de l’opposition
entre apollinien et dionysiaque, comme cela s’était produit durant la période
de la Renaissance qu’il admirait. Il rêvait d’être le prophète de cet âge d’or
aristocratico-esthétique à travers son Zarathoustra qui avait vocation à servir
de méthode.
Il
avait la dent très dure envers les chrétiens, d’autant plus que lui-même avait
échappé de peu à une carrière de pasteur alors que toute sa généalogie
familiale l’y destinait. Malgré des paroles parfois très dures envers les
Juifs, il détestait l’antisémitisme allemand qu’il définissait comme un poison
et avait pour eux plus bien plus d’indulgence (que pour les chrétiens) puisqu’il
disait qu’ils seraient un jour amenés à devenir les guides et les maîtres de
l’Europe, c’est-à-dire les nouveaux aristocrates dans le projet d’un âge d’or
aristocratico-esthétique ou élitistement artistique. Aristocrates au sens
d’artistes, de créateurs, et non pas de maîtres politiques. Le but de Nietzsche
n’était pas de fonder une nouvelle élite politique.
Le
projet de Nietzsche n’est donc pas selon moi politique, ou très peu,
contrairement à un Machiavel ou un Mandeville. Ce qu’on peut en revanche lui
reprocher c’est son amoralisme foncier (le point commun avec le libéralisme
mandevillien) qui doit inspirer bien des « créateurs » dans le domaine
publicitaire.
Je
souscris à votre propos, à un point près : je pense que le "maître"
nietzschéen n'est pas seulement un artiste (c'est la lecture de J.-N. Vuarnet,
dans son essai Le Philosophe-artiste), c'est aussi un maître au plan politique,
comme Machiavel l'annonçait en effet, un maître sans scrupule, la moraline
étant réservée aux faibles, aux esclaves... Pourquoi Nietzsche se serait-il
arrêté au seuil du domaine de la grande politique ? Fallait-il selon lui
laisser le gouvernement de la cité aux prêtres ou aux socialistes ? Il n'a pas
de mots trop durs pour les vilipender, ces hommes du ressentiment.
Nous
n'y sommes pas du tout avec le libéralisme dont la logique est certes
inégalitaire - un bon point pour Nietzsche. Les maîtres n'y sont pas des
aristocrates mais des plébéiens enrichis aux goûts aussi vulgaires que les
gueux, mais certes amoraux - encore un bon point pour Nietzsche ; voire
immoraux : des pervers selon Mandeville amenés à prendre le contrôle de la Cité
parce qu'ils sont les pires de tous les hommes, the worst of them, (cf.
Dany-Robert Dufour).
Je ne pense pas que Nietzsche aurait pu se reconnaître dans ces hommes
politiques contemporains (hormis peut-être la tentative de Zemmour !), idem
pour ces milliardaires qui les font et défont, tous ces people si dénués de toute forme de noblesse, aux goûts si vulgaires qu'ils partagent d'ailleurs avec les hommes
du ressentiment, lui qui revendiquait comme modèle politique absolu le grand
siècle de Louis XIV (encore un modèle qui le rapproche de Zemmour).
Nous
en sommes à des années-lumière. Et c'est entièrement la logique libérale dont
la conception remonte à Mandeville et Adam Smith qui explique les inégalités
actuelles, Nietzsche n'étant pas un libéral (encore moins un socialiste certes)
et sa conception aristocratique du pouvoir politique n'y étant absolument pour
rien. Car sa conception du pouvoir politique est calquée sur un modèle
esthétique et amoral, c’est-à-dire aristocratique mais non libéral et immoral –
le vice c’est-à-dire le mal se transformant en bien pour les penseurs libéraux,
il faut l’encourager. C’est pour cela que faire l’amalgame entre
l’inégalitarisme foncier du libéralisme associé au capitalisme avec
l’inégalitarisme aristocratique de Nietzsche me paraît constituer un
contresens. Je pense que Nietzsche aurait vomi l’inégalitarisme libéral, parce
qu’il ne débouche pas sur une morale aristocratique chez les maîtres mais sur
leur perversion comme l’explique et le justifie très bien Mandeville pour la
conduite de l'économie (cf. Dany-Robert Dufour ; Baise ton prochain)
Pour
moi qui ne suis pas un apologiste de la Révolution française je peux très bien
comprendre la position nietzschéenne, et je pense que l’on vivait, même chez
les gueux, plus agréablement sous l’ancien régime que sous le régime actuel -
parce que le monde y était enchanté par un catholicisme syncrétique imprégné de
paganisme, et qu’il n’y était pas soumis à l’arraisonnement par la technique.
D’ailleurs les gueux de l’ancien régime n’ont rien à envier aux gueux actuels, «
sans dents », « riens », qui sont pléthores.
POUR
ME DÉMARQUER DE NIETZSCHE ET DE SA MORALE ARISTOCRATIQUE
Je
dirais que suis de ceux qui pensent que le degré de bien-être ou d'aliénation
d'un homme n'est pas directement proportionnel à ses bonnes ou mauvaises
conditions de vie matérielles. Le progrès technique peut être un motif
d'aliénation, par rapport aux modes de vie plus simples, bien plus frustes de
nos ancêtres, plus proches de la nature aussi, ce que nous avons tendance à
oublier ; ancêtres reliés entre eux par la communauté religieuse. Le progrès
apporte du bien-être matériel, mais le prix à payer est un isolement bien plus
aliénant que la pauvreté et la simplicité lorsqu'elles sont tempérées par
l'appartenance à un monde commun fait de coutumes et de traditions partagées
dont le point commun est de célébrer la vie et la nature plutôt que de les
exploiter, comme fonds commun disponible afin de faire du profit.
Ce
monde commun qui était un catholicisme syncrétique imprégné de paganisme en
France jusqu'à il y a très peu de temps dans les terroirs les plus reculés
(vers la fin des années 70 chez les anciens), n'existe plus. Il n'y a plus que
des tribus, des individus en guerre les uns contre les autres ne recherchant
leur salut que dans l'argent se recroquevillant sur des droits (de l'homme)
mesquins, des modes liées au consumérisme, des codes vestimentaires ou de
langage permettant aux tribus de se reconnaître entre elles et de se
distinguer, des logiques de bouc-émissarisation qui excluent et ostracisent, du
communautarisme, mais plus de communauté. La crise que nous vivons aujourd'hui,
la violence qu'elle génère par rivalité mimétique généralisée non tempérée par
l'eucharistie (qui était le sacrifice symbolique d'un tiers indispensable à la
cohésion du groupe) est directement liée à la disparition de ce monde commun,
encourageant des mouvements de nostalgie pour le vieux monde dont Zemmour est
une des manifestations contemporaines.
Alors
bien sûr il n'y a plus de gens qui meurent de faim dans les rues, il n'y a plus
la peste, le choléra, la tuberculose... mais le prix à payer qui est
l'isolement et l'aliénation visibles à travers la consommation massive de
neuroleptiques, anxiolytiques, antidépresseur... au sein de la population, est
bien trop exorbitant. L'École et la Laïcité ne peuvent constituer à elles
seules des solutions exhaustives si elles ne s'accompagnent pas d'un retour à
des valeurs ancestrales prenant en compte la part de spiritualité qu'il y a en
l'homme et dont il a faim, plus encore que de simple nourriture et de biens
matériels.