mardi 12 octobre 2021

L'impact des Trente Glorieuses

 


On me dit : « Pour prolonger votre réflexion sur la force du collectif et les conséquences délétères de l’individualisme contemporain, je vous suggère d’examiner avec vos angles de vision cette branche du capitalisme qui se développe, les entreprises à mission ainsi que l’économie sociale et solidaire. Vous y trouverez une troisième voie (rien à voir avec le concept politique…), qui pourrait même conduire à faire concilier votre conservatisme culturel, vos aspirations à un mode de production et de partage sur des bases collectives et enfin, les valeurs démocratiques occidentales. Une forme de quadrature du cercle. »

Je ne vois rien de tel se profiler à l'horizon, hélas ! Et j'attribue l'intervention que vous avez eu la grâce de m'accorder, à une forme d'idéalisme voire d'angélisme de votre part sur la nature du capitalisme, qui en outre ne correspond en rien à la réalité actuelle et sa nécessité propre. Avec une forme de conflit de civilisations en Europe (islam/judéo-christianisme), et de conflit des économies de grands ensembles (États-Unis/Europe/Chine...) à l'échelle du globe, qui les poussent à une compétitivité acharnée et à rechercher la baisse du coût du travail. L'expansion du capitalisme et donc du développement économique dans le monde entraînant comme effet l'explosion démographique, demain déjà nous serons 10 milliards sauf catastrophe d'ici-là. Je crains que nous n'allions pas vers un apaisement des relations humaines qui serait dû à un apaisement des rapports de classes, des rapports entre riches et pauvres, puisque la richesse sera de plus en plus mal partagée ; la théorie du ruissellement c'est du vent.

L’innovation destructrice de Schumpeter pourrait ne plus seulement se jouer dans le domaine des produits manufacturés mais aussi dans les rapports entre salariés (burn-out), et entre générations. Toujours privilégier pour la conquête de nouveaux marchés les jeunes générations, car elles innovent, au rebut les vieux : « un bon retraité est un retraité mort. »

Ce qui signifie à assez courte échéance la disparition de la culture classique, sauf pour quelques très rares happy few, car elle n’est pas rentable, elle n’entre effectivement pas dans le cycle « vertueux » de l’obsolescence des biens manufacturés. L’homme lui est rentable dans le cadre de la destruction créatrice et la conquête de nouveaux marchés (maisons de retraite au coût prohibitif), car son obsolescence est programmée par la nature.

En outre avec l'arraisonnement du monde (gestell) l'argent ne permet plus comme à la Renaissance jusqu'au milieu du XXème siècle, le mécénat pour une culture d’inspiration classique et humaniste, mais pour un art contemporain qui imite les mouvements de la destruction créatrice, c’est-à-dire du mode de dévoilement de la nature qui correspond à la gestell, qui n’est plus fait du tout de contemplation ou de célébration.

Tout notre paradigme sociétal je le crains (gauchisme culturel), découle des effets bénéfiques des Trente Glorieuses, de son impact civilisationnel, qui ont permis un apaisement des luttes de classes, un enrichissement considérable des classes populaires, la constitution d'une classe moyenne prospère, donc globalement un apaisement des rapports humains ; le tout tendant vers une égalité assez réelle entre individus.

Je crois que depuis 40 ans nous suivons le mouvement exactement inverse, mais que nous ne voulons toujours pas voir les conséquences de ce néolibéralisme acharné, qui je le sais nous est imposé par la mondialisation - il est donc plus subi que réellement voulu, surtout en France à la différence des pays anglo-saxons qui l'ont initié (Reagano-Thatchérisme). Au niveau du vote cela se traduit par une abstention massive et la montée des extrêmes, qui ne sont que la traduction de ce que les gens ressentent dans leur vie de tous les jours et dans le monde du travail. On ne croit plus aux solutions "miracles" de la social-démocratie. Et c'est parfaitement compréhensible, ce n'est pas l'attitude ostensiblement volontariste de certains coqs de basses cours qui se prétendent démocrates et qui hurlent au loup, qui y changera quelque chose.

« vous regrettez la nature du capitalisme, nous allons plus loin : nous regrettons la nature de l'homme qui mue ses instincts en pulsions, et fait passer ses désirs avant tout, quitte à ce que ces appétits détruisent la Terre. » : je crois que c’est directement lié à ce que Heidegger appelle la gestell, qui est un mode de dévoilement de la nature spécifique qui n’a plus rien d’une célébration, d’une contemplation ou d’une dévotion (arts, religions) ; mais qui est de l’ordre de l’exploitation voire du viol, jusqu’à épuisement complet (des ressources naturelles notamment). Je pense que c’est plus un problème qui concerne la métaphysique (métaphysique cartésienne au détriment d'un mode de dévoilement plus poétique et humaniste, comme celui de Montaigne) que la nature de l’homme. Plus un problème philosophique donc, qu’anthropologique ou psychanalytique (Freud). L'homme pourrait être tout autre chose, mais il a fait de mauvais choix dans son histoire dans le domaine de la métaphysique, et le drame est que l'on ne peut pas revenir en arrière.

1 commentaire:

  1. Vous avez parfaitement raison sur un horizon de temps instantané. Sur le temps long, le coût du travail ne sera plus l’élément déterminant. Ce qui sera déterminant, ce sera la maîtrise des données et de leur traitement intelligent. Sur la culture classique, nous pouvons être plus optimistes. Les élites sont en cours de reconstitution. Elles ne sont malheureusement plus dans la sphère politique, comme au XIXe et XXe siècles. C’est dommage mais c’est un fait. Les nouvelles élites vont promouvoir la culture classique que vous appelez de vos vœux car elle est intemporelle. Enfin, sur le mécénat, il est heureusement beaucoup plus étendu que ce qui est apparent. Croyez donc en l’avenir. Ce n’est du reste pas de l’angélisme (je dirigeais 10 000 salariés d’un groupe d’amplitude mondiale il y a encore peu de temps), c’est plutôt une vision prospective appuyée sur l’expérience du chef d’entreprise, mâtinée par une vision publique d’élu, modeste, de la République. La destruction créatrice schumpéterienne est avant tout une impulsion créatrice.

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