mercredi 13 octobre 2021

Ce que BHL fait au nom juif


 

BHL déplore ce que Zemmour fait au nom juif.

Moi je dirais plutôt : ce que BHL fait au nom juif, pour le déplorer.

Stanislas de Clermont-Tonnerre disait déjà : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. »

Or aujourd'hui au sein de la France laïque et républicaine, BHL voudrait faire des Juifs une nation sacrée. C'est cette notion de sacralité en plus de celle de nation qu'il convient d'interroger. Car il est assez grave qu'ils puissent s'arroger le droit d'être pleinement des humains à titre exclusif, car sacré donc absolu, quand tous les autres seraient relégués au statut de citoyens de seconde zone (les goys).

Il ne faut pas essentialiser les Juifs, tous ne sont pas subtils, généreux, drôles, fiers ; il ne faut pas les idéaliser outre mesure comme hier on les a roulés dans la boue de l'infamie : ce sont deux excès contraires et tout aussi néfastes. C'est de l'angélisme presque aussi caricatural que de dire qu'ils sont tous "exploiteurs", "cupides", "profiteurs", "poltrons" (clichés barbares des années 30, heureusement révolus). Il y a de tout parmi eux comme chez tous les autres peuples, à condition qu'on laisse les peuples s'épanouir. Pour les Juifs ça a toujours été les montagnes russes dans ce domaine, subissant, faisant subir. Globalement je dirais qu'ils ont beaucoup subi dans leur histoire, depuis l'Antiquité, la haine des autres peuples, voire parfois la haine de tous les autres peuples, et qu'ils y puisent, plus que tout autre, le courage d'être en vie et d'affirmer encore plus la vie que tout autre peuple (conatus spinoziste).

Car c'est bien cela l'art et la culture, une manifestation exacerbée de la vie bien plus qu'un signe d'élection divine comme voudrait nous le faire croire BHL, davantage un théologien qu'un philosophe. L'art et la culture sont ici davantage l'expression d'une gratitude rendue au miracle de la vie et d'avoir su traverser tant d'épreuves en étant encore en vie, plus que comme chez BHL n'ayant de philosophe que le nom, la manifestation d'un ego démesuré et d'un sentiment de supériorité qui rabaisse autrui plutôt que de s'en sentir responsable.

Par contre je crois que l'on peut dire sans caricaturer que les Juifs sont du fait de leur histoire et de leur expérience hors du commun qui remonte à presque 3000 ans, la conscience du monde occidental - Israël pose d'ailleurs problème car il est une enclave occidentale au sein du monde oriental ; ce qui faisait dire à Nietzsche qu'ils seraient amenés à devenir les guides et les maîtres de l'Europe.

Quand on voit Hanouna qui est aujourd'hui comme le guide spirituel de beaucoup de Français, cela fait un peu sourire, et est en même temps désolant sur ce qu'est devenu en France une partie de la spiritualité juive. Zemmour donne quand même, selon moi, un exemple plus décent et bien supérieur de spiritualité, car érudite et rattachée à une tradition humaniste française - au-delà de toute polémique et quoiqu'on puisse penser par ailleurs des opinions du personnage, et de son inclination politique ; n'en déplaise à BHL.

Cependant rien ne peut faire d'un peuple un peuple sacré, il n'y a pas plus de peuples que d'individus sacrés, même les victimes sacrifiées ne rendent pas un peuple sacré. Il n'y a que des étants au sein de l'immanence qui n'a aucun fondement religieux quand on se dit républicain, à moins que BHL et tous ceux dont il usurpe la volonté (car heureusement la très grande majorité des Juifs ne se revendiquent pas de BHL) ne se réclament d'un autre fondement que celui de la République, où tous les hommes sont égaux en dignité et en droit ; et où aucun au nom d'une sacralité supposée, donc d'un absolu, pourrait se réclamer d'un droit supérieur permettant de se revendiquer citoyen d'exception ou d’élite.

Et alors, c'est de BHL bien plus que de Zemmour que l'on pourrait dire qu'il n'est pas républicain. Avec BHL c'est la vieille dialectique nietzschéenne des sous-hommes et des surhommes, dont on voit où elle nous a mené et surtout où elle peut mener dans un pays comme Israël.

Zemmour au contraire est républicain : il réclame les mêmes droits pour tous les Français, ni plus ni moins (quoique l'on puisse penser de ses options économiques libérales, que je déplore). Il voit bien les dangers qu'il y a à se réclamer d'une identité, d'une religion, d'une nation autre que la France comme le font les islamistes en France, dans le sillage finalement d'un BHL qui revendique trop ostensiblement un statut d'exception pour la culture d'origine juive parce que finalement elle serait sacrée. Dans la même logique on pourrait citer les néoféministes réclamant un statut d'exception pour les femmes, et il y a malheureusement un tas d'autres exemples issus du wokisme, et où c'est l'homme blanc old school de plus de 50 ans qui est stigmatisé.

On voit avec ces exemples toutes les limites de la notion de laïcité en France pour faire un monde commun, car chacun cherche à tirer la couverture à soi : Juifs, musulmans, descendants d'esclaves, victimes de la colonisation, femmes,  homosexuels... et bien souvent ces luttes sont intersectionnelles. Le reproche que je fais à Zemmour c'est qu'il est encore trop un homme des Lumières, trop cartésien faisant table rase du passé catholique de la France, trop laïcard. C'est bien l'individualisme induit par les Lumières qui est à l'origine de cette destruction de la décence commune que dénonce JC Michéa, qui a commencé par le démantèlement des corporations d'artisans, du compagnonnage, qui était à l'origine de la construction de nos plus belles œuvres architecturales (étant aussi habitées par le sens du sacré), dont Zemmour dénonce à juste titre l'incapacité contemporaine à leur arriver à la cheville. Sans parler de l’art contemporain qui est un art contempo-rien.

Il y a des points communs entre le catholicisme breton que j'ai connu dans mon enfance, et un genre de collectivisme communiste faisant passer la communauté avant l'individu, puisqu'il est un animal social et politique avant d'être le produit d'une idéologie des Lumières (libérale) qui l'individualise. Même si je suis matérialiste, je pense que c'est le sens du sacré qui forge toute communauté humaine (BHL l'a aussi bien compris mais seulement pour sa communauté) et je déplore le déclin apparemment irréversible de la religion catholique en France. Le mouvement naturel de l'homme est le partage, le don et la communauté. L'individualisme généré par l'idéologie de la République et qui est en même temps le moteur du capitalisme des origines de la classe bourgeoise, afin de générer au départ une plus-value dont le but fut de constituer un capital initial qui allait aboutir à l'émergence d'un capitalisme triomphant et aujourd'hui un néolibéralisme effréné et néodarwinien (dans les rapports sociaux) et une mondialisation dangereuse, est le produit d'une construction qui s'oppose à sa nature profonde qui recèle certes une part d'égoïsme, mais non exclusive ; c'est un non-sens anthropologique et écologique. D'où la très grave crise actuelle et le colossal mal être contemporain (suicides, antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques...), sans parler des dégâts collatéraux qui n'affectent pas seulement son "âme" : destruction de la nature, enlaidissement du monde, explosion démographique, disparition de l'art classique au profit d'une sous-culture made in US... Non désolé, non seulement je ne peux pas souscrire à la postmodernité, mais je ne puis non plus, y adhérer. Les hommes qui s'y épanouissent et s'y enrichissent, parfois totalement outre mesure, sont des hommes pollués de l'intérieur par de fausses valeurs.

Patrick Buisson a raison de dire : « j'ai plus de respect pour une femme voilée que pour une gamine en string. J'ai plus de respect pour un musulman qui fait sa prière que pour un bobo écolo en trottinette électrique. Je ne pense pas que les musulmans sont des êtres inférieurs au contraire j'ai plus tendance à penser qu'ils sont des êtres supérieurs. » Le problème de Patrick Buisson est qu’il est certes un réactionnaire, et c’est très bien ainsi, mais qui ne fait pas du tout le lien entre libéralisme économique et disparition du sacré qu’il déplore (tout comme Zemmour qui fait la même erreur). Or je le répète, pour retourner à une forme de communauté au sein de la société, il faudrait abolir le capitalisme et même l’individualisme induit par les valeurs de la République, donc critiquer l’idéologie des Lumières. Car ce n’est pas la société qui doit être au service des individus (droits de l’homme) mais l’individu au service de la société (don de soi, désintéressement).

Ce qu'il y a de sacré dans une communauté, ce sont les sacrifiés qui permettent finalement de faire tenir cette société. C'est le principe de la société catholique avec le sacrifice du Christ et ses saints. C'est le principe pas tout à fait admis mais tacite de la République française post45 avec les victimes de la Shoah et une prise de conscience collective assez tardive dans les années 80, que je ne remets pas en question, mais à condition de ne pas faire l'amalgame entre les vivants et les morts ou d'instrumentaliser les morts pour en tirer des avantages de son vivant - c'est ce que je reproche à BHL de faire avec emphase ; plus récemment c'est peut-être pour certains le sacrifice de Samuel Paty.

Beaucoup de musulmans ont encore le sens du sacré, c'est ce qui fait la différence et c'est ce qu'avait je le pense voulu exprimer Patrick Buisson. Référence peut-être à René Girard. C'est par le sacrifice que se forge la notion de sacralité, Les kamikazes islamistes meurent pour leur religion et tuent des mécréants, et à leurs yeux leur sacrifice est sacré. Le burn out par exemple est une forme de "sacrifice" de certains salariés sur l'autel du progrès et de la compétitivité, par la rivalité mimétique, qui peut mener jusqu'au suicide. Mais sans que cela ne débouche sur une quelconque forme de sacralité. Ce sont des victimes anonymes, des "chiens écrasés" ; victimes précisément de la perte du sens du sacré dans nos sociétés postmodernes. Pour certains le camp de la mort psychique c'est le monde du travail et plus généralement les rapports humains au sein de cette société, c'est l'immanence dépourvue du sens du sacré. Ça c'est pour le religieux.

Pour ce qui est de la métaphysique, c'est encore autre chose, les gens sont si pulsionnels aujourd'hui précisément, aussi mais pas seulement, parce qu'ils croient en la théorie de Freud, qui n'est pas une science exacte mais plutôt de l'ordre de la philosophie des idées, donc de la métaphysique, qui pourrait très bien être déconstruite comme avait commencé à le faire Onfray. La théorie de Freud est extrêmement violente à la façon de la technique qui exploite le monde sans état d'âme, l'homme y est conçu comme une machine à satisfaire sa libido pour fonctionner de manière optimale : on pense à cette Japonaise qui fornique avec les chiens et qui se filme en vidéo dans le dernier roman de Houellebecq. Si on téléportait un intellectuel du XVIIIème siècle à notre époque, je crois qu'il serait profondément choqué par la violence qui s'y déploie, et il regretterait peut-être même d'être à la source de l'idéologie des Lumières dont nous nous réclamons. 

De la même façon, dans une société globalement dépourvue de sacré, le sacrifice de Samuel Paty ne débouche finalement sur aucune forme de sacralité mais sur une reconnaissance républicaine. Il y a cependant certains événements faisant tenir la République actuelle et qui ne tolèrent pas la moindre remise en question et qui imposent le respect, donc le silence, avec dans l’ordre hiérarchique : la Shoah, la colonisation, l’esclavagisme, la patriarcat blanc, l’homophobie… Sur toutes ces formes de persécutions et de crimes, les héritiers des victimes se réclament des droits sacrés. Ils sont très largement majoritaires aujourd'hui en France, et le seul coupable est finalement l'homme blanc de plus de 50 ans.

Pour les plus extrémistes c'est-à-dire ceux qui se rapprochent de nos saints catholiques, tuer des mécréants est sacré. Décapiter Samuel Paty est sacré. Venger le prophète est sacré. Le djihad est sacré. La conquête de nouvelles terres où convertir, est sacrée.

Moi je pense qu'il y un lien entre le sacrifice et le sacré - les deux mots ont la même étymologie : sacrificare (de sacrum, neutre de sacer « ce qui est sacré »).

Celui qui est sacré dans une communauté c'est celui qui se sacrifie pour cette communauté, parfois il prend le statut de héros ou de saint.

Dans le paganisme, les victimes de sacrifices étaient sacrées.

Les gladiateurs romains dont on savait qu'ils allaient sacrifier leur vie étaient sacrés pour certaines femmes de basse vertu, qui leur proposaient de faire l'amour sans payer.

La "part maudite" de l'islam est la conquête, ce par quoi cette civilisation accède au sacré par le sacrifice des fous d'Allah ; qui pour nous est du terrorisme mais pas pour eux.

Pour la République laïque, il y a c'est évident une forme de sacralité de la Shoah ; les descendants des victimes de la colonisation, de l'esclavagisme, du patriarcat blanc, réclament eux aussi leur part de sacralité.

Ce qui est sacré est intouchable : « ce qui ne peut être touché sans être souillé, ou sans souiller ». Par exemple on ne peut pratiquement plus rien dire sur la Shoah, on peut juste se recueillir et observer un silence respectueux. Lorsque Roberto Benigni a voulu en faire un film léger, "La vie est belle", pour détendre un peu l'atmosphère, cela a provoqué un scandale ! Il est évident qu'un certain communautarisme juif cherche à en tirer des bénéfices (à l'instar de BHL qui est en réalité un théologien et non un philosophe ; « pensant » que sa personne est sacrée parce que juive), tout comme les descendants d'esclaves ou de la colonisation ; ou encore les femmes victimes du patriarcat blanc.

Un homme blanc de plus de 50 ans aura de plus en plus de mal à toucher une femme. Les femmes blanches particulièrement mais pas seulement, réclament elles aussi leur part de sacralité, leur "part maudite", parce qu'elles estiment qu'elles ont été sacrifiées sur l'autel du patriarcat blanc.

Même nos sociétés progressistes qui paraissent dépourvues du sens du sacré, ont en réalité conservé ce sens - dans une société victimaire comme la nôtre, toutes les victimes qui parviennent à accéder à la reconnaissance sont sacrées ; mais à un degré bien moindre que dans les sociétés où la religion est encore vivante comme l'islam, où ce ne sont pas les victimes mais les conquérants qui sont sacrés, comme autrefois nos saints qui mourraient en martyrs pour avoir essayé de convertir les païens. La société victimaire est juste utilisée comme une taqîya par les islamistes, pour s'y introduire et revendiquer des droits.

Samuel Paty est un saint moderne, mort d'avoir voulu convertir à la laïcité et à la liberté d'expression de jeunes musulmans.

3 commentaires:

  1. Je suis d'accord avec vous sur l'idée que le sens du sacré forge une communauté. Je suis d'accord aussi avec vous sur le démentellement des corporations d'artisans qui furent à l'origine de nos plus belles constructions et reflétent si bien le sens du sacré qui animait ces artisans. Je le ressens moi meme ce sens du sacré lorsque je penetre ds certaines églises. J'y ressens une paix, une sénérité. Toutefois, je ne suis pas catholique et d'une façon générale, je deteste les religions. La magie d'ailleurs ds les eglises cesse pour moi, dès lors qu'un pretre prend la parole.
    Le sens du sacré, pour moi, est indépendant des religions, des commandements, prescriptions parfois absurdes, qui m'apparaissent le troubler. Mais peut etre n'est ce que moi.
    Ma detestation des religions me rend incompréhensible les propos de Patrick Buisson.
    Quant au rapport entre l'homme et la société, ils doivent etre fait de réciprocité. L'homme est un animal social certes. Il a besoin de vivre avec les autres. Il est pret, pour ce faire à abandonner certaines de ses prérogatives, certaines de ses libertes. Mais la société, doit en retour, lui fournir des régles claires, de nature à assurer sa sécurité, et celle de sa famille. Des régles claires, de manière à lui permettre de s'épanouir ds cette société.

    RépondreSupprimer
  2. Je crois qu'il faut avant tout tenter de raison garder, et conserver un sens de la mesure.

    Quand Bernard-Henri Lévy évoque "l'ampleur de la vague, l'engouement, l'obscure jubilation à voir cet homme, non seulement profaner son nom, mais devenir le porte-glaive de ce que l'espérance juive a combattu depuis des millénaires", ce qu'il affirme est que Eric Zemmour serait le représentant moderne d'Amalek, l'adversaire métaphysique du peuple juif, qu'il serait le prêtre du Moloch l'idole sanglante dont la religion d'Israël a supplanté le culte. En termes simples, Zemmour serait le serviteur de Satan. C'est peu de dire que Lévy est dans l'outrance, il s'y vautre :-D !

    Cela dit, lorsque vous écrivez "Avec BHL c'est la vieille dialectique nietzschéenne des sous-hommes et des surhommes, dont on voit où elle nous a mené", n'allez-vous pas aussi vers l'outrance ? Je ne suis pas juif, et je ne partage pas nécessairement exactement la manière dont les juifs conçoivent leur rôle historique et métaphysique (1), mais je suis sûr d'une chose : le judaïsme n'est pas une doctrine raciste de gens qui se prendraient pour des surhommes :-D !

    (1) J'en suis resté pour ma part à Jésus : "Le salut vient des juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père" (Jean, 4, 22-23)

    RépondreSupprimer
  3. "Beaucoup de musulmans ont encore le sens du sacré"

    Non, je ne crois pas que ces adorateurs de météorite aient le "sens du sacré".
    L'islam est une orthopraxis qui a une vision absolument transcendante du démiurge, je ne vois pas dans cette religion de place particulière pour "le sacré": la transcendance absolue ne rentre pas en contact avec l'humanité, or le sacré réside dans les points de contact entre le démiurge et sa créature.

    La chose que les musulmans sacralisent le plus c'est la "communauté", ce qui pose des problèmes: endogamie, apostasie vécue comme une trahison etc.

    RépondreSupprimer