Tu sembles déplorer une anxiété constitutive de la nature humaine,
mais exaltée et portée à incandescence dans la modernité sous le coup du
progrès, et qui s'exprime notamment par le biais de l’inquiétude suscitée par la météo. Mais est-ce de ta part une façon de dire qu'avec l'idéologie du progrès les gens devraient faire preuve
d'optimisme, car tout les y inciterait ? Tu te dis progressiste et tu en déplores les effets sur l'"âme" de nos concitoyens, mais faut-il lire
entre les lignes que seul toi et quelques autres ont bien saisi le sens du
progrès hérité des lumières, et que les autres préfèrent rester dans les
ténèbres ? C'est que j'appelle de ta part "la stratégie du coup de pied au
cul", si répandue au sein de l'Education Nationale, une des dernières
institutions à croire encore théoriquement et ouvertement aux vertus du progrès. C'est
effectivement une institution progressiste, tout comme la plupart des médias audiovisuels et
des journaux, quand la plupart des gens se contentent d'acter un état de fait
sans porter de jugement, ils suivent le mouvement c'est tout. Il faut bien reconnaître que
pour une infime minorité "ça marche !" Mais refoulez l'angoisse sous
pression par un bout, et elle en ressortira par une autre voie : la météo !
L'"âme" de nos concitoyens sous l'effet de plus de
quatre cents ans de métaphysique occidentale, et de culte de l'individualité au
détriment d'une logique collective ou socialiste ou encore intersubjective,
nous a mené là où nous en sommes aujourd'hui, au point qu'un contemporain comme
toi peut en évaluer l'évolution inquiétante au cours même de sa brève vie.
De mon vivant aussi j'ai constaté dans ma région des mutations anthropologiques,
toujours vers le pire : des communautés soudées proches de l'idée socialiste au fond, ont disparu sous mes yeux en Bretagne sous
les coups des progrès exponentiels.
Je ne constate aucune réussite anthropologique satisfaisante
sous l'influence du progrès, mais seulement des réalisations technologiques
remarquables que je dois bien reconnaître, des réussites individuelles égoïstes ou narcissiques sans aucune retombées sur le reste de la communauté, et surtout l'enrichissement
outrancier des grands prédateurs capitalistes. Ces derniers servent désormais
de modèle anthropologique de réussite au commun des mortels, qui rêve de leur ressembler, sans nullement faire preuve d'une quelconque volonté de révolte, ou bien songer à une éventuelle redistribution des richesses à l'ensemble de la communauté, pour la plupart.
Cela indique que c'est la métaphysique occidentale du
progrès, née disons pour simplifier avec Descartes, qui déploie aujourd'hui toutes
ses potentialités inquiétantes de manière exponentielle. Mais les prémisses
d'une telle métaphysique, fondée sur l'idée d'un pur individu théorique coupé
de toute relation intersubjective, étaient vouées à nous mener au résultat que
nous constatons aujourd'hui, en raison même de cette coupure : pas seulement un
"sentiment" d'insécurité, mais une insécurité réelle fruit de tous
nos dérèglements interrelationnels.
Non, les dérèglements climatiques, l'augmentation du chômage
et de la précarité salariale, et même de la délinquance ne sont pas des
fantasmes. Non, la réelle dégradation de la qualité de vie, des années soixante
pleines d'optimisme à maintenant n'est pas un fantasme. Oui, les rapports
humains sont devenus globalement détestables, faits de défiance réciproque et de
méchanceté sous-jacente insupportable.
La météo est la bonne excuse pour extérioriser toutes ces
angoisses refoulées, mais qui ont en réalité pour objet d'autres causes que la
plupart des gens n'arrivent pas à se formuler, ou n'en font pas l'effort ou ne le veulent pas, ou bien qu'ils se formulent ainsi : "il y a quelque chose qui ne tourne pas rond
!"
Le progrès accomplit désormais des mutations
anthropologiques à vue d’œil, à l'échelle d'une vie humaine ; bientôt ce sera à
l'échelle de fragments de vie qui n'auront plus aucune cohérence les uns avec
les autres. L'humanité aura sombré alors dans un genre de folie directement issue de
l'organisation libérale du marché du travail, qui conditionne les rapports
entre les nations, mais également les rapports entre les hommes. Le "doux
commerce" tant vanté par les théoriciens libéraux des origines, pour
garantir la paix entre les nations et entre les hommes, aura fini de ruiner la
Terre entière. Pour les excuser, on dira que cela partait d'un bon sentiment au
fond !
Et lorsqu'il n'y aura plus aucun sens à cette logique mise
en branle en Occident, et qui a désormais contaminé la Terre entière sous le
"doux" euphémisme de mondialisation, alors qu'il s'agit d'une maladie
comparable à la peste du Moyen âge, peut-être y aura-t-il une remise en
question ou alors le néant pour l'espèce humaine.
Pour que la vie fasse sens il faut au moins le regard de
l'Autre. L'idée d'une pure individualité dénuée de toute intersubjectivité, qui
est à la base de toute la métaphysique occidentale et que l'on nomme aussi la
subjectivité, nous mène à l'aporie que tu déplores aujourd'hui ; l’anxiété, et qui semble ne
faire que s'amplifier avec le temps qui passe.
La tâche que tout philosophe digne de ce nom devrait s'assigner, et que tu devrais t'assigner, serait de refonder la métaphysique sur des bases plus saines et intersubjectives. Ou du moins, si il en est incapable conceptuellement, de dénoncer jour après jour les effets délétères du progrès quand il se fait par le biais de l'individualisme. Tout espoir n'est pas perdu, le progrès est possible si il se désolidarise de ses racines métaphysiques occidentales, qui agissent sur lui comme un programme sur lequel la bonne volonté, l'intelligence ou la prise de conscience des hommes n'a pas de prise. Politiquement il faudrait songer à un progressisme d'inspiration socialiste, ce que ne fait plus la gauche progressiste d'aujourd'hui.
La métaphysique occidentale et le progrès qui en découle, ont eu l'effet d'une bombe atomique sur ma communauté d'origine, ma famille, mes relations, ils nous ont atomisés.
Bientôt les textes, puis les phrases, puis les mots, puis les lettres seront atomisés à leur tour et ne feront plus sens. La culture disparaîtra sous les ricanements sordides de nos élites pipolisées et progressistes. Alors la métaphysique occidentale aura accompli son œuvre définitive : sa propre autodestruction, en plus de détruire le monde.
La tâche que tout philosophe digne de ce nom devrait s'assigner, et que tu devrais t'assigner, serait de refonder la métaphysique sur des bases plus saines et intersubjectives. Ou du moins, si il en est incapable conceptuellement, de dénoncer jour après jour les effets délétères du progrès quand il se fait par le biais de l'individualisme. Tout espoir n'est pas perdu, le progrès est possible si il se désolidarise de ses racines métaphysiques occidentales, qui agissent sur lui comme un programme sur lequel la bonne volonté, l'intelligence ou la prise de conscience des hommes n'a pas de prise. Politiquement il faudrait songer à un progressisme d'inspiration socialiste, ce que ne fait plus la gauche progressiste d'aujourd'hui.
La métaphysique occidentale et le progrès qui en découle, ont eu l'effet d'une bombe atomique sur ma communauté d'origine, ma famille, mes relations, ils nous ont atomisés.
Bientôt les textes, puis les phrases, puis les mots, puis les lettres seront atomisés à leur tour et ne feront plus sens. La culture disparaîtra sous les ricanements sordides de nos élites pipolisées et progressistes. Alors la métaphysique occidentale aura accompli son œuvre définitive : sa propre autodestruction, en plus de détruire le monde.
L'intellectuel Patrick Buisson dit et écrit une chose qui me paraît fondamentale :
RépondreSupprimer- "On a réussi à faire tomber cette illusion du progrès". Notre confort sans précédent et en si peu de temps nous ont permis des facilités, c'est incontestable et je ne condamne pas les progrès techniques et toutes les recherches qui continuent. Mais l'illusion était que le progrès allait nous rendre plus heureux ! C'est tombé et il n'y a pas besoin de sortir de polytechnique pour comprendre que l'on n'est pas plus heureux aujourd'hui qu'il y a 500 ou 800 ans.