vendredi 20 juillet 2018

Sur le forum du magazine Causeur...



Je pense à peu près la même chose que vous (un interlocuteur du magazine Causeur) sur les liens entre le libéralisme, la démocratie et les droits de l'homme. Je ne sais pas si dans la relation de causalité c'est le libéralisme qui a généré l'humanisme ou le contraire. Il me semble que la pensée libérale est un peu plus récente que l'humanisme qui puise ses racines dans la Renaissance. C'est l'humanisme de la Renaissance qui selon moi va aboutir aux premiers philosophes de la métaphysique du sujet comme Bacon et Descartes, et donc à la subjectivité occidentale. Avec les moyens techniques mis à disposition, aujourd'hui la technologie de pointe, cette métaphysique s'est répandue sur la totalité du globe, aucun lieu si reculé soit-il en Patagonie, en Papouasie, en Amazonie ou ailleurs, ne peut y échapper.
Effectivement l'idéologie libérale joue aussi un rôle déterminant car c'est au moyen du commerce que la métaphysique du sujet étend son emprise, que la subjectivité prédatrice de l'homme blanc s'impose partout. On pourrait dire que tous les hommes à travers la planète, qu'ils soient jaunes, noirs, métissés ou blancs, sans oublier les femmes, sont en réalité devenus des hommes blancs, animés de la même subjectivité prédatrice.
Animés de la même subjectivité prédatrice car on a réduit l'homme à n'être qu'un animal comme les autres, vous avez raison de le souligner. Ce qui caractérisait autrefois l'homme, c'était la transcendance, ce n'est plus le cas aujourd'hui, nous sommes au ras du caniveau spirituellement.

On ne peut plus s’adonner à la contemplation pour y trouver une forme de salut et de sérénité, précisément parce que sous l'action de l'homme, le monde a tellement perdu son âme qu'il en est devenu avant tout absurde. Si cette absurdité était anodine et inoffensive, il n'y aurait rien à redire, cela pourrait même être drôle, mais pour couronner le tout elle est féroce et cruelle. Elle est violente et fait un nombre considérable de victimes, elle a broyé depuis longtemps ce qui faisait que le monde avait une âme. Cette absurdité violente n'est pas tragique, car le propre du tragique était d'être beau, alors que ce qui caractérise la modernité est avant tout la laideur, où les victimes ne périssent pas tragiquement, mais de façon absurde et dérisoire dans la plus complète indifférence.
Personnellement je suis dans l'incapacité de faire abstraction du réel qui m'entoure et de la laideur qui le caractérise, cela nuit à ma capacité de contemplation et de détachement, à l'instar de la grande majorité de nos contemporains qui ne s'en rendent pas forcément compte. Ceci d’ailleurs que je sois en Occident ou en voyage dans un pays lointain, partout c'est le même monde avec son idéologie du « doux commerce » qui a tout transformé, qui a tout corrompu, de l'environnement extérieur jusqu'à l'esprit de l'homme lui-même, de plus en plus vorace effectivement à mesure que la pression qui s'exerce sur lui, dans le sens de l'injonction qui lui est faite de « s'adapter ou mourir », s’accroît.
Je suis de plus en plus dans l'incapacité de m'émerveiller du monde qui m'entoure, l'émotion qui prédomine est un genre de dégoût et surtout beaucoup de fatigue. Ceci dit vous avez raison, nous sommes tous corrompus et contaminés par l'idéologie, du plus pauvre au plus riche (mais les riches sont bien plus immoraux que les pauvres).
Ce qui prédomine c'est effectivement la volonté de puissance qui est une forme de nihilisme, je rejoins Heidegger en cela, et croyez-moi que je l'ai expérimenté douloureusement au sein de ma propre famille qui se déchire au nom de cette volonté de puissance. Pour ses membres globalement la fin justifie les moyens, y compris le sacrifice de certains enfants de la famille, et ils n'ont évidemment plus aucune moralité, mais laissons ça de côté, assez parlé de moi.

Le monde peut de moins en moins être "tel qu'il est", car il a déjà été dorénavant trop modifié, tout retour en arrière est donc devenu impossible, et contrairement aux optimistes qui comptent sur l'IA pour nous sauver de nos excès et de notre corruption spirituelle intrinsèque et acquise en 500 ans de transformation active du monde ou « volonté de volonté », je pense qu'elle ne nous sauvera pas.
Le monde "tel qu'il est“ est aujourd'hui une construction idéologique qui découle du libéralisme et l'injonction qui nous est faite de nous y adapter est de l'ordre du prosélytisme idéologique, voire du fanatisme. Cette injonction d'adaptation obligée est un dressage qui commence à l'école au moyen de l'instruction, ce n'est pas du tout un mouvement naturel, les anciens auraient dit une inclination de l'âme... Mais précisément le monde a perdu son âme, tout y est noyé dans l'artificiel et la pacotille.
Sur le forum du magazine Causeur, la majorité des gens qui s'y expriment ne sont pas seulement des militants de l'idéologie libérale, ce sont même pour certains des fanatiques prosélytistes qui font régner constamment une forme de terreur idéologique, au moyen de l'intimidation et de l'insulte.

Pour conclure, ce qui pourrait nous sauver est dans ce que j'évoquais plus haut quand je parlais de ce qui caractérisait l'homme par le le passé, et qu'il a oublié aujourd'hui (le fameux "oubli de l'être" évoqué par Heidegger ?) : la transcendance, la capacité à se surpasser soi-même pour atteindre le divin, et qui est tellement visible dans les œuvres d'art transmises du passé et si peu dans l'art contemporain notamment.

4 commentaires:

  1. Mais je suis plutôt libéral si je regarde l'offre qui nous est proposée. Disons conservateur libéral. La question qui est posée est celle de savoir comment dépasser la menace qui plane sur l'Occident et, à terme, sur le monde entier. Tous les systèmes sont menacés par l'autonomie de la technique, les démocraties libérales aussi, cela ne veut pas dire que ce ne sont pas les meilleurs régimes sous lesquels vivre aujourd'hui. Vous voyez, j'aime plutôt bien Durru (un commentateur du forum de Causeur) habituellement, ce que je n'ai pas apprécié c'est son impolitesse et son agressivité. Je me méfie des révolutionnaires et des gens qui veulent créer un homme nouveau, je crois que ce dont on a besoin c'est d'une prise de conscience individuelle de ce qu'est le nihilisme, certainement pas d'un renforcement de la volonté de puissance qui en est l'essence.

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    1. Son impolitesse et son agressivité ne sont peut-être que l'expression de la volonté de puissance à l'œuvre dans la métaphysique du sujet si je vous ai bien compris, sans compter que cette volonté de puissance trouve sa pleine expression à notre époque, qu'elle s'exprime d'avantage qu'il y a 50 ans et qu'il y a fort à craindre qu'elle ne s'exprime encore plus dans 50 ans. Un slogan de mai 68 proclamait, "cours camarade, le vieux monde est derrière toi !", il faudrait le remplacer par la mise en garde suivante : "ralentis mon ami, le monde de la Silicon Valley est devant toi !". Il y a tout lieu d'être pessimiste, à moins que l'on n'infléchisse la courbe de son développement, et avec lui du nihilisme.
      Il n'est pas question de créer un homme nouveau, bien au contraire, mais de renouer avec les solidarités entre les hommes. L'homme est naturellement un « animal » social, c'est la construction idéologique libérale qui le considère comme un Robinson seul sur une île déserte, capable de se construire lui-même à la façon d'un "self made man", qui en a fait un atome isolé au sein de la société (la fameuse guerre de tous contre tous n'est pas un mythe mais une réalité). Or cette conception de l'homme figure bien dans les prémisses de l'idéologie libérale, à travers les écrits de ses premiers fondateurs.

      Je vois les religions comme des formes primitives de socialisme, ce sont bien des principes d'intersubjectivité qui placent la relation plutôt que la conduite égoïste au cœur de leurs principes, seule susceptibles de nous transcender et énoncés dans les religions, qui devraient dicter notre conduite. Et en France la religion qui a permis la construction du pays fut la religion catholique, pourquoi en changer ?
      La religion musulmane est dangereuse pour l'Europe et le monde entier d'ailleurs, car elle se transcende dans la conquête. La religion catholique se transcende plutôt dans la création artistique, il n'y a qu'à voyager un peu en Europe, et admirer toutes les créations du passé pour s'en rendre compte.
      Mais l'on s'aperçoit aussi à l'œil nu des dégâts du libéralisme, qui ébranle les fondements de tout ordre stable, sape les communautés traditionnelles, ruine la morale usuelle. De plus la cadence infernale imposée par le libéralisme ne permet plus de s'en rendre compte sereinement et de façon détachée puisque chacun d'entre nous est juge et partie du système, comme vous même l'admettez, par "dressage" dites-vous.

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    2. En outre notre époque devient de plus en plus stérile sur le terrain de la création, puisque le projet indépassable qu'elle s'est fixée est l'enrichissement exponentiel pour l'enrichissement exponentiel (qui ne profite au passage qu'aux renards dans le poulailler, ceux que vous vous refusez de stigmatiser, les riches et les puissants), la croissance et l'innovation pour la croissance et l'innovation, cela évidemment au détriment de tous les équilibres environnementaux et anthropologiques, de la morale, de la philosophie, de l'architecture, de l'art, de la politique (désormais soumise à l'économie). N'oubliez pas non plus le protestantisme et encore plus précisément le calvinisme que je vois à l'origine de l'idéologie libérale, qui avait fixé comme signe d'élection et donc de salut spirituel, l'enrichissement personnel, et condamnait la dépense (qu'elle soit sexuelle ou financière sauf concernant l'investissement permettant de s'enrichir encore plus), ce qui a donné le puritanisme anglo-saxon, qui s'est pleinement épanoui en Amérique du Nord..
      Je suis d'accord qu'il n'y a pas de différence de nature entre les pauvres et les riches, qu'ils sont empreints du même nihilisme se caractérisant par la volonté de puissance, même si le comportement des riches est bien plus immoral que celui des pauvres, ne serait-ce que parce qu'ils devraient montrer l'exemple, ce qu'ils ne font pas, c'est même tout le contraire.
      Les choses se sont notablement aggravées depuis que la révolution culturelle des sixties a convergé avec la révolution économique des années Reagan. L'hédonisme : l'idée de plaisir comme mode de vie, est devenu la justification culturelle, sinon morale, du capitalisme

      Il s'agit dans l'optique d'un penseur comme George Orwell, aujourd'hui d'un philosophe comme Michéa qui s'en inspire, de renouer avec la nature profonde de l'homme, et non pas de créer je ne sais quel « homme nouveau ». Le communisme a lamentablement échoué en voulant vaincre le libéralisme sur le même terrain de l'économie que lui, par la guerre économique contre le monde occidental, en favorisant le développement des moyens de production au détriment d'ailleurs de tout projet de redistribution et donc en sacrifiant le peuple, puisque c'est une nomenklatura qui s'est octroyé tous les bénéfices et les privilèges, sans du tout tenir compte des aspirations au bonheur du peuple, ce qui était pourtant sa vocation initiale.

      Michéa, dont je m'inspire beaucoup mais qui ne constitue pas non plus une icône ou un homme providentiel, bataille contre l'idéologie libérale et tout ce qu'elle renferme, devenue obligatoire, qui nous contraint à considérer favorablement toute nouveauté et à mépriser le passé, à vivre sans héritage ni horizon de sens partagé. Pour lui, c'est la modernité elle-même, avec sa consommation frénétique d'un présent perpétuel, son agitation stérile et sans direction, qui est le couronnement du libéralisme.

      Mais si c'est toute la gauche qui doit être taxée de "libérale" - et Michéa y inclut Toni Negri et Alain Badiou ! (effectivement Badiou voit d'un bon œil le développement du capitalisme pour créer un homme nouveau qui brisera ses chaînes le moment venu : le damné de la terre d'origine musulmane) - comment sortir du libéralisme ? Qui pourrait bien se rapprocher de l'idéal d'un socialisme qui serait du côté de "la décence des gens ordinaires" prônée par Orwell - et non de la transgression esthète des normes et de la négation des valeurs ?

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    3. L'homme n'a pas d'autre choix que de renouer avec la transcendance, se surpasser dans la création pour accéder au divin, c'est ce qui fait le propre de l'homme, nous caractérise et nous distingue des autres animaux selon moi.
      Le socialisme peut ne pas être contradictoire avec ce projet là, à condition que ses promoteurs soient de bonne foi, ce que ne furent jamais les socialistes français qui furent majoritairement des libéraux de gauche, depuis la Commune de Paris (qu'ils ont participé à durement réprimer) et a fortiori depuis le tournant libéral des années 80, et l'alignement de la politique de Mitterrand sur l'idéologie néolibérale thatchéro-reaganienne.

      Il s'agirait selon moi de promouvoir un socialisme conservateur ne tirant pas un trait sur le passé, mais s'en inspirant afin faire revivre toutes les formes de transcendance et de solidarités susceptibles de nous faire renouer avec notre condition humaine.

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