Est-ce que réellement une société
peut fonctionner sur autre chose que la théorie du don et du contre don telle
qu'énoncée par Marcel Mauss ? Après cela pose bien des questions. Est-ce que
tout le monde est capable de jouer le jeu sans tricherie, c'est-à-dire sans
essayer d'accumuler tout seul dans son coin dans le jeu capitalistique de la
concurrence, comme un « renard dans le poulailler » ?
Toujours est-il que la société
libérale actuelle ne s'est pas construite sur ce modèle du don, pourtant propre
à la nature humaine et qui sous-entend l'interrelationnel. Mais il y a maintenant environ 250 ans par la voix des premiers
théoriciens de la doctrine libérale, et ses épigones qui sont venus la soutenir
au fil du temps, sur une vision beaucoup plus pessimiste et noire de la
nature humaine, qui supposait que l'homme se construit comme un individu isolé des autres individus à la manière d'un Robinson Crusoé au sein même d'une société, incapable suivant cette conception de donner (puisque les autres n'existent pas, comme l'interrelationnel n'existe pas au fond), mais juste
d'accumuler pour s'enrichir, par le biais du commerce en ne poursuivant que des
intérêts personnels.
Au point qu'aujourd'hui l'intérêt
personnel de quelques individus supplante totalement l'intérêt général d'une
communauté, ensemble des individus composant la société qui en régime
démocratique était représenté par des États qui servaient l'intérêt général.
Avec le lancement de la Falcon
Heavy dans l'espace, ce qui est inquiétant est que ce ne sont même plus des
organisations étatiques qui font la loi en matière spatiale, comme la Nasa ou
Ariane espace en Europe, mais des individus plus ou moins crédibles comme Elon
Musk, que le système libéral a laissé s'enrichir de façon totalement démesurée.
On risque de retomber dans un
genre de tyrannie qui n'aura alors plus rien à envier aux pires époques de
l'histoire, cela ne manque pas.
On sera, on est déjà, dirigé par
des multinationales menées par des gourous séduisants et séducteurs, mais des
gourous, avec tous les excès que peut comporter la définition d'un tel mot.
Vivons-nous encore en démocratie ? Quid de l'intérêt général ? Quand ce qui
prime en régime libéral-libertaire est l'intérêt particulier d'une poignée
d'individus qui dirigent le monde du travail, au gré de principes de management
de plus en plus aliénants.
Peut-être alors que la théorie du
don et du contre don telle qu'énoncée par Marcel Mauss, est incompatible avec
la vision de l'homme qu'en avaient les théoriciens libéraux ? Peut-être même
que l'idée de démocratie est incompatible avec la vision de l'homme qu'en avaient
les théoriciens libéraux ?
Il me semble qu'à bien des égards
l'art contemporain ne fasse que mimer les processus économiques à l'œuvre dans
le capitalisme moderne, par la dichotomie valeur d'échange/valeur d'usage
concernant l'utilisation que l'on peut faire d'une œuvre contemporaine qui repose plus sur sa valeur d'échange que d'usage précisément, par la
notion d'obsolescence programmée des objets d'art contemporain généralement,
par la notion aussi de bulle spéculative par laquelle une œuvre d'art
contemporain accède à une forme de reconnaissance, enfin par la notion de
performance, dont le sens peut évoquer la démarche d'un artiste contemporain,
mais aussi qui aligne l'art sur le processus qui préside à la
production/consommation ; sur le résultat obtenu dans une compétition, les
performances d'un champion ; sur le rendement, le résultat le meilleur : les
performances d'une machine. C'est aussi un peu me semble-t-il, la force et en
même temps la limite de l'art contemporain.
Juste pour revenir à l'actualité,
la voiture avec son mannequin à bord lancé dans l'espace par la fusée Falcon
Heavy, ne pourrait-t-elle pas être assimilable à une œuvre d'art contemporain ?
« La performance (...) héritière
du happening et des courants anarchistes de l'après-1968, elle est encore
souvent considérée comme refusant précisément le courant d'industrialisation et
de marchandisation de l'art. » (voir ici dans les commentaires). Vous faites le distingo entre marchandisation et
anarchisme, je vais essayer de démontrer que les deux termes sont en réalité
liés aujourd'hui, alors qu'ils ne le furent pas du point de vue de leur genèse
historique.
Est-ce que la vision que l'on
peut avoir de mai 68, ne dépend pas d'où l'on se situe ? Pour ma part
j'interprète ce mouvement comme une fantastique dilapidation de richesses.
Pour la génération qui l'a vécu
ce fut très jubilatoire et plus encore très jouissif, comme pour un enfant de
détruire le château de cartes qu'il avait mis des heures à bâtir. Une
jubilation très perceptible dans le comportement de beaucoup de baby-boomers, même aujourd'hui, qui souvent se comportent encore comme des gamins à 70 ans
révolus (refusant d'être coupables, ils se voulaient responsables, alors qu'en
réalité ce sont tous globalement des irresponsables). Tous les possibles
s'ouvraient alors à eux. Mais c'est bien finalement l'option libérale que la
plupart des acteurs de cette époque ont choisi. Et cette « fête » que constitua
mai 68, interminable (cf Philippe Muray), plus encore que ce mouvement
anarchiste, ne peut-elle pas être interprétée par les générations qui suivent,
souvent dans la douleur, comme une fantastique dilapidation de 1500 ans
d'héritage principalement chrétien pour ce qui est de la civilisation
occidentale, tant au niveau matériel, que moral et spirituel. Avec le recul, ne
s'aperçoit-on pas qu'il s'agit d'un fantastique gâchis qui a abouti
effectivement à l'enrichissement exponentiel d'une poignée d'individu dont le
plus riche d'entre eux, Jeff Bezos, avec quand même 115, 7 milliards de dollars
de capital, se définit lui-même comme un libertarien, c'est-à-dire comme un
anarchiste certes capitaliste mais qui milite (la mot militant renvoie à un
imaginaire propre aux contestations étudiantes des années 60/70) pour la
suppression de toute contrainte étatique.
Ce qui est intéressant dans cette
définition qu'un milliardaire donne de lui-même, c'est effectivement le terme
anarchiste que l'on croirait directement issu des mouvements de la jeunesse
occidentale en révolte dans la fin des années 60 et le courant des années 70.
Terme anarchiste donc, qui établit un cousinage entre ce que le libéralisme
semble avoir fait de pire (des situations de management où les travailleurs
sont dépossédés de leur travail, aboutissant à des pathologies de burn-out
généralisées), et la contestation sympa des jeunes chevelus baby-boomers dans
ce tournant dans l'histoire.
Bref je pense que tout est lié,
on ne peut distinguer complètement et les opposer, les courants anarchistes des
courants néolibéraux qui ont émergés de mai 68, les deux ne sont pas distincts,
mais s'enrichissent ou s'appauvrissent mutuellement et globalement (au sens de
la mondialisation économique globale refusant toute contrainte étatique).
De plus, quid des générations
venant après celle fameuse qui a fait mai 68 ? Qui globalement au nom de cette
jouissance et de cette jubilation dans l'action de détruire un héritage, en vue
de la réalisation d'une utopie (ou plutôt d'utopies diverses et variées ayant
finalement générée une utopie globale, celle d'une mondialisation délivrée des
contraintes étatiques), fut ensuite dans l'incapacité pour des raisons
multiples en plus de celles que j'ai évoquées, de transmettre quoique ce soit
aux générations venant après. Ce qui pourrait être un élément d'explication de
la crise actuelle, dans l'incapacité qu'ont de bien vivre, car privées de tout
héritage symbolique et même commun, les générations venant après cette
génération funeste et globalement destructrice.
Bien entendu il ne s'agit que
d'une hypothèse que je généralise dans un souci de démarche philosophique. Si
réellement ce que ma proposition sur la génération des baby-boomers et de
celles qui viennent après s'avérait exact, c'est-à-dire était généralisable,
alors ne pourrait-on pas dire que l'hypothèse est valide ?
Est-ce qu'alors ma proposition ne
prendrait pas la pertinence et la véracité d'un fait établi, alors que jusqu'ici il ne
s'agissait que d'une hypothèse fondée sur un vécu particulier, une
idiosyncrasie ? Car en recoupant une expérience avec d'autres expériences on
arrive à peu près à la même conclusion.
C'est dire si la question de
l'art contemporain, de savoir si il se rattache à un modèle libéral ou un
modèle anarchiste, apparaît bien futile et dérisoire en comparaison de la crise
de civilisation dans laquelle nous nous trouvons. Et l'art contemprorain
n'est-il pas intéressant en tant qu'il peut être un révélateur de cette crise ?
Un symptôme du passage de témoin d'une civilisation qui reposa sur l'idée de Dieu (avec un art chrétien rendant directement hommage à Dieu, et les
mouvements classique, baroques puis romantiques qui s'y rattachent par
filiation spirituelle), à une civilisation qui repose sur la fascination de la
Technique (principalement l'art contemporain) et privée de toute transcendance
divine (un art surréaliste qui cherche sa transcendance dans l'inconscient et
le rêve, un art moderne puis aujourd'hui contemporain qui ont pris acte de la
mort de dieu) et de toute spiritualité, sans morale non plus. Art contemporain donc, témoignage d'une époque, plus symptomatique et intéressant sous cet angle
là, que de savoir s'il se rattache à une filiation anarchiste ou libérale
(puisqu'a fortiori comme je l'ai dit les deux termes sont étroitement liés aujourd'hui)
?
Ne sommes nous pas passés d'un
paradigme religieux à un paradigme sacrificiel qui découle de l'économie de
marché dérégulée, avec un court intermède laïque qui ne générait pas assez de
sens ? Sacrificiel au sens où l'on peut faire l'analogie avec une civilisation
comme la civilisation aztèque, je m'explique. Au sein de la famille : sacrifice
de l'un de ses membres généralement un des enfants ou le seul enfant, pour
qu'elle fonctionne ; au sein de l'entreprise ou d'un groupe social, sacrifice d'une
catégorie du personnel ou de certains membres du groupe pour qu'ils fonctionnent, au
sein d'une nation, sacrifice de catégories de la population (chômeurs, sdf),
pour qu'elle fonctionne. Alors que les religions faisaient la différence entre
fidèles et hérétiques, ou fidèles et infidèles (selon la terminologie
musulmane, les "infidèles"), avec tous les abus liés à l'intolérance
que cela pouvait susciter (l'inquisition, les croisades, les guerres de religions) ; notre société
sacrificielle, dont le leitmotiv est la jouissance très intense du réel
immanent comme justification et comme récompense, sans principes transcendants
d'origine divine ou spirituelle, et sans contraintes liées à la transmission
d'une culture ou d'une civilisation, ne génère-t-elle pas une fabrique dualiste
de bourreaux et de victimes ?
Enfin pour rendre compte de ce
Réel traumatisant ou exaltant, cela dépend où l'on se situe, bien des œuvres
d'art sont là pour en rendre compte. La noirceur de la vision de l'homme des
premiers théoriciens libéraux, qui repose sur le fondement irréfragable de son unique intérêt personnel, de son isolement théorique au sein de la société, et du rapport de lui-même avec lui-même comme un Robinson Crusoé, et non sur la théorie anthropologique du don et du contre don qui sous-entend qu'il est avant tout un animal social qui puise sa richesse dans la relation avec autrui, interrelationnel observable dans toutes les tribus primitives et aussi dans la plupart des
sociétés religieuses d'antan ou contemporaines, et enfin les conséquences de cette vision noire,
pessimiste et pauvre, sur le fonctionnement de la société, est bien rendue visible dans une grande partie de la production artistique issue du cinéma
(je pense tout particulièrement à un film comme Crash de Cronenberg
qui rend compte du thème de l'automutilation), de la bd, ou de la littérature.
Pour conclure la crise actuelle
ne vient-elle pas d'un contresens par les théoriciens libéraux, de ce qui fait
la nature profonde de l'homme, et aboutissant aujourd'hui à des phénomènes
comme le sacrifice ou l'automutilation ? Ce vaste contresens n'est-il pas à
l'origine de l'aporie ou crise de civilisation gigantesque dans laquelle nous
nous trouvons ?
C'est trop long et répétitif, juste un détail, tous les baby boomers que je connais (les parents de mes potes) pratiquent la solidarité inter générationnelle à part les tiens, tes conclusions sont déformées par ton expérience personnelle, ce n'est pas scientifique du tout.
RépondreSupprimerLa solidarité c'est presque une forme de pitié, comme si les parents baby boomers s'étaient rendus compte de leur grave faute morale (la privation de transmission), et essayaient de la rattraper par des biens matériels, bref en achetant le silence de leurs enfants.
RépondreSupprimerMais quel trou du cul tu fais, tu me l'a avoué toi même, ton amertume. Du coup tu vas laisser tes filles se démerder pour ne pas leur faire la charité, mais quel con !
RépondreSupprimerOui mes parents m'ont peut-être rendus service, mon père en me reniant, et ma mère en refusant de me donner matériellement quoique ce soit. Après avoir refusé toute transmission d'ordre culturel et/ou spirituel, en négligeant mon éducation par exemple, ils s'en tamponnaient le coquillard, car ils avaient rejeté toute forme de moralité. Mais par là même, ils n'ont pas acheté mon silence, car encore aujourd'hui ils persistent dans leur comportement méchant et pervers dogmatiquement : ce qu'ils ont retenus d'un mouvement comme mai 68, la seule méchanceté et perversion, alors que ce mouvement n'est pas réductible fort heureusement, à ces deux termes.
RépondreSupprimerMais pourquoi finis-tu par te résumer à ça : aigreur, jalousie, repli sur des valeurs réactionnaires ? Heureusement j'imagine que tu es autre, car ce que tu renvoies est absolument détestable.
RépondreSupprimerN'oubliez pas que Goebbels avait lu attentivement le "Propaganda" de Edward Bernays, bible de la publicité américaine au cours du 1er vingtième siècle. La relation entre les méthodes de propagande du capitalisme et du nazisme n'est par conséquent pas à nier, même si, heureusement les dégâts ne sont pas de même ampleur. Quant à la vision pessimiste de l'humanité que vous évoquez plus haut, elle fonde clairement les théories d'Adam Smith et de Mandeville. Finalement on voit clairement les racines du mal...
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