vendredi 14 janvier 2022

anéantir

 


Peut-être que Houellebecq ne souffre pas la comparaison avec Céline. Ou alors donnons une définition de Houellebecq comme étant encore plus nihiliste et décadent que Céline, parce que l'époque - le début du XXIème siècle - est bien plus nihiliste et décadente que le début du XXème siècle. D'Extension du domaine de la lutte à anéantir, l'œuvre de Houellebecq est comme l'époque, elle ne s'améliore pas avec le temps, elle décroît à mesure que la Matière prend le pas sur l'Esprit ; c'est en cela qu'elle est intéressante : elle décroît à mesure que l'artiste grimpe dans l'échelle sociale et y perd peu à peu son esprit de révolte initial et sa rage intrinsèque contre l'injustice qui lui a été initialement faite - lui un être si intelligent et si sensible, traité comme un déchet par la collectivité humaine, et plus particulièrement par les femmes. Finalement un peu comme Zuckerberg, qui a créé un réseau social puis a fait fortune pour se venger de sa petite amie qui l'avait plaqué.

On sent la maladie, l'avachissement, la vieillesse, une forme de lassitude rendant incapable de mener un quelconque projet au bout (on pense à toutes ces pistes laissées vacantes en cours de route dans son dernier roman), s'inscruster peu à peu dans son œuvre, pour finalement totalement l'envahir, comme une cité naguère prospère, féconde et imaginative, mais ruinée et désertée, pourrait l'être par la végétation ; les arbres, les racines, des lianes, recouvrant tout peu à peu, des animaux faisant leurs abris dans les temples et les palais naguère remplis de vie sociale. L'artiste laissant faire l'œuvre de destruction de la nature sur la culture, et le résultat n'étant pas si moche que ça, à l'instar de ces vieilles cités mayas, incas, ou cambodgiennes, rendues à la jungle. À mesure qu'il n'a plus rien à prouver et a été hissé au rang d'idole par ses contemporains qui avaient commencé par l'humilier, l'artiste n'a plus à se donner la peine de rien, il en est le parasite sacré en en ayant conscience ; ayant atteint le sommet comme il l'avoue lui-même, il n'a plus qu'à se laisser aller en roue libre dans la descente.

"L'homme par qui le désert croît" ; Nietzsche. On pourrait rajouter exponentiellement par-dessus le marché, et citation dont Houellebecq est la parfaite illustration, le miroir tendu à nos contemporains dans un dernier éclat de rire, un ricanement cynique voire obscène, de ce principe d'entropie qui n'affecte pas seulement nos vies individuelles, mais les bases de notre civilisation dans ses fondements ; comme le couple hétérosexuel et la famille. L'énergie qui a servi à fonder notre civilisation, se disperse dans des luttes intestines, stériles et fratricides, dont le wokisme constitue la quintessence caricaturale.

Le déclin il est avant tout dans la tête de Houellebecq, il s'exprime jusque dans son physique et sa dégaine qui dégagent un très fort degré d'avachissement dont il joue et jouit par provocation - voir les films dans lesquels il joue étant jubilatoires, tant son personnage de Droopy perspicace et désarmant est soigneusement peaufiné. Houellebecq a vaincu la fatalité de son propre caractère, il en a triomphé par un coup de force contre l'anéantissement qui lui était promis par les circonstances. Bel exemple pour nous tous de résilience réussie ; l'esprit chez lui a vaincu la matière, on y trouve bien des éléments de nostalgie pour la vieille France catholique qui déplaisent tant aux progressistes. Autrement dit l'esprit survit en lui alors que la matière anéantie par le modernité et le progressisme est déchue : en ressemblant à un clochard il reste en réalité fidèle à lui-même et à ses débuts prometteurs.

« Famille et conjugalité, tels étaient les deux pôles résiduels autour desquels s’organisait la vie des derniers Occidentaux en cette première moitié du XXIe siècle. D’autres formules avaient été envisagées, en vain, par des gens qui avaient eu le mérite de pressentir l’usure des formules traditionnelles, sans pour autant parvenir à en concevoir de nouvelles, et dont le rôle historique avait donc été entièrement négatif. La doxa libérale persistait à ignorer le problème, tout emplie de sa croyance naïve que l’appât du gain pouvait se substituer à toute autre motivation humaine, et pouvait à lui seul fournir l’énergie mentale nécessaire au maintien d’une organisation sociale complexe. De toute évidence c’était faux, et il paraissait évident à Paul que l’ensemble du système allait s’effondrer dans un gigantesque collapsus, sans qu’on puisse jusqu’à présent en prévoir la date, ni les modalités - mais cette date pouvait être rapprochée, et les modalités violentes. Il se trouvait ainsi dans cette situation étrange où il travaillait avec constance, et même avec un certain dévouement, au maintien d’un système social qu’il savait irrémédiablement condamné, et probablement pas à très long terme. » anéantir, page 539.

On a beau savoir tous les méfaits du néolibéralisme et de l'appât du gain comme système structurant et "civilisationnel", on ne fait rien contre car les progressistes - les médias mainstream notamment, le système judiciaire (que Zemmour critique à juste titre), même le système scolaire etc. - sont dans le déni et pourtant c'est comme le nez au milieu de la figure... Le système tient grâce à une minorité de gens qui y trouvent des bénéfices sans commune mesure, liés à la volonté de puissance ou volonté de volonté ; voire la perversion selon Dany-Robert Dufour.

Il y aurait beaucoup à dire sur le système judiciaire qui est désormais contre la famille et le couple hétérosexuel, au nom des droits de l'homme c'est-à-dire du plus petit dénominateur commun ; l'individu réduit à sa plus simple expression c'est-à-dire un élément atomisé privé de toute communauté politique où s'épanouir. Communauté dont les derniers rogatons sont en voie de décomposition, car le pouvoir "politique" représenté notamment par Macron en France s'acharne à détruire la moindre de ses expressions. Les particules élémentaires c'est l'atomisation de la société, l'anéantissement de toute communauté que jadis la famille et son socle religieux servaient à souder. Progrès ou déclin ?

Malgré la disparition programmée du christianisme par le libéralisme, la recherche de bouc-émissaires reste in fine le principe structurant de nos sociétés en déclin, d'autant plus qu'elles sont en déclin à cause du déni de ce principe structurant contrairement au christianisme - lire René Girard. Dans anéantir, les bouc-émissaires sont les vieux, tous les "inutiles", voire en extrapolant un peu les artistes que Houellebecq définit comme des parasites sacrés de la société ; il y voit d'ailleurs une supériorité de la société musulmane qui n'abandonne pas ses vieux, sur les sociétés libérales occidentales.

Le projet sous-jacent sans doctrine explicite du néolibéralisme, c'est d'anéantir la fin de vie, l'agonie, la mort, derrière le dos des vieux en chair et en os. Il n'en parle peut-être dans son dernier roman que très peu mais c'est le projet du transhumanisme - le destin du néolibéralisme ; beau projet d'immortalité s'il était réalisable, or selon moi il n'en est rien : il s'agit d'un simple fantasme de riche omnipotent sur le plan matériel mais si pauvre sur le plan spirituel, ne supportant pas de se voir mourir au même titre qu'un "pauvre hère" après avoir pu jouir d'absolument tout sur terre.

HOUELLEBECQ INACCEPTABLE !!!

Houellebecq en dit beaucoup sur la nullité de l'époque, d'une part parce que son destin était sans doute d'être un homme moyen voire médiocre, d'autre part parce qu'à travers son regard d'homme moyen qui provoque spontanément de grands éclats de rire (la grande force de sa prose plate et monotone ponctuée de punchlines drolatiques), on s'aperçoit, tellement ce regard est perçant, qu'en réalité on est souvent très loin d'être aussi intelligent et perspicace que lui ; d'où la honte aussitôt ressentie de recevoir des leçons d'un tel individu qui physiquement ressemble vaguement au SDF en bas de l'immeuble. À travers lui on perçoit surtout la médiocrité des élites. Il joue dans notre société le rôle d'un Diogène le cynique, on dirait aujourd'hui d'un bouffon (comme l'était finalement Molière à la cour du Roi-soleil), disant à tous les arrogants Alexandre : « ôtez-vous de mon soleil » - en langage moderne « foutez-moi la paix » !

Alors évidemment un tel comportement provoque des jalousies énormes chez tous les pisse-vinaigres, les pisse-froids, qui souvent ont un petit talent, rarement un grand talent, et absolument jamais du génie. Un tel comportement apparaît chez tous les médiocres de la littérature ou autres, chez des critiques, des biographes, comme une provocation énorme, inacceptable.


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