dimanche 24 juin 2018

Dénoncer le libéralisme est-ce faire preuve de relativisme ?



On peut voir aussi la violence du bolchévisme comme une réaction à la violence du capitalisme. On peut voir aussi les différents régimes communistes de par le monde comme une réaction aux énormes injustices sociales et à l'aliénation engendrées dans le monde du travail, et les rapports sociaux et même géopolitiques plus généralement, par le capitalisme : la guerre du Vietnam fut une guerre d'émancipation légitime d'un peuple face au colonialisme, puis l'impérialisme américain et qui utilisa l'arme du communisme pour son émancipation.
Il y a aussi les guerres mondiales qui sont comme des purges provoquées par les différentes crises économiques causées par le système économique libéral.
Les guerre mondiales et l'apparition du communisme ainsi que du nazisme sont effectivement pris dans une chaîne de causalité qui nous dépasse et dont l'origine commune est dans la construction idéologique que constitue le libéralisme, et particulièrement la justification sans conditions de la propriété privée et l'économie du libre marché qui en découle, et ses effets délétères sur le long terme.
Sans nier qu'à l'origine les fondateurs d'une telle doctrine furent sans doute de bonne foi dans leur lutte légitime contre les guerres de religion et les horreurs qu'elles suscitèrent, se proposant de remplacer la croyance et le dogmatisme, par la poursuite de son intérêt propre dans le cadre de relations purement commerciales entre les hommes, ce qu'ils appelaient le « doux commerce ».
Autrement dit les fondateurs du libéralisme qui engendra le capitalisme ne pouvaient pas prévoir l'enclenchement d'une chaîne de causalité qui mena à l'horreur des deux guerres mondiales et culmina dans la Shoah, et qui aujourd'hui se manifeste dans le conditionnement des masses et leur consentement à leur propre asservissement par une oligarchie dans les pays occidentaux.
Evidemment le défaut d'une idéologie comme le communisme est qu'elle se revendique d'un seul père fondateur qui se croyait infaillible, qu'il s'agit donc d'un mode de pensée monolithique voire dogmatique, et non pas pluriel, pluraliste et multiple. Mais cette idéologie s'est bien construite en réaction aux ravages du capitalisme. Je ne nie pas qu'elle ait entraîné des millions de morts, donc qu'elle est injustifiable, qu'elle doit assumer sa part de responsabilité en elle-même sans rejeter la faute sur le capitalisme. Il en est de même pour le nazisme, injustifiable en soi, quelle que soit la chaîne de causalité et donc le rapport logique pouvant expliquer son avènement, les Allemands depuis ayant fait leur examen de conscience je pense.
Le libéralisme s'est plutôt construit au départ en réaction aux guerres de religions fratricides entre catholiques et protestants. Les Lumières revêtent bien des aspects complexes, variés, divers, multiples parfois en contradiction les uns avec les autres, ce n'est pas un mouvement monolithique se proposant de promouvoir seulement la liberté et le bien-être : des polémiques mais de la tolérance aussi et un goût pour l'égalité ainsi que la critique de la propriété privée. Aspects pluralistes qui se sont caricaturalement simplifiés dans le sens péjoratif d'appauvrissement, dans ce qui constitue aujourd'hui la construction idéologique libérale, et au bout de la caricature contemporaine qu'elle a fini par constituer elle-même, se trouve le libertarianisme, une doctrine qui promeut comme seul droit fondamental, le droit inaliénable à la propriété privée et l'Etat régalien voire policier qui va avec pour défendre cet unique « droit fondamental », tout le reste pouvant être soumis aux dérégulations les plus sauvages.
Le droit à la liberté et à l'égalité, ainsi qu'à la fraternité viennent des Lumières. La caricature contemporaine libérale qui s'axe exclusivement sur le droit à la propriété privée, et que j'appelle moi "libéralisme" (alors que le vrai libéralisme est bien plus complexe à l'origine je vous l'accorde), n'est au départ qu'un courant de pensée parmi d'autres plus divers et plus riches, ce courant de pensée assez pauvre trouve un de ses fondateurs en la personne d'Adam Smith.
Je ne relativise rien puisque selon moi, l'explication rationnelle des choses qu'elle soit exacte ou falsifiée dans le cas sans doute des idées poutiniennes, ne saurait constituer une justification morale à ce qui est injustifiable, inexcusable. À un moment devant l'horreur, comme celle de la Shoah ou d'autres moins médiatisées, il faut rompre avec l'explication logique et laisser place au devoir moral. L’explication logique est toujours un relativisme et le devoir moral un absolu. Or le devoir moral nous enjoint en toute liberté de conscience (c'est-à-dire sans influence extérieure, c'est-à-dire sans propagande), de faire un choix entre le bien et le mal.
Ce n'est plus une question logique d'avoir raison ou d'avoir tort, c'est une question morale de choix entre le bien et le mal. Mais quid de la morale en société libérale, la seule que je connaisse au fond, et qui utilise constamment l'instrument de la propagande la plus outrancière ?
Je "milite" même pour la réintroduction d'une certaine forme de sacré, ce qui a réussi en France en tout cas pour la Shoah qui constitue une forme de tabou auquel on ne doit pas toucher et c'est très bien ainsi, et malgré cependant l'obstination d'une partie de la population musulmane, et de l'extrême-droite vraiment radicale et incurable (puisque même Marine Le Pen n'a aucune volonté de négationnisme à ce sujet), à nier l'évidence de ce fait historique.
Pour autant, même sans alternative finalement crédible, je ne souscris pas à l'idéologie libérale, je m'y adapte c'est tout. Je fais mon devoir de citoyen sans adhérer ni souscrire à cette doctrine délétère, et j'estime même qu'avant de faire constamment des leçons à Poutine et autres "dictateurs" que l'on compare sans modération à Hitler, on devrait regarder la poutre dans notre œil.
Je déteste me laisser enfermer dans un dogme, ce qu'est pourtant devenu le libéralisme de nos jours, et je dis bien "de nos jours", car au départ ce fut un mouvement d'émancipation vis-à-vis de la religion. C'est bien joli de toujours critiquer et démonter le régime de Poutine ou autres petits "dictateurs" que l'on compare à Hitler. La Russie est présentée en Occident comme un genre d'Empire du mal, mais pour justifier cela il faudrait établir selon moi son propre examen de conscience. Or nos régimes occidentaux aussi reposent sur une forme de propagande, ne permettant pas cet examen de conscience, on pourrait dire qu'ils constituent un "Empire du moindre mal". Mais ce n'est pas satisfaisant pour ma conscience : l'accepter c'est précisément faire preuve de relativisme, "c'est pire ailleurs donc nous c'est bien" en guise de justification morale.


7 commentaires:

  1. l'occident empire du moindre mal , pour les citoyens occidentaux , et encore. Quand nous observons les politiques d’ingérences sur toute la planète de notre bel occident, si nous dénombrons les morts et les esclaves .... le bilan est lourd , ... on meurt ds les rues de toutes les villes occidentales ; le chaos du moyen orient , pour les multinationales, l'exploitation de l’Afrique .Vous avez raison , il nous faut faire notre examen de conscience avant de de jeter la pierre a Poutine .. qui n'est à mes yeux , à ce jour , ni pire ni meilleurs que les autres mâle alfa, mais pour le moment c'est le seul qui oeuvre a une diplomatie , certes de ses intérêts , mais diplomatie qui a empêché l'explosion totale de la Syrie .. pour combien de temps ???

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  2. Il n'y a pas à respecter le moindre "tabou" en histoire. C'est choquant intellectuellement et c'est la meilleure façon d'alimenter la névrose des négationnistes. C'est donc idiot et immoral.

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    1. Le respect de certains interdits est un réflexe des intellectuels français : ils ne respectent pas au fond la liberté d'expression, ce qui est un comble. Quant à moi, comme je suis français, sur certaines choses je me dois d'accepter le consensus dominant, c'est ce qui s'appelle faire preuve de prudence. Vous pouvez appeler ça lâcheté ou veulerie. Mais j'ai aussi un vieux fond catholique, bien que je ne sois ni pratiquant, ni baptisé, et qui me fait voir certaines choses comme sacrées et tabous.
      En France ceux qui contestent le consensus dominant sont généralement excommuniés de leur classe ou de leur classe. Rien n'a changé depuis la cour de Louis XIV et ses intrigants qui cherchaient à plaire au Prince en le flattant, et en épousant ses idées et surtout son culte de la personnalité. Sur ce plan là ne pourrait-on pas faire une analogie avec Macron, le "Prince". Et le consensus dominant est libéral et porte un visage en France, celui de notre président.
      Oui il y en a qui se portent plutôt pas mal, les Ruffin, les Badiou, les Zemmour, mais il faut avoir une sacrée carrure pour encaisser, même si la provocation constitue certainement une partie non négligeable de leur fonds de commerce, et qu'ils recherchent une forme d'ostracisation comme un signe supplémentaire de vertu.
      Il y en a aussi beaucoup qui sont excommuniés de la vie mondaine parisienne comme ces mêmes Badiou, Ruffin, Zemmour (pas sur d'ailleurs que ça les intéresse), certains avec fracas comme Renaud Camus, Richard Millet ou Dieudonné. Cela ne les empêche pas de s'exprimer certes, mais ils sont souvent poursuivis par la loi, et beaucoup ne les suivent pas, car on ne suit pas des "pestiférés médiatiques", mais plutôt ceux qui suivent le consensus dominant, sauf exception (je veux parler de ceux qui se sentent attirés par ce qui dégage une odeur pestilentielle de soufre, pas forcément en soi-même d'ailleurs, mais aux yeux de l'opinion dominante).
      Il y en a aussi beaucoup dont on parle peu et qui sont excommuniés dans leur vie sociale ou professionnelle pour une parole de travers, croyez moi ! Le politiquement correct règne aujourd'hui en maître dans la société française, et empêche beaucoup de gens de dire ce que sincèrement ils souhaiteraient dire, par prudence.
      Les logiques de pouvoir et de domination à tous les échelons de la société française, ne sont que la répétition à une petite échelle, de celle qui se joue avec Macron au sommet de l'Etat, lui-même fervent admirateur de l'œuvre de Machiavel, à l'instar de Mitterrand d'ailleurs.

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    2. Je respecte cette très grande hésitation , mais la France si elle fut la fille de l'église est aussi la grande patrie des libertés, du moins elle le fut ...

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    3. "elle le fut", mais aujourd'hui cela ressemble à du folklore commémoratif, alors que dans la réalité les gens adhèrent massivement à la fabrique du consentement, un genre de conditionnement théorisé aux Etats-Unis au début du XXème siècle, et qui constitue une des caractéristiques les plus flagrantes des sociétés libérales.

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  3. Monsieur, la première phrase de votre long développement ("on peut voir la violence du bolchévisme comme une réaction à la violence du capitalisme") suffit à montrer que vous vous placez d'emblée dans une perspective purement idéologique. Votre propos ne vise qu'à dédouaner les méfaits avérés d'un système par l'inhumanité supposée de l'autre.

    Admettons. Le problème pour vous reste que - pour s'en tenir à l'Europe - l'instauration au XXème siècle de régimes communistes en Russie d'abord et en Europe centrale ensuite est maintenant un processus historique fort bien documenté. Et il est clair aujourd'hui que la violence que ces régimes ont - dès le départ - exercée sur leurs populations n'était pas une anomalie, un anachronisme ou une réaction de survie face aux outrances du capitalisme (réaction qui aurait été certes provisoire et regrettable, mais hélas nécessaire). Non, cette violence était bel et bien un élément constitutif de leur fonctionnement, assumé en tant que tel, et même hautement revendiqué par leurs dirigeants et par leurs partisans.

    Ainsi, ce n'est pas parce que l'ouvrier londonien vivait dans des conditions épouvantables au XIXème siècle, ou parce que la grande industrie allemande avait fricoté avec Hitler, que près de cent mille habitants des pays baltes (âgés de 1 jour à 95 ans) ont été arrêtés et expédiés en Sibérie fin mars 1949. C'est uniquement parce que Staline voulait collectiviser les campagnes. Or, le paysan estonien de base, outre ses sympathies supposées pour les partisans antisoviétiques qui se planquaient encore désesperément dans les forêts quatre ans après le retour de l'armée rouge dans la région, montrait souvent une déplorable tendance à vouloir garder pour lui son cochon, ses trois poules et son lopin de terre à patates. Pas de peuple, pas de problème, alors le train est là, camarade, vous avez dix minutes pour rassembler vos affaires.

    On peut facilement multiplier les exemples. Voir par exemple ce qu'en ont écrit les dissidents des années 1970 (par exemple Vaclav Havel dans son extraordinaire "Lettre ouverte à Gustav Husak"), les historiens actuels (Anne Applebaum "Rideau de fer 1944-1956"), et aussi Czeslaw Milosz qui, dès 1953, dressait dans "La pensée captive" un diagnostic sans appel.

    Il faut s'y faire, le communisme n'était pas une chimère innocente, une belle idée qui a tourné mal par la faute d'éléments exogènes. Le ver était dans le fruit dès le départ. Il aura fallu des décennies pour que le message passe.

    Il n'est pas encore vraiment passé. Et on peut douter qu'il passe un jour réellement, car en 1989, l'intelligentsia européenne s'est brutalement retrouvée orpheline d'un idéal dont on s'est vite rendu compte qu'il rendait beaucoup de services. Voilà pourquoi, sans doute, cette même intelligentsia européenne (une partie d'elle, au moins, mais c'est la partie plus bruyante, car elle parle au nom du Bien) croit maintenant avoir trouvé dans le migrant et/ou le musulman la figure exaltante du nouveau damné de la Terre. A croire qu'elle n'a rien appris et tout oublié.

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  4. Les idéologies religieuses et profanes dans leur perversion universaliste, amène toujours, l'histoire tend à le prouver: l'arbitraire, l'absence de liberté et la violence pour y parvenir!! Boris Cyrulnik aborde très sereinement le thème dans son ouvrage : "Psychologie de dieu" Pour ma part: toutes idéologies à caractère universaliste, que par nature, les adeptes finiront par essayer d'imposer : par le prosélytisme, par la séduction propagandiste, par la contrainte à tous les autres, sont à surveiller voir à bannir si débordements marqués....

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