samedi 3 février 2018

Le préraphaélite Waterhouse



L'historien des idées : « LA "PERFORMANCE"... consistant à retirer le tableau du préraphaélite Waterhouse des cimaises du musée afin de "provoquer un débat", ne ressortit pas seulement à la censure puritaine ; le geste est également symptomatique de la démarche dominante dans l'art contemporain, visant à substituer la réflexion à la médiation.
L'art contemporain, depuis 101 ans exactement, baigne dans l'urinoir à Duchamp, l'impasse conceptuelle. »

L'enseignante : « Un art qu'il faut expliquer, commenter, ratiociner, intellectualiser ...un art décharné, aseptisé, mais bavard ! Bref, 101 ans de non-art. »

L'historien des idées : « Je ne me lancerai pas dans ce pont aux ânes qui consisterait à définir l'art : je souscris lâchement à la définition de l'anthropologue Mauss, « un objet d'art, par définition, est l'objet reconnu comme tel par un groupe ». Seulement voilà, je ne suis pas un groupe et ne reconnais pas un objet d'art dans un objet purement réflexif. La performance en cause dans ce statut ne représente pas de l'art à mes yeux, mais un symptôme. »

La photographe : « Bien d'accord avec : "La performance en cause dans ce statut ne représente pas de l'art à mes yeux, mais un symptôme." »

L'historien des idées : « Pour le reste, je ne suis moi-même qu'à moitié d'accord, bien d'accord là-dessus... »

Moi : « C'est peut-être un symptôme d'une perte de sens, phénomène purement contemporain, en opposition à l'art issu d'une religion/traditions/coutumes/mœurs en commun, qui générait des œuvres plus intemporelles que "contemporaines"... »

L'historien des idées : « Ceci dit, toute la "civilisation" contemporaine ne produit que des objets éphémères, obsolescents, aussi vite apparus que disparus : cette "civilisation" ne met-elle pas continuellement en scène, au fond, l'extinction pressentie de l'espèce ? »

Moi : « Le mot "performance" est intéressant, car le monde du travail recherche des acteurs rentables, donc performants. Bien sûr c'est la même chose pour le sport, et même la vie intime, puisque les femmes et les hommes recherchent de plus en plus un "bon coup", pour accomplir une performance sexuelle (sur le modèle de l'industrie du porno). »

L'historien des idées : « J'ai toujours trouvé le concept assez louche, qui aligne l'art sur le processus qui préside à la production/consommation : Résultat obtenu dans une compétition.
1. Les performances d'un champion.
2. Rendement, résultat, le meilleur. Les performances d'une machine. »

L'intellectuel socialiste : « N'as-tu pas donné la définition d'un objet d'art, Arnaud ? Il me semble que sans règles il n'y a plus d'art mais seulement des faits. Et si l'art contemporain se repaît de l'éphémère, il n'est alors que le reflet de la société marchande d'où il sort. L'art contemporain ne serait donc pas un symptôme mais un caractère distinctif de la société marchande contemporaine. L'antiquité produisait pour durer (pyramides), l'art contemporain produit en vue d'une consommation à l'infini comme l'accumulation infinie de la plus-value. »

Moi : « Le mot obsolescence peut aussi renvoyer à l'opposition entre valeur d'usage et valeur d'échange. Aujourd'hui la valeur d'échange supplante dans tous les domaines celle d'usage. Celle d'usage c'est bien l'utilisation que l'on peut en faire, comme d'une maison pour y vivre, en jouir de l'usage et s'y reposer. Cette valeur est mise à mal depuis 20 ans en France, par l'explosion des prix de l'immobilier par exemple. Autrement dit la spéculation sur les maisons, mais également sur les objets de la vie quotidienne prend le pas sur le plaisir que l'on pourrait en retirer en les utilisant, c'est-à-dire en en profitant sans considération pour leur valeur marchande. Evidemment dans le cadre de cette spéculation sur les objets de la vie quotidienne, l'obsolescence des biens de consommation, est programmée.
Je crois que l'on peut appliquer le même raisonnement concernant l’obsolescence et l'opposition valeur d'échange/valeur d'usage à l'ensemble de l'art contemporain, dont les œuvres de ceux qui y réussissent sont soumises à la spéculation, et font même l'objet de bulles spéculatives, dont un artiste comme Jeff Koons pourrait être le représentant emblématique. »

L'historien des idées : « Définition pertinente cher intellectuel socialiste, en effet, pour ce qui est de la société contemporaine, mais pas définition de ce qu'est l'art "pour moi", comme disait Nietzsche. »

Moi : « Ce qui est inquiétant c'est votre expression "l'extinction pressentie de l'espèce". J'avoue que je partage la même inquiétude, et ce n'est pas facile à vivre tous les jours. La question est me semble-t-il, n'y a-t-il pas un moyen d'infléchir le cours des choses dans une autre direction que l'extinction de l'espèce humaine ? C'est-à-dire que comme tout le monde j'ai quelques intérêts dans cette société mortifère, et je voudrais bien que ma descendance s'en sorte sur plusieurs générations au moins. »

L'intellectuel socialiste : « Je sais bien que définir l'art est un exercice difficile d'autant que l'art échappe à la nécessité de la démonstration puisque, s'il dit quelque chose, il ne dit pas le vrai ou alors pas de manière déductive par une suite de démonstrations rationnelles.
Ce sont précisément les artistes contemporains qui devraient s'efforcer de lever l'embarras sur la nature de leur art en lui donnant une définition même relative, si un artiste ne sait pas donner une définition même relative de son art c'est qu'il ne sait pas ce qu'il fait. L'art contemporain sans définition, même relative, est une éternelle question. »

Moi : « Car le même raisonnement pourrait aussi être appliqué aux individus dont on programmerait génétiquement l'obsolescence ou non, en fonction des services qu'on voudrait qu'ils rendent à la société, sur le modèle du Meilleur des Mondes ou de Bienvenu à Gattaca. Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait empêcher un raisonnement qui désormais s'applique aux modes de vie et à l'art, de s'appliquer ensuite aux individus eux-mêmes, et où seule compterait leur valeur marchande.
Jusqu'ici nous n'étions que des êtres éphémères dont l'obsolescence avait été programmé par Dieu et nous acceptions notre condition en lui rendant hommage par des œuvres d'art intemporelles et impérissables, or nous devenons peu à peu des êtres éphémères dont l’obsolescence est programmée par la Technique. Il se dit en catimini que l'humanité pourrait être divisée entre une fraction infime de riches qui jouirait de tous les bienfaits de la Technique, dont l'augmentation biologique des facultés humaines et la vie quasi immortelle, alors que l'immense majorité de la population pourrait lui servir de marché aux organes. Mais peut-être ne s'agit-il que d'une rumeur dans le cadre du projet transhumaniste ? Cependant les écarts vertigineux de richesse déjà à l'œuvre aujourd'hui même devraient nous mettre la puce à l'oreille, ils préfigurent sans doute un monde bien plus cauchemardesque... »

La prof d'arts plastiques : « Arnaud a donné une définition a minima, d'emblée, celle de Mauss, « un objet d'art, par définition, est l'objet reconnu comme tel par un groupe ».
Cette définition fut longtemps utile puisque les œuvres avaient une fonction sociale : souvent témoigner du prestige de celui qui l'offrait à sa communauté.
Elles devaient alors être "lisibles" immédiatement par tous ou au moins "épater" ceux qui ne les comprenaient pas toujours.
Avec l'individualisme et le matérialisme bourgeois d'abord, se généralisant ensuite, l'art se simplifie et devient même souvent simpliste, sans intention intellectuelle sous-jacente.
L'art moderne, puis contemporain, est une rupture totale avec ces deux précédentes fonctions.
Il est intellectuel (parfois même elliptique) et n'a pas forcément de fonction, sauf quand il est protestataire.
Il va du "regard" original à une pure recherche d'émotion dont la lecture repose sur le vécu du spectateur.
Un artiste n'a pas besoin d'expliquer ce qu'est son art si le spectateur en éprouve un ressenti particulier, c'est lui qui expliquera au besoin.
Pour moi, la "valeur" d'une œuvre contemporaine repose sur son "effet" sur un grand nombre.
Si aucun spectateur n'éprouve rien... ce n'est pas de l'art.
Le marchandage des oeuvres, le fric, les modes, le snobisme qui s'y attache, c'est encore tout autre chose. »

Moi : « L'art est devenu banalement contemporain alors qu'il était autrefois glorieusement intemporel, car nous sommes devenus collectivement des êtres éphémères qui ne ressentons plus notre besoin de rendre grâce, par des œuvres impérissables et intemporelles, à une entité qui nous dépasserait en tout, comme le fut l'idée de Dieu dans l'esprit des hommes, durant 1500 ans en Europe. Ce à quoi nous assistons est un passage de témoin entre une civilisation qui reposait sur l'idée de Dieu et une civilisation qui repose sur la fascination de la Technique. C'est pour cela qu'Arnaud a raison de dire qu'il s'agit d'un symptôme, un symptôme selon moi de ce passage de témoin. L'aspect réflexif de cette forme d'art ne vient qu'accréditer le constat de son impuissance à parvenir à une quelconque forme de transcendance, il s'agit d'une réflexion vaine qui médite sur sa propre impuissance. »

L'intellectuel socialiste : « Vous n'avez certainement pas tort Madame la prof d'arts plastiques. Mais, sans du tout vouloir critiquer la définition d'Arnaud mais uniquement pour approfondir le sujet, un objet d'art n'est pas l'art. L'art a toujours eu une dimension sociale, en effet, et même religieuse. L'individualisme prime dans l'art contemporain, c'est certain. Mais, blague à part, je trouve que cette question de la définition de l'art contemporain est représentative du statut de la connaissance en général dans la société contemporaine. Il n'y a pas que le statut de l'art contemporain qui baigne dans l'inconnu. La politique aussi est une grande auberge espagnole où chacun y met souvent ce qu'il veut, même la notion de droits humains ne fait pas consensus dès qu'elle est étendue à la dignité. La classe moyenne a l'art de vivre avec un minimum de certitudes. »

Moi : « L'aspect réflexif de cette forme d'art ne vient qu'accréditer le constat de son impuissance à parvenir à une quelconque forme de transcendance, il s'agit d'une réflexion vaine qui médite sur sa propre impuissance, ou "l'urinoir à Duchamp, l'impasse conceptuelle", comme le note ironiquement Arnaud. »

La prof d'arts plastiques : « Erwan, Il y a bien longtemps que l'art a cessé d'être le glorificateur de/des dieux, puis d'hommes particuliers. Et les œuvres postérieures à ces fonctionnalités sont tout aussi intemporelles que les précédentes.
On peut dire que, dès qu'il est sorti dans la nature, l'art a changé de centre d'intérêt.
L'art moderne ou contemporain ensuite, ne se limite pas à une démarche "dadaïste", tel Duchamp !
Vous le voyez peut être comme imbécile et éphémère car vous êtes "en plein dedans" mais le temps y fera son tri. N'oublions pas les "salons des refusés"... qui se sont bien inscrits dans l'histoire de l'art ensuite.
Maintenant, impossible de dire si c'est 10% de la production qui restera ou ?
Avec une société qui a pris de la vitesse dans tous ses aspects, il est normal que l'art devienne véloce. »

L'historien des idées : « Un peu de soleil dans l'eau froide, merci ! Il est en effet indécidable de subodorer aujourd'hui ce qui va "rester" demain... Un simple coup d’œil dans le rétroviseur de l'histoire nous apprend que tous les cas de figure sont imaginables : œuvres saluées par les contemporains et perdurant, œuvres ignorées progressivement découvertes, œuvres saluées puis enterrées puis redécouvertes... Par contre, il y a des siècles plus riches ou pauvres dans tel ou tel domaine : le XIXe et le romantisme laissent romans, peintures, poèmes et compositions musicales, le XVIIIe voué à la raison est plus fort en legs philosophique (Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Kant) qu'en matière artistique au sens strict... Le XXe est sans doute le siècle du cinéma et celui de la bande dessinée, deux formes d'art à présent un peu en baisse de régime... »

Moi : « N'oublions pas aussi l'art qui nous vient tout simplement d'Hollywood, dont je suis moi-même un fervent consommateur ainsi que beaucoup de nos contemporains, un art qu'il soit mainstream ou underground, qui nous formate plus qu'il nous enrichit, et dont les "créateurs" puisent leur source d'inspiration dans l'argent facile, la drogue ou le sexe tarifé ou les trois en même temps. Le véritable cinéma d'auteur fut une denrée largement partagée durant les années 70, et qui depuis se fait de plus en plus rare pour être remplacée par une industrie. Dans tous les domaines de l'art, n'assistons nous pas à une industrialisation progressive, destinée à formater plus qu'à enrichir les spectateurs, suivant le principe du temps de cerveau disponible à consacrer à la publicité ? Je ne dis pas qu'il s'agit d'un complot, mais d'un projet au cœur de l'idéologie libérale, telle que conçue par son maître spirituel, Adam Smith et tous ses épigones au fil du temps. »

L'historien des idées : « J'ai officié près de 30 ans dans l'édition et vu de très près comment la BD, longtemps éditée de façon semi-artisanale, est devenue une véritable industrie. La baisse de qualité accompagne irrémédiablement ce type d'évolution, où les critères de rentabilité s'opposent toujours plus frontalement à la créativité comme à l'originalité. Ce qui n'empêche pas quelques irréductibles d'officier, mais désormais "pour l'amour de l'art", n'est-ce pas... Je pense que le rock a suivi une évolution analogue, mais connaîs moins ce secteur (sinon comme auditeur). Pour ce qui est de la BD, l'évolution s'explique clairement par l'intérêt progressivement développé par un certain nombre d'investisseurs pour un secteur jusque-là perçu comme "fantaisiste" (au plan financier, bien entendu)... L'art en général a sans doute pâti du même type d'intéressement : l'investisseur se f... complètement de la qualité, seul l'intéresse le retour sur investissement. »

La prof d'arts plastiques : « Angle de réflexion intéressant Erwan ! Je pense néanmoins qu'il faut distinguer "art" et entertainment et ce n'est pas toujours facile.
Je ne sais même pas si le "cinéma d'auteur" est de l'art ? Pour moi, c'est surtout un style particulier et original mais cela ne suffit pas pour le qualifier in-extenso d'artistique dans une majorité de cas.
Sa mise en avant européenne devait aussi avoir un but "politique", celui de ne pas se laisser déborder par la machine Hollywoodienne. Pour moi, on l'a "sur-vendu".
Je ris à l'idée de la démarche inverse actuelle : nous fourguer n'importe quoi sous prétexte de "multiculturalisme"...
Par ailleurs, le syndrome "tout est consommable" s'applique évidemment à l'art aussi.
On faisait combien de copies d'un Vinci (qu'il supervisait d'autorité) avant d'imprimer sa Joconde sur des calendriers.
Est-ce triste ? Pas toujours car des milliards de gens le connaissent un peu de cette façon.
Évidemment cela dénature l’œuvre et la "grande distribution" de l'art foule ses producteurs aux pieds, çà c'est triste. »

Moi : « Le seul doute affreux qui me vient, mais vous l'aurez compris je suis un grand pessimiste, est peut-être que l'art dit underground à bien des égards plus intéressant que le mainstream, pour ce qui concerne le cinéma, la littérature ou la BD, participe du même projet uniformisateur de toutes les cultures singulières/plurielles du globe en vue d'un formatage des esprits. L'underground serait la ruse du libéralisme et d'Hollywood son instrument de propagande, pour faire accepter sa culture à ceux qui se sentent réfractaires, à travers une série comme Mister Robot par exemple, qui prétend dénoncer le système, alors que les créateurs/acteurs de la série sont peut-être au cœur du système et partie prenante. »

L'historien des idées : « Ah ah, je pense que mon essai à paraître le 20 février va beaucoup vous plaire (voir ici)... »

La prof d'arts plastique : « Je ne pense pas que l'underground soit une ruse. Les créateurs sont souvent honnêtes et même parfois un peu fous. Mais qu'ils soient récupérés, certainement. »

L'historien des idées : « Ah Ceci dit, n'y a-t-il pas place, dans l'industrie du "divertissement", pour un faux underground également ? On peut le soupçonner, comme il existe une forme de rock instrumentalisée par l'extrême droite... »

La prof d'arts plastique : « Assurément. Comme il y a aussi sur-consommation (1 film par jour, 1 concert par... etc), il faut produire des ersatz. »

L'historien des idées : « Ah ce qui me passionne d'autant plus, c'est la démarche de l'artiste véritable qui arrive à investir/subvertir l'industrie en question de l'intérieur : cas exceptionnels de Hitchcock, Lynch ou Warhol... »



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire