vendredi 9 février 2018

Le lancement de la fusée Falcon Heavy ne peut-elle pas être assimilée à une "performance" (telle qu'on la définit dans l'art contemporain) ?


Est-ce que réellement une société peut fonctionner sur autre chose que la théorie du don et du contre don telle qu'énoncée par Marcel Mauss ? Après cela pose bien des questions. Est-ce que tout le monde est capable de jouer le jeu sans tricherie, c'est-à-dire sans essayer d'accumuler tout seul dans son coin dans le jeu capitalistique de la concurrence, comme un « renard dans le poulailler » ?
Toujours est-il que la société libérale actuelle ne s'est pas construite sur ce modèle du don, pourtant propre à la nature humaine et qui sous-entend l'interrelationnel. Mais il y a maintenant environ 250 ans par la voix des premiers théoriciens de la doctrine libérale, et ses épigones qui sont venus la soutenir au fil du temps, sur une vision beaucoup plus pessimiste et noire de la nature humaine, qui supposait que l'homme se construit comme un individu isolé des autres individus à la manière d'un Robinson Crusoé au sein même d'une société, incapable suivant cette conception de donner (puisque les autres n'existent pas, comme l'interrelationnel n'existe pas au fond), mais juste d'accumuler pour s'enrichir, par le biais du commerce en ne poursuivant que des intérêts personnels.
Au point qu'aujourd'hui l'intérêt personnel de quelques individus supplante totalement l'intérêt général d'une communauté, ensemble des individus composant la société qui en régime démocratique était représenté par des États qui servaient l'intérêt général.
Avec le lancement de la Falcon Heavy dans l'espace, ce qui est inquiétant est que ce ne sont même plus des organisations étatiques qui font la loi en matière spatiale, comme la Nasa ou Ariane espace en Europe, mais des individus plus ou moins crédibles comme Elon Musk, que le système libéral a laissé s'enrichir de façon totalement démesurée.
On risque de retomber dans un genre de tyrannie qui n'aura alors plus rien à envier aux pires époques de l'histoire, cela ne manque pas.
On sera, on est déjà, dirigé par des multinationales menées par des gourous séduisants et séducteurs, mais des gourous, avec tous les excès que peut comporter la définition d'un tel mot. Vivons-nous encore en démocratie ? Quid de l'intérêt général ? Quand ce qui prime en régime libéral-libertaire est l'intérêt particulier d'une poignée d'individus qui dirigent le monde du travail, au gré de principes de management de plus en plus aliénants.
Peut-être alors que la théorie du don et du contre don telle qu'énoncée par Marcel Mauss, est incompatible avec la vision de l'homme qu'en avaient les théoriciens libéraux ? Peut-être même que l'idée de démocratie est incompatible avec la vision de l'homme qu'en avaient les théoriciens libéraux ?

Il me semble qu'à bien des égards l'art contemporain ne fasse que mimer les processus économiques à l'œuvre dans le capitalisme moderne, par la dichotomie valeur d'échange/valeur d'usage concernant l'utilisation que l'on peut faire d'une œuvre contemporaine qui repose plus sur sa valeur d'échange que d'usage précisément, par la notion d'obsolescence programmée des objets d'art contemporain généralement, par la notion aussi de bulle spéculative par laquelle une œuvre d'art contemporain accède à une forme de reconnaissance, enfin par la notion de performance, dont le sens peut évoquer la démarche d'un artiste contemporain, mais aussi qui aligne l'art sur le processus qui préside à la production/consommation ; sur le résultat obtenu dans une compétition, les performances d'un champion ; sur le rendement, le résultat le meilleur : les performances d'une machine. C'est aussi un peu me semble-t-il, la force et en même temps la limite de l'art contemporain.

Juste pour revenir à l'actualité, la voiture avec son mannequin à bord lancé dans l'espace par la fusée Falcon Heavy, ne pourrait-t-elle pas être assimilable à une œuvre d'art contemporain ?
« La performance (...) héritière du happening et des courants anarchistes de l'après-1968, elle est encore souvent considérée comme refusant précisément le courant d'industrialisation et de marchandisation de l'art. » (voir ici dans les commentaires). Vous faites le distingo entre marchandisation et anarchisme, je vais essayer de démontrer que les deux termes sont en réalité liés aujourd'hui, alors qu'ils ne le furent pas du point de vue de leur genèse historique.
Est-ce que la vision que l'on peut avoir de mai 68, ne dépend pas d'où l'on se situe ? Pour ma part j'interprète ce mouvement comme une fantastique dilapidation de richesses.
Pour la génération qui l'a vécu ce fut très jubilatoire et plus encore très jouissif, comme pour un enfant de détruire le château de cartes qu'il avait mis des heures à bâtir. Une jubilation très perceptible dans le comportement de beaucoup de baby-boomers, même aujourd'hui, qui souvent se comportent encore comme des gamins à 70 ans révolus (refusant d'être coupables, ils se voulaient responsables, alors qu'en réalité ce sont tous globalement des irresponsables). Tous les possibles s'ouvraient alors à eux. Mais c'est bien finalement l'option libérale que la plupart des acteurs de cette époque ont choisi. Et cette « fête » que constitua mai 68, interminable (cf Philippe Muray), plus encore que ce mouvement anarchiste, ne peut-elle pas être interprétée par les générations qui suivent, souvent dans la douleur, comme une fantastique dilapidation de 1500 ans d'héritage principalement chrétien pour ce qui est de la civilisation occidentale, tant au niveau matériel, que moral et spirituel. Avec le recul, ne s'aperçoit-on pas qu'il s'agit d'un fantastique gâchis qui a abouti effectivement à l'enrichissement exponentiel d'une poignée d'individu dont le plus riche d'entre eux, Jeff Bezos, avec quand même 115, 7 milliards de dollars de capital, se définit lui-même comme un libertarien, c'est-à-dire comme un anarchiste certes capitaliste mais qui milite (la mot militant renvoie à un imaginaire propre aux contestations étudiantes des années 60/70) pour la suppression de toute contrainte étatique.

Ce qui est intéressant dans cette définition qu'un milliardaire donne de lui-même, c'est effectivement le terme anarchiste que l'on croirait directement issu des mouvements de la jeunesse occidentale en révolte dans la fin des années 60 et le courant des années 70. Terme anarchiste donc, qui établit un cousinage entre ce que le libéralisme semble avoir fait de pire (des situations de management où les travailleurs sont dépossédés de leur travail, aboutissant à des pathologies de burn-out généralisées), et la contestation sympa des jeunes chevelus baby-boomers dans ce tournant dans l'histoire.
Bref je pense que tout est lié, on ne peut distinguer complètement et les opposer, les courants anarchistes des courants néolibéraux qui ont émergés de mai 68, les deux ne sont pas distincts, mais s'enrichissent ou s'appauvrissent mutuellement et globalement (au sens de la mondialisation économique globale refusant toute contrainte étatique).
De plus, quid des générations venant après celle fameuse qui a fait mai 68 ? Qui globalement au nom de cette jouissance et de cette jubilation dans l'action de détruire un héritage, en vue de la réalisation d'une utopie (ou plutôt d'utopies diverses et variées ayant finalement générée une utopie globale, celle d'une mondialisation délivrée des contraintes étatiques), fut ensuite dans l'incapacité pour des raisons multiples en plus de celles que j'ai évoquées, de transmettre quoique ce soit aux générations venant après. Ce qui pourrait être un élément d'explication de la crise actuelle, dans l'incapacité qu'ont de bien vivre, car privées de tout héritage symbolique et même commun, les générations venant après cette génération funeste et globalement destructrice.
Bien entendu il ne s'agit que d'une hypothèse que je généralise dans un souci de démarche philosophique. Si réellement ce que ma proposition sur la génération des baby-boomers et de celles qui viennent après s'avérait exact, c'est-à-dire était généralisable, alors ne pourrait-on pas dire que l'hypothèse est valide ?
Est-ce qu'alors ma proposition ne prendrait pas la pertinence et la véracité d'un fait établi, alors que jusqu'ici il ne s'agissait que d'une hypothèse fondée sur un vécu particulier, une idiosyncrasie ? Car en recoupant une expérience avec d'autres expériences on arrive à peu près à la même conclusion.

C'est dire si la question de l'art contemporain, de savoir si il se rattache à un modèle libéral ou un modèle anarchiste, apparaît bien futile et dérisoire en comparaison de la crise de civilisation dans laquelle nous nous trouvons. Et l'art contemprorain n'est-il pas intéressant en tant qu'il peut être un révélateur de cette crise ? Un symptôme du passage de témoin d'une civilisation qui reposa sur l'idée de Dieu (avec un art chrétien rendant directement hommage à Dieu, et les mouvements classique, baroques puis romantiques qui s'y rattachent par filiation spirituelle), à une civilisation qui repose sur la fascination de la Technique (principalement l'art contemporain) et privée de toute transcendance divine (un art surréaliste qui cherche sa transcendance dans l'inconscient et le rêve, un art moderne puis aujourd'hui contemporain qui ont pris acte de la mort de dieu) et de toute spiritualité, sans morale non plus. Art contemporain donc, témoignage d'une époque, plus symptomatique et intéressant sous cet angle là, que de savoir s'il se rattache à une filiation anarchiste ou libérale (puisqu'a fortiori comme je l'ai dit les deux termes sont étroitement liés aujourd'hui) ?
Ne sommes nous pas passés d'un paradigme religieux à un paradigme sacrificiel qui découle de l'économie de marché dérégulée, avec un court intermède laïque qui ne générait pas assez de sens ? Sacrificiel au sens où l'on peut faire l'analogie avec une civilisation comme la civilisation aztèque, je m'explique. Au sein de la famille : sacrifice de l'un de ses membres généralement un des enfants ou le seul enfant, pour qu'elle fonctionne ; au sein de l'entreprise ou d'un groupe social, sacrifice d'une catégorie du personnel ou de certains membres du groupe pour qu'ils fonctionnent, au sein d'une nation, sacrifice de catégories de la population (chômeurs, sdf), pour qu'elle fonctionne. Alors que les religions faisaient la différence entre fidèles et hérétiques, ou fidèles et infidèles (selon la terminologie musulmane, les "infidèles"), avec tous les abus liés à l'intolérance que cela pouvait susciter (l'inquisition, les croisades, les guerres de religions) ; notre société sacrificielle, dont le leitmotiv est la jouissance très intense du réel immanent comme justification et comme récompense, sans principes transcendants d'origine divine ou spirituelle, et sans contraintes liées à la transmission d'une culture ou d'une civilisation, ne génère-t-elle pas une fabrique dualiste de bourreaux et de victimes ?
Enfin pour rendre compte de ce Réel traumatisant ou exaltant, cela dépend où l'on se situe, bien des œuvres d'art sont là pour en rendre compte. La noirceur de la vision de l'homme des premiers théoriciens libéraux, qui repose sur le fondement irréfragable de son unique intérêt personnel, de son isolement théorique au sein de la société, et du rapport de lui-même avec lui-même comme un Robinson Crusoé, et non sur la théorie anthropologique du don et du contre don qui sous-entend qu'il est avant tout un animal social qui puise sa richesse dans la relation avec autrui, interrelationnel observable dans toutes les tribus primitives et aussi dans la plupart des sociétés religieuses d'antan ou contemporaines, et enfin les conséquences de cette vision noire, pessimiste et pauvre, sur le fonctionnement de la société, est bien rendue visible dans une grande partie de la production artistique issue du cinéma (je pense tout particulièrement à un film comme Crash de Cronenberg qui rend compte du thème de l'automutilation), de la bd, ou de la littérature.
Pour conclure la crise actuelle ne vient-elle pas d'un contresens par les théoriciens libéraux, de ce qui fait la nature profonde de l'homme, et aboutissant aujourd'hui à des phénomènes comme le sacrifice ou l'automutilation ? Ce vaste contresens n'est-il pas à l'origine de l'aporie ou crise de civilisation gigantesque dans laquelle nous nous trouvons ?

6 commentaires:

  1. C'est trop long et répétitif, juste un détail, tous les baby boomers que je connais (les parents de mes potes) pratiquent la solidarité inter générationnelle à part les tiens, tes conclusions sont déformées par ton expérience personnelle, ce n'est pas scientifique du tout.

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  2. La solidarité c'est presque une forme de pitié, comme si les parents baby boomers s'étaient rendus compte de leur grave faute morale (la privation de transmission), et essayaient de la rattraper par des biens matériels, bref en achetant le silence de leurs enfants.

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  3. Mais quel trou du cul tu fais, tu me l'a avoué toi même, ton amertume. Du coup tu vas laisser tes filles se démerder pour ne pas leur faire la charité, mais quel con !

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  4. Oui mes parents m'ont peut-être rendus service, mon père en me reniant, et ma mère en refusant de me donner matériellement quoique ce soit. Après avoir refusé toute transmission d'ordre culturel et/ou spirituel, en négligeant mon éducation par exemple, ils s'en tamponnaient le coquillard, car ils avaient rejeté toute forme de moralité. Mais par là même, ils n'ont pas acheté mon silence, car encore aujourd'hui ils persistent dans leur comportement méchant et pervers dogmatiquement : ce qu'ils ont retenus d'un mouvement comme mai 68, la seule méchanceté et perversion, alors que ce mouvement n'est pas réductible fort heureusement, à ces deux termes.

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  5. Mais pourquoi finis-tu par te résumer à ça : aigreur, jalousie, repli sur des valeurs réactionnaires ? Heureusement j'imagine que tu es autre, car ce que tu renvoies est absolument détestable.

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  6. N'oubliez pas que Goebbels avait lu attentivement le "Propaganda" de Edward Bernays, bible de la publicité américaine au cours du 1er vingtième siècle. La relation entre les méthodes de propagande du capitalisme et du nazisme n'est par conséquent pas à nier, même si, heureusement les dégâts ne sont pas de même ampleur. Quant à la vision pessimiste de l'humanité que vous évoquez plus haut, elle fonde clairement les théories d'Adam Smith et de Mandeville. Finalement on voit clairement les racines du mal...

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