Moi : "A propos du rire. La France est malheureusement
le pays de Molière, et l'Angleterre celui de Shakespeare ; là comme dans bien
d'autres domaines les Anglais nous dépassent. Effectivement Molière a du génie mais il a peu d'humour, il est moqueur, c'est un intriguant qui voulait plaire à la cour du
roi soleil, pour cela il voulait faire rire, mais pas en se moquant de
lui-même, mais en se moquant des autres, souvent des autres. Ce rire là est
féroce en France, notamment chez Charlie (hebdo), qui se moque très rarement de
lui-même. En France le rire sert à détruire l'autre et à se faire sa petite
place au soleil. Comme pour Molière se moquer des autres intrigants de la cour,
comme lui, mais dont il ne se moquait pas (de lui-même), c'était pour les
évincer et prendre leur place, les parasites comme lui au fond ; alors que
l'humour ne sert pas à se moquer, si ce n'est de soi-même, ce que je crois ne
faisait pas Molière (encore que Molière devait bien se moquer de certains traits de son caractère si l'on cherche bien), et encore moins Charlie. Par contre Shakespeare, malgré lui
peut-être, et qu'il fut un auteur tragique, était drôle, car il avait de
l'humour. Nietzsche disait de lui ; "combien a-t-il fallu que cet homme
souffre pour faire à ce point le bouffon !"
Mousset ou le philosophe : "L'humour, c'est la
politesse du désespoir". Je ne sais plus qui a dit ça, mais j'adhère.
C'est pourquoi un homme normal, équilibré, heureux (si cela existe) ne ressent
pas le besoin de rire. J'ai toujours trouvé qu'il y avait quelque chose de
pathologique et de pathétique chez celui qui rit (je ne parle pas bien sûr de
ceux qui rient par accident, très ponctuellement, ce que nous faisons tous)."
Moi : "Les héritiers de Molière sont Timsit, Dubosq,
Boon, Dieudonné, Charlie... ils sont innombrables en France, vous l'aurez
remarqué, ils sont très forts pour se moquer des autres, mais ils ne sont pas
drôle. L'humour anglais à la Monty pyton est beaucoup plus drôle. Les
véritables héritiers de Shakespeare sont Chaplin et Pasolini par exemple,
capables de se moquer d'eux-mêmes et de la condition humaine, capables de faire
pleurer et rire en même temps ; là où le rire français est féroce, ne fait pas
pleurer ni rire, mais ricaner, c'est-à-dire détruire l'adversaire pour se faire
sa petite place... au soleil."
C'est pourquoi un homme normal, équilibré, heureux (si cela
existe) ne ressent pas le besoin de rire. J'ai toujours trouvé qu'il y avait
quelque chose de pathologique et de pathétique chez celui qui rit" ; ce
que tu dis est très vrai, et si notre société a besoin de tant rire, puisqu'il
n'y a pratiquement plus que des émissions de divertissement, c'est qu'il y a
quelque chose de pathologique dans nos comportement, l'évolution des mœurs, et
donc dans notre société. Comparons les émissions des années 70, sérieuses, un
peu grises et austères, et les nôtres. Où même des émissions qui se veulent
sérieuse et veulent traiter du fond, recèlent des bouffons pathétiques comme
Ruquier par exemple (il symbolise à lui tout seul de mal de l'époque), qui sont
là pour mettre de l'ambiance."
Le philosophe : "Dans les années 70, la dérision existait, ressentie plus violemment qu'aujourd'hui, mais elle s'exerçait en des lieux bien identifiés, "Charlie" ou, à la télé, "Le Petit Rapporteur". Aujourd'hui, elle s'est à la fois répandue partout et affaiblie (Ruquier n'est pas scandaleux, subversif).
Mon pauvre Erwan, sais-tu que j'ai moi-même bien changé, que je pratique aussi la dérision sur la classe politique locale, dans un petit journal gratuit ... La rubrique s'appelle "L'œil de Mousset" (sic !), que tu peux retrouver sur internet. "La politesse du désespoir", je te dis ..."
Moi : "Tu es bien un enfant des années 70, et moi des
années 80. Je préfère largement ton époque à la mienne, et encore je ne sais
même pas ce que signifie enfant des années 90 ou 2000. Quant à ta pitié
"mon pauvre Erwan", je n'en veux pas, je n'ai que ce que je mérite.
Quant au changement de caractère je n'y crois pas, en cela je suis pessimiste
et Schopenhaurien. Je pourrais te rétorquer, "mon pauvre Emmanuel",
tu vis avec cette illusion d'avoir changé ; mais la vie est tragique, nous
vivons avec un destin auquel nous ne pouvons échapper, qui se joue de nous. Mon
pauvre Emmanuel, toi et ton progressisme, cela me fait bien rire, je n'ai
jamais rencontré personne qui avait changé, au contraire, notre tempérament,
notre caractère s'aggravent avec l'âge. Tu étais plus lucide quand je t'ai
connu, tu disais "on ne change pas !", quand moi je croyais au
changement. Arrête de jouer un rôle et de mentir à tes lecteurs. Ceux qui
croient au changement de caractère sont ceux qui croient aux miracles et qui
sont judéo-chrétiens, et au fond de mon caractère, je le suis plus que toi.
Donc une fois de plus tu perds et n'as rien à me répondre. La dérision c'est
comme le rire, si cela ne s'applique pas à soi-même, cela devient méchant,
dirigé contre l'autre, un ricanement... ce qui était déjà le cas dans la
dérision des années 70, un ricanement en germes te dis-je. Quand seras tu
capable, Emmanuel de te moquer de toi-même, dans une vision tragique de la vie,
au lieu de tourner en dérision le monde qui t'entoure, rire féroce et méchant ?"
Le philosophe : ""Mon pauvre ..." n'est pas
une formule de mépris, mais une façon familière de s'adresser à quelqu'un. Ce
qui significatif, c'est que nous vivons dans une société où l'hypersensibilité
fait que beaucoup de gens se sentent fréquemment "méprisés", alors
qu'il n'en est rien. Mais c'est aussi une forme de défense immunitaire, une
façon de se "victimiser" en se présentant comme objet de mépris de la
part d'autrui.
"On ne change pas" : je continue à le penser, et ça me fait plaisir que tu me rappelles que sur ce sujet-là, comme sur d'autres, je n'ai pas ... changé. En revanche, si la nature humaine ne change pas, les sociétés changent, pour le meilleur ou pour le pire. C'est pourquoi je suis de gauche, pour que la société change (pour le meilleur).
"On ne change pas" : je continue à le penser, et ça me fait plaisir que tu me rappelles que sur ce sujet-là, comme sur d'autres, je n'ai pas ... changé. En revanche, si la nature humaine ne change pas, les sociétés changent, pour le meilleur ou pour le pire. C'est pourquoi je suis de gauche, pour que la société change (pour le meilleur).
Moi : "Tu n'as pas changé, quand je t'ai connu à la
fac, tu étais déjà fort avec les faibles, et "faible" ou soumis avec
les forts, je ne citerai aucun nom de prof envers qui tu avais un comportement
servile, mais je n'en pense pas moins. C'est ce caractère d'ambitieux qui t'a
permis de réussir, là encore tu obéis à ton destin, ou à ton caractère si tu
n'aimes pas le terme de "destin" (connoté trop gréco-latin), mais tu
n'en as pas conscience, ou alors tu te mens à toi-même, tu n'as pas une âme de
résistant intransigeant comme moi (peut-être et je souhaite que là j'en fais un
peu trop et que si le kaïros se
présentait, j'en tirerais partie, car sinon c'est être borné et idiot). Alors
évidemment je souffre un peu que la société apporte sa considération à toi
plutôt qu'à moi, mais je ne te jalouse pas, bien au contraire, je suis moi
aussi nietzschéen, Nietzsche qui nous dit qu'il faut apprendre à aimer son
"fatum""
Le philosophe : "Erwan, les forts, les faibles, mon "fatum",
mon ambition et ma réussite : tout ça m'amuse, car ça ne me correspond pas du
tout. Mais je lis, je publie et je réfléchis : ce n'est pas à moi de faire mon
portrait. Beaucoup de personnes, là où je vis, sont sans doute très surprises
par la description que tu fais. Ceci dit, j'aimerais qu'on revienne à la
politique, et pas à ma ou à ta psychologie."
Moi : "Et puis je ne veux pas de ta pitié,
mais je ne confonds pas pitié et mépris, je trouve que la pitié est un
sentiment noble, comparable à la compassion. Alors que le mépris est le
sentiment vil des puissants, des forts, des vainqueurs qui sont inscrits dans
le principe de réalité. Je ne comprends pas ce sentiment quand il vient dans la
tête des puissants, mais vient-il gratuitement ? Personnellement je ne méprise
pas ceux qui sont plus bas que moi, je ne méprise que ceux qui me méprisent, où
dont j'ai l'impression qu'ils me méprisent, donc généralement des plus hauts
placés que moi. Mais peut-être les puissants, les responsables, ont-ils le
sentiment, pas faux, que le peuple les méprise... C'est si vrai par les temps
qui courent ! Et là je reviens comme sur me pieds... à la politique, et au
ressenti des gens face à la politique ! Et à l'explication de la montée du FN,
explication trop simple selon toi, que tu ne veux pas entendre. Je le dis je le
répète, les élites sont trop séparée de la réalité que ressent le peuple. Les
responsables politiques vivent dans leur réalité d'ambitieux, et tu as fait le
choix, mais était-ce un choix ? de t'inscrire dans cette réalité, le
"peuple" ou les "peuples", disons les petits ou les moyens
vivent dans une autre réalité, où ils ont l'impression qu'on les méprise. La
situation est pré-insurrectionnelle en France, ce qui nous pend au nez, c'est
la guerre civile. J'espère que tu en as conscience, ou es-tu à ce point détaché des réalités ?"
Le philosophe : "Le problème ne vient pas tant du
mépris (sentiment aristocratique plutôt rare dans une société démocratique) que
du sentiment d'être méprisé (sentiment très fréquent dans une société
démocratique, où l'idée de supériorité insupporte, où l'individualisme
narcissique est très répandu). Il m'arrive de mépriser (pour ceux qui le
méritent, je m'en sens le devoir), mais jamais je ne me sens méprisé (y compris
par ceux qui sans doute me méprisent) Quant à ceux qui votent FN, ils sont dans
l'incapacité de mépriser comme d'aimer : ce sont des merdes qui voudraient
sentir bon. Qu'ils ne comptent pas sur moi pour les parfumer."
Moi : "Le vote FN pour moi n'est pas condamnable, il
est l'expression d'un symptôme. Ce ne sont pas les malades qu'il faut
combattre, c'est la maladie. Dans le cas du nazisme, on a fait le boulot trop
tard et on a dû combattre les malades. Mais c'est avant tout la première guerre
mondiale qui avait créé ces malades. Or la première guerre mondiale avait pour
cause l'impérialisme des nation, c'est cette maladie qu'il aurait fallu
combattre. Tout comme aujourd'hui la maladie c'est la vision la plus libérale
du commerce mondialisé et apatride, qu'il faut combattre. Nous n'avons pas la
même interprétation des phénomènes.
Le philosophe : "En effet, pas du tout. Pour moi, le FN
n'est pas le symptôme, c'est le mal lui-même : ressentiment, nationalisme,
racisme. Ton diagnostic est vicieux, pervers : le nazisme, c'est la faute à
l'impérialisme ; le vote FN, c'est la faute à la crise économique et à la
classe politique. Tu dédouanes les fachos de toute responsabilité. Tu les
encourages même à poursuivre, puisque ce sont des "victimes",
n'est-ce pas ? Erwan, il est temps d'aller te faire soigner (politiquement)"
Moi : "Je suis au moins logique avec moi-même, je ne
crois pas beaucoup en la liberté et en la libre volonté, je pense que nous
sommes mus par quelque chose qui se trame derrière nous. Comme le calcul
égoïste à l'œuvre dans la technique par exemple. Je fais une interprétation
gréco-latine du monde. Toi c'est plus cartésien, plus moderne, avec une
subjectivité, selon toi libre et pleinement autonome, dont tu fais le fondement
du monde qui nous entoure ; tu en appelles à la responsabilité et à la
conscience de chacun. Bien sûr que le monde est pervers et de plus en plus
pervers, à cause de la technique qui nous transforme en
"devenir-reptile" ou "devenir-insecte", qu'il se joue
quelque chose derrière nous qui nous dépasse. Je n'ai pas de réponse pour
résister à ça, peut-être plus de bonté collective, être fidèle à notre
condition de mammifère. Nous avons deux visions radicalement différentes du
monde. Tiens je vais te faire plaisir, de Fontenay dirait que tu es plus
honnête et probe que moi, qui me décharge de ma responsabilité. Et puis c'est
vrai que j'ai un petit côté pervers, j'aime voir enfler tes veines à ton cou
quand tu parles du FN.
Bien sûr que les nazis étaient des victimes, des malades. C'est pourquoi un homme normal, équilibré, heureux (si cela existe) ne
ressent pas le besoin d'être un monstre. Or les nazis étaient des monstres donc
des victimes. Où se situe la responsabilité ? Dans les débuts des temps
modernes, avec Descartes et Bacon, avec l'idée d'une subjectivité libre et
pleinement autonome et responsable, et que clôt Heidegger qui prône le retour à
une subjectivité gréco-latine, plus détachée, moins intéressée, et que personne
n'écoute, car il a eu simplement le tort de vivre en même temps que Hitler, et
dans le pays du nazisme. Je ne crois pas un seul instant que Heidegger fut
impliqué en quoi que ce soit dans les crimes du nazisme, ni qu'il en eu partagé
l'idéologie.
Dans nos conversations nous atteignons souvent le point
Godwin, quand par manque d'arguments, l'un des protagonistes traite son
interlocuteur de fasciste ou de nazi. Tout le monde est toujours le fasciste de
quelqu'un d'autre.
Ceci dit j'ai discuté avec certains de tes "amis"
de facebook. Il paraît que tu es vraiment un excellent prof, passionné, et tout
et tout et tout... Je pense que cela peut suffire à satisfaire n'importe qui.
Tu es tout simplement un être passionné. Mais encore une fois, je ne te jalouse
pas."
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