vendredi 5 novembre 2021

Faut-il jeter le bébé philosophique d'origine allemande avec l'eau du bain wokiste ?


"La "ligne de fuite" s'est vue promptement reterritorialisée, de façon on ne peut plus fascisante...", joli ! Je ne pense pas que l'on puisse réduire Heidegger à son adhésion au parti nazi et qu'il y a beaucoup de choses à sauver chez lui. Nietzsche disait qu'il n'y avait pas de faits mais que des interprétations, de même que l'interprétation qui peut être faite de son œuvre, de gauche ou de droite. Pour ma part je n'ai connu à la Sorbonne que des profs se réclamant d'un Nietzsche "de gauche", dont Sarah Kofman, Jean Maurel ou Élisabeth de Fontenay, vers la fin des années 80 et le début des années 90.

Qu'est-ce qu'on fait alors, on biffe Heidegger et on se prive de penser l'autonomie de la technique ? On biffe Nietzsche et on se prive de penser la modernité ? On revient à un pur idéalisme kantien qui valide le pouvoir de la raison ? Oui mais sauf que Kant par le biais de la "banalité du mal" développée par A. Arendt n'est lui-même pas tout blanc dans cette affaire de barbarie nazie, idem pour Hegel et sa vision dialectique de l'Histoire. C'est en réalité toute la philosophie allemande qui s'est compromise ; faut-il comme Jankélévitch tourner le dos à toute la culture allemande ? Faut-il biffer Foucault, Deleuze, Derrida parce qu'ils se sont inspirés de la philosophie allemande ? Peut-on penser après Auschwitz ? Non, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a aucun PARDON possible comme le disait Jankélévitch. Donc abstenons-nous de penser et adonnons-nous à la religion du consumérisme, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes festifs - dont Philippe Muray fait une description jubilatoire ? D'autant plus que le wokisme, tout comme le nazisme, sont des interprétations très réductrices et tendancieuses de l'œuvre nietzschéenne.

Le débat ne demande pas selon moi à être simplifié mais complexifié, en s’aidant de tous les outils mis à notre disposition ; et non en s’interdisant de penser parce que tous ces outils seraient biaisés. De toute façon il faut accepter que toute pensée humaine soit imparfaite et biaisée, par définition. Nul système aussi brillant qu’il puisse paraître ne comporte des failles par où viennent s’introduire les interprétations tendancieuses, comme le wokisme. Réduire toute la pensée de Foucault, Deleuze, Derrida, à une "vaste escroquerie" parce qu’elle engendrerait aujourd'hui des interprétations, tendancieuses, biaisées, et fascisantes, comme c'est vite dit ! Malheureusement la plupart des gens préfèrent des réponses toutes faites à des questions complexes.

C'est assez normal que Bouveresse "vomisse" Nietzsche penseur de l'interprétation issue du sentiment de l'absurde, puisqu'il est un tenant de la philosophie analytique. Il est le défenseur du courant analytique en terres philosophiques continentales… Tout le courant herméneutique issu de la pensée nietzschéenne doit lui paraître irrationnel. Bouveresse a surtout réglé son compte à toute une philosophie herméneutique nietzschéenne "de gauche" qui rencontrait un grand succès quand lui n'en avait aucun.

J'aurais dû être plus nuancé et dire plutôt que "vomisse", que Bouveresse "a du mal à comprendre Nietzsche penseur de l'interprétation issue du sentiment de l'absurde", ce que ne peut lui permettre son approche analytique et non "sophistique". L'approche analytique est biaisée en elle-même car elle s'interdit l'herméneutique. Or je pense que Nietzsche a effectivement tout dit et son contraire ; ce qui peut laisser place à des interprétations de droite et de gauche, selon la sensibilité de chacun ; c'est ce qui fait aussi la richesse de sa pensée qui est non partisane, non binaire, non castratrice, ouverte à tous les fantasmes qui structurent la personnalité de chacun, au passage tout le contraire de l'idéologie woke - castratrice par nature ; et sans imaginer que sa pensée aurait pu être récupérée pour stimuler les fantasmes sadiques qui structuraient l'imaginaire nazie.

La pensée de Nietzsche n'est pas univoque mais équivoque, comme celle de Montaigne d'ailleurs, l’implicite y règne en maître au détriment de l’explicite, l’ambivalence et l’ambiguïté, le second degré également : toutes choses que nos contemporains, surtout wokistes et adeptes du politiquement correct ne comprennent plus du tout. Faire l'amalgame entre la pensée de Nietzsche et ses fâcheuses "conséquences" wokistes, me paraît relever du contresens le plus complet.

POUR AU CONTRAIRE RÉHABILITIER NIETZSCHE ET HEIDEGGER CONTRE TOUTE LES TENTATIVES DE SIMPLIFICATION ANALYTIQUE D’ORIGINE ANGLO-SAXONNE, - je n’ai rien a priori contre les Anglo-Saxons, mais comme l’a fort bien montré Nietzsche, en matière de pensée ils sont très étriqués.

Dans l'œuvre de Nietzsche la chose la plus importante y est moins ce qu'on dit que la force avec laquelle on dit cela, qui permet d'affirmer des choses contradictoires d'un point de vue analytique, mais pas du point de vue de la pensée dont Heidegger dit qu'elle est toute autre chose qu'un développement logique qui s'appuierait sur des axiomes, mais un CHEMINEMENT. La science "ne pense pas" selon Heidegger précisément pour cette raison : elle n’est pas un cheminement. Même si la logique depuis Aristote et Platon a toujours constitué un élément important de la philosophie, il faut bien voir que Nietzsche s'inscrit davantage dans le mouvement sophistique pour qui le principe de non contradiction n'est pas rédhibitoire. Parce que ce principe de non contradiction constitue encore un arrière monde de philosophe, alors que Nietzsche s'efforce d'avoir une approche poétique de la réalité dont le projet philosophique ultime est de féconder des créateurs et non des idéologues fascisants et sectaire, dans un monde où « Dieu est mort ».

Faire de Nietzsche un penseur exclusivement de droite (ce qu'il est aussi !) constitue pour moi un a priori rédhibitoire que j’attribue à sa formation analytique. Bouveresse : « Nietzsche en penseur politique, défenseur d'un radicalisme aristocratique selon lequel la masse du peuple doit obéir, travailler et être asservie pour que l'élite puisse être libre, commander et créer. », au fond nous y sommes et il n’y avait pas besoin de Nietzsche pour cela ; la déformation des idéaux des Lumières par le capitalisme y a pourvu assez bien - un jouet entre les mains des bourgeois pudiquement rebaptisés bobos. Nietzsche est le philosophe du "en même temps", bien avant notre président néolibéral... et "philosophe" (sic) selon les mots de Brice Couturier.

Enfin pour terminer je vais être un peu caustique, voire cynique, parce que je m'en fais régulièrement la réflexion à moi-même ; qui vous dit que replacé dans le contexte de l'époque et si vous aviez été allemand voire français, vous n'auriez pas admiré Hitler ? Il y a tellement aujourd'hui dans les médias des "résistants d'opérette" qui se réfèrent constamment à Hitler pour distribuer des points Godwin et qui le voient partout chez leurs adversaires, pensant que s'ils avaient été présents à l'époque ils auraient pu changer le cours de l'histoire, c'est tellement facile et peu glorieux dans le temps de l'après-coup !

Mais qu'en savent-il seulement à l'aune de leurs convictions présentes que favorise la doxa d'aujourd'hui et ses lois liberticides de la liberté d'expression (contrairement à la législation américaine du premier amendement) que dénoncent d'ailleurs Noam Chomsky ; généralement pour interdire toute opinion divergente dans un bel unanimisme antifasciste, se transformant parfois en fascisme... woke ! s'ils avaient été soumis à la pression de l'époque ? Je ne dis pas ça pour défendre Hitler ni pour tenter de réhabiliter d’une quelconque façon le personnage monstrueux et ceux qui ont encore aujourd'hui pour lui une forme d'admiration, mais je pense que ceux qui voient des Hitler ainsi que des disciples de Hitler à combattre, partout, de façon hystérique, sont peut-être ceux qui l’auraient adulé avec le plus de ferveur de son vivant.

Pour ceux qui prétendent qu’ils n’auraient jamais été séduit par un tel personnage, je leur réponds le problème est que la pression social et la doxa dominante de l'époque les auraient peut-être forcés à être "séduit", l'homme est avant tout une animal social, un zoon politikon ; c'est l'idéologie libérale qui prétend qu'il un INDIVIDU libre et autonome qui se réalise par son travail au service de l'intérêt général, si l'on rajoute l'amour cela forme la doxa freudienne : "qu'est-ce qu'être normal, c'est aimer et travailler". Tout cela n'est qu’une vaste fumisterie, l'homme a besoin de vivre en communauté, de partager en commun comme le disait Marx, au moins dans la famille - mais cette dernière est souvent toxique ; il ne se définit et ne s'épanouit qu'au sein de la RELATION. Et cette relation est toujours relation à un AUTRE.

Je pense au contraire que le but ultime de la philosophie de Nietzsche était de féconder l’élan créateur quelle que soit sa provenance sociale, il ne cesse d’ailleurs dans toute son œuvre de rétablir la figure du criminel, victime des circonstances, traîné dans la boue par le troupeau des faibles alors qu’il est lui-même détenteur d’une vérité qui le rapproche de l’artiste. Si ce n’est pas être de gauche ça !

Le problème de Nietzsche est surtout qu'il a mis la barre beaucoup trop haut pour les médiocres bassement matériels et vénaux que nous sommes pour la plupart, qui explique que son œuvre fasse davantage recette pour produire des idéologues wokistes bornés plutôt que pour féconder des créateurs véritables : encore une fois, cela ne s’explique pas par l’œuvre de Nietzsche mais par la médiocrité de ceux qui font sur lui un travail d’interprétation - surtout que toute interprétation dépend de ce que l'on y met de soi-même ; ou plus exactement de l'herméneutique de l'herméneutique faite par Foucault, Derrida, Deleuze. Ou encore une herméneutique de l'herméneutique de l'herméneutique etc. Effectivement Nietzsche pour beaucoup c'est un peu l'ours de "l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours" ; peu de gens ont le courage et la patience de se confronter, dans le cas de Nietzsche, à la source la plus ardue, et préfèrent se contenter de commentaires de commentaires.

La Volonté de Puissance, l’ouvrage est une manipulation de la sœur de Nietzsche à partir de fragments isolés, voire elle en a peut-être tout simplement inventé certains, sans liens les uns avec les autres et présentée comme une démarche structurée, c'est une falsification grotesque.

Sans vouloir me livrer à une analyse sauvage, je crois surtout qu'à travers Bouveresse qui est un penseur médiocre empli de ressentiment pour la pensée continentale, beaucoup cherchent à brûler leurs anciennes idoles. Mais c'est bien ils sont sur la bonne voie, ils font preuve d’une démarche iconoclaste nietzschéenne.

J'espère qu’ils ne sont pas de ceux qui pensent que c'est le dernier qui a parlé, en l’occurrence Bouveresse qui a raison. "La nouveauté c'est vieux comme le monde."

Enfin sur ce que dit Deleuze sur la vignette : « Être de gauche c’est d’abord penser le monde , puis son pays, puis ses proches, puis soi », une telle citation me paraît être surtout de l’angélisme, typiquement de gauche dans ce qu’elle a de plus stupide, qui met la vérité sur la tête, constituant l’alibi chez les plus malsains, voire pervers, pour ne pas se préoccuper de leurs proches, pour négliger leur famille, voire l’exploiter sexuellement comme l’a montré l’affaire O. Duhamel, un cas pas si isolé que ça, une tendance lourde issue de mai 68 et que Rousseau dénonçait déjà : "Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins" ; on pourrait rajouter pour être dispensé d’aimer ses propres enfants, ce qui constitue le premiers des devoirs ou essayer de faire semblant puisque l'amour ne se commande pas. C'est justement parce que l'amour ne se commande pas que le devoir est là pour y pourvoir, c'est l'un des enseignement du judéo-christianisme et de la morale kantienne ; nos désirs ne peuvent pas tout et surtout ne doivent pas tout, car le plus souvent ils font fi de l'altérité : la maladie du modernisme étant la généralisation de la perversion narcissique.

Contre Deleuze et sa vision déterritorialisée et nomade il faut sauver la famille et la communauté, voire réhabiliter l’idée de communauté religieuse d’origine catholique en France, surtout parce que c’est le néolibéralisme bien plus encore que la gauche qui tente de les faire exploser. Enfin l’individu n’est rien sans la famille et la communauté ; les droits de l’homme qui s’adresse à l’individu et qui ne défendent souvent que ses petits intérêts mesquins et vénaux, sont une construction des Lumières, une « robinsonnade » comme dirait Marx, une très pâle interprétation de Rousseau et de Diderot dont on a instrumentalisé les pensées pour les associer aux intérêts de la bourgeoisie via le capitalisme ; une construction qu’il serait bon de remettre en question, de déconstruire - mais alors qu’ils déconstruisent tout le reste les wokistes se désintéressent du capitalisme, tandis que la pensée de Marx qui s’était attelée à cette déconstruction est devenue obsolète ; une construction de la bourgeoisie plus que des Lumières d’autant plus néfaste que selon une certaine conception libérale anglo-saxonne très pessimiste sur la nature humaine, cette dernière se caractériserait par une impulsion naturelle au mal que l’on doit encourager par le vice plutôt que de la réfréner comme dans le judéo-christianisme par la vertu ; c’est la logique de la religion du consumérisme et du commerce. Seuls les Grecs très optimistes sur la nature humaine avaient pressenti que l’homme pouvait avoir une prédisposition naturelle au bien, et l’avaient encouragé dans cette voie : souhaitons ou plutôt rêvons qu'ils soient les seuls à ne pas s'être trompés.



NIETZSCHE PENSEUR DU SURHOMME ET DU GRAND STYLE N'EST PAS UN PHILOSOPHE POLITIQUE

Et dans le même ordre d’idées vous ajoutez : « La philosophie de Nietzsche, je crains que. B. Russell et J. Bouveresse aient raison à ce sujet, constitue bien une forme d'élitisme aristocratique... Peut-on sortir d'une société composée de maîtres (le camp nietzschéen) et d'esclaves (le camp chrétien) ? C'était le pari de la social-démocratie, visant à promouvoir une classe moyenne... Je crains que ce pari soit aujourd'hui en voie d'obsolescence programmée. » En gros pour vous la philosophie de Nietzsche légitime la logique néolibérale (là je ne suis pas d’accord car Nietzsche est très rarement un penseur politique et n'a rien à voir avec le libéralisme), foncièrement inégalitaire nous sommes bien d’accord sur ce dernier point. D’ailleurs assez cocassement bon nombre d’aphorismes de Nietzsche sont repris comme des slogans dans la publicité pour vanter les mérites de tel ou tel produit. La logique inégalitaire est dans les fondements mandevilliens du libéralisme, sans avoir besoin d'avoir recours à Nietzsche.

Cependant le projet ultime de sa philosophie était selon moi de féconder des artistes créateurs (Nietzsche de gauche) bien plus encore qu’une aristocratie politique (Nietzsche de droite). Il avait pris acte de la mort de Dieu donc de la mort du Christ et du christianisme, il avait donc le désir de féconder des créateurs d'un type nouveau axé sur le modèle du surhomme et du grand style ne devant plus rien au modèle chrétien qui avait pourtant si prolifiquement fécondé l’art durant bien plus de mille ans. Il disait que les artistes devraient renoncer à prendre pour modèle l’agonie du Christ dans l’acte de création – modèle dont au passage un écrivain comme Houellebecq dit se revendiquer, vomissant Nietzsche et son amoralisme.

Je crois qu’il voulait aussi qu’on assiste à un regain et à un âge d’or de la culture gréco-romaine sur le modèle de la tragédie grecque et de l’opposition entre apollinien et dionysiaque, comme cela s’était produit durant la période de la Renaissance qu’il admirait. Il rêvait d’être le prophète de cet âge d’or aristocratico-esthétique à travers son Zarathoustra qui avait vocation à servir de méthode.

Il avait la dent très dure envers les chrétiens, d’autant plus que lui-même avait échappé de peu à une carrière de pasteur alors que toute sa généalogie familiale l’y destinait. Malgré des paroles parfois très dures envers les Juifs, il détestait l’antisémitisme allemand qu’il définissait comme un poison et avait pour eux plus bien plus d’indulgence (que pour les chrétiens) puisqu’il disait qu’ils seraient un jour amenés à devenir les guides et les maîtres de l’Europe, c’est-à-dire les nouveaux aristocrates dans le projet d’un âge d’or aristocratico-esthétique ou élitistement artistique. Aristocrates au sens d’artistes, de créateurs, et non pas de maîtres politiques. Le but de Nietzsche n’était pas de fonder une nouvelle élite politique.

Le projet de Nietzsche n’est donc pas selon moi politique, ou très peu, contrairement à un Machiavel ou un Mandeville. Ce qu’on peut en revanche lui reprocher c’est son amoralisme foncier (le point commun avec le libéralisme mandevillien) qui doit inspirer bien des « créateurs » dans le domaine publicitaire.

Je souscris à votre propos, à un point près : je pense que le "maître" nietzschéen n'est pas seulement un artiste (c'est la lecture de J.-N. Vuarnet, dans son essai Le Philosophe-artiste), c'est aussi un maître au plan politique, comme Machiavel l'annonçait en effet, un maître sans scrupule, la moraline étant réservée aux faibles, aux esclaves... Pourquoi Nietzsche se serait-il arrêté au seuil du domaine de la grande politique ? Fallait-il selon lui laisser le gouvernement de la cité aux prêtres ou aux socialistes ? Il n'a pas de mots trop durs pour les vilipender, ces hommes du ressentiment.

Nous n'y sommes pas du tout avec le libéralisme dont la logique est certes inégalitaire - un bon point pour Nietzsche. Les maîtres n'y sont pas des aristocrates mais des plébéiens enrichis aux goûts aussi vulgaires que les gueux, mais certes amoraux - encore un bon point pour Nietzsche ; voire immoraux : des pervers selon Mandeville amenés à prendre le contrôle de la Cité parce qu'ils sont les pires de tous les hommes, the worst of them, (cf. Dany-Robert Dufour).

Je ne pense pas que Nietzsche aurait pu se reconnaître dans ces hommes politiques contemporains (hormis peut-être la tentative de Zemmour !), idem pour ces milliardaires qui les font et défont, tous ces people si dénués de toute forme de noblesse, aux goûts si vulgaires qu'ils partagent d'ailleurs avec les hommes du ressentiment, lui qui revendiquait comme modèle politique absolu le grand siècle de Louis XIV (encore un modèle qui le rapproche de Zemmour).

Nous en sommes à des années-lumière. Et c'est entièrement la logique libérale dont la conception remonte à Mandeville et Adam Smith qui explique les inégalités actuelles, Nietzsche n'étant pas un libéral (encore moins un socialiste certes) et sa conception aristocratique du pouvoir politique n'y étant absolument pour rien. Car sa conception du pouvoir politique est calquée sur un modèle esthétique et amoral, c’est-à-dire aristocratique mais non libéral et immoral – le vice c’est-à-dire le mal se transformant en bien pour les penseurs libéraux, il faut l’encourager. C’est pour cela que faire l’amalgame entre l’inégalitarisme foncier du libéralisme associé au capitalisme avec l’inégalitarisme aristocratique de Nietzsche me paraît constituer un contresens. Je pense que Nietzsche aurait vomi l’inégalitarisme libéral, parce qu’il ne débouche pas sur une morale aristocratique chez les maîtres mais sur leur perversion comme l’explique et le justifie très bien Mandeville pour la conduite de l'économie (cf. Dany-Robert Dufour ; Baise ton prochain)

Pour moi qui ne suis pas un apologiste de la Révolution française je peux très bien comprendre la position nietzschéenne, et je pense que l’on vivait, même chez les gueux, plus agréablement sous l’ancien régime que sous le régime actuel - parce que le monde y était enchanté par un catholicisme syncrétique imprégné de paganisme, et qu’il n’y était pas soumis à l’arraisonnement par la technique. D’ailleurs les gueux de l’ancien régime n’ont rien à envier aux gueux actuels, « sans dents », « riens », qui sont pléthores.

POUR ME DÉMARQUER DE NIETZSCHE ET DE SA MORALE ARISTOCRATIQUE

Je dirais que suis de ceux qui pensent que le degré de bien-être ou d'aliénation d'un homme n'est pas directement proportionnel à ses bonnes ou mauvaises conditions de vie matérielles. Le progrès technique peut être un motif d'aliénation, par rapport aux modes de vie plus simples, bien plus frustes de nos ancêtres, plus proches de la nature aussi, ce que nous avons tendance à oublier ; ancêtres reliés entre eux par la communauté religieuse. Le progrès apporte du bien-être matériel, mais le prix à payer est un isolement bien plus aliénant que la pauvreté et la simplicité lorsqu'elles sont tempérées par l'appartenance à un monde commun fait de coutumes et de traditions partagées dont le point commun est de célébrer la vie et la nature plutôt que de les exploiter, comme fonds commun disponible afin de faire du profit.

Ce monde commun qui était un catholicisme syncrétique imprégné de paganisme en France jusqu'à il y a très peu de temps dans les terroirs les plus reculés (vers la fin des années 70 chez les anciens), n'existe plus. Il n'y a plus que des tribus, des individus en guerre les uns contre les autres ne recherchant leur salut que dans l'argent se recroquevillant sur des droits (de l'homme) mesquins, des modes liées au consumérisme, des codes vestimentaires ou de langage permettant aux tribus de se reconnaître entre elles et de se distinguer, des logiques de bouc-émissarisation qui excluent et ostracisent, du communautarisme, mais plus de communauté. La crise que nous vivons aujourd'hui, la violence qu'elle génère par rivalité mimétique généralisée non tempérée par l'eucharistie (qui était le sacrifice symbolique d'un tiers indispensable à la cohésion du groupe) est directement liée à la disparition de ce monde commun, encourageant des mouvements de nostalgie pour le vieux monde dont Zemmour est une des manifestations contemporaines.

Alors bien sûr il n'y a plus de gens qui meurent de faim dans les rues, il n'y a plus la peste, le choléra, la tuberculose... mais le prix à payer qui est l'isolement et l'aliénation visibles à travers la consommation massive de neuroleptiques, anxiolytiques, antidépresseur... au sein de la population, est bien trop exorbitant. L'École et la Laïcité ne peuvent constituer à elles seules des solutions exhaustives si elles ne s'accompagnent pas d'un retour à des valeurs ancestrales prenant en compte la part de spiritualité qu'il y a en l'homme et dont il a faim, plus encore que de simple nourriture et de biens matériels.

 

 

 

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