mardi 24 août 2021

Afin d'empêcher que le monde se défasse

 


« Tous les perturbateurs, des gilets jaunes aux opposants au pass sanitaire en passant par le type qui a giflé Macron, sont des homophobes antisémites d'extrême droite manipulés par des hackers russes », sont un peu nos Vendéens postmodernes selon la logique culturelle du capitalisme tardif ; des "bêtes sauvages", des cyniques, qu'il convient de gazer, énucléer, amputer. Ils sont la part maudite de la République macroniste, qu'il faut sacrifier, pour que puisse advenir un nouveau commencement, celui de la start up nation qui se fonde sur le cosmopolitisme financier.        

J'ai donc lu le dernier livre de De Fontenay, un ouvrage court et très facilement accessible, elle y parle des Vendéens, exterminés par les bleus. Sur ce crime fondateur et relativement occulté, un commencement faisant table rase du passé s'est produit : l'avènement de la République.

Toujours le besoin d'un crime fondateur, d'un sacrifice, pour que puisse advenir un commencement ; tout comme la religion chrétienne s'est fondée sur le sacrifice du Christ ; tout comme le triomphe de la raison platonicienne et aristotélicienne, en rupture avec la philosophie des présocratiques, s'est fondé sur le sacrifice de Socrate ; la fondation de Rome sur le meurtre de Rémus ; celle des États-Unis sur le génocide des Amérindiens. On peut dire que le massacre des Vendéens constitue la part maudite de la République naissante.

Mariages consanguins et "dégénérescence" de la "race", des hommes devenus si bestiaux - des idiots, parlant par idiomes (quoique la Bretagne bretonnante à cette époque, à l'ouest d'une ligne allant de Saint-Nazaire à Plouha, et sa langue qui n'a absolument rien à voir avec le français, ne furent pas toute proche de la Vendée) ; que les écrivains de l'époque les comparaient à des bêtes sauvages et sanguinaires, tuant et égorgeant exactement de la même façon qu'ils allaient à la messe, dansaient lors des fêtes de village et jouaient de leur étrange musique traditionnelle ; les révolutionnaires ont-ils eu raison ?

Fallait-il exterminer ces masses superstitieuses et obscurantistes, ces "Gaulois réfractaires au changement", pour faire advenir un nouveau commencement reposant sur l'idée de raison scientifique et expérimentale d'origine cartésienne ? Pour faire advenir l'idéologie de la raison dirait Heidegger ?

Quel est l'héritage cartésien de la Révolution ? C’est à tort que l’on imputerait à Descartes la responsabilité de la table rase, alors qu’il n’emploie jamais cette expression par ailleurs classique dans toute l’histoire de la philosophie. Le doute méthodique ne vise pas à mettre en place quelque cire vierge mais à suspendre provisoirement le jugement. Car non seulement Descartes affirme la présence dans l’esprit humain d’idées innées mais, pour ce qui est de la conduite de la vie, il recommande, à la manière stoïcienne, de changer ses idées plutôt que l’ordre du monde, et s’en tient donc à la prudence, à l’acceptation des choses comme elles sont. Faire de Descartes un révolutionnaire est donc un contresens, c'était plutôt un réformateur.

Un peu comme Nietzsche finalement : accepter le monde tel qu'il est, sauf que ce dernier surenchérit en y ajoutant la volonté de puissance, l'éternel retour et l'amor fati. Et Nietzsche a pourtant lui aussi inspiré d’autres révolutionnaires qu'étaient les nazis, qui voulaient fonder un commencement sur un autre crime fondateur, le sacrifice des Juif d’Europe, qui aurait constitué la part maudite du IIIème Reich qui devait durer 1000 ans si toutefois il avait survécu à son désastre final très prématuré ; alors que son œuvre déformée par sa sœur ne s'adressait pas seulement au peuple allemand, mais avait une vocation plus universaliste que nationaliste, et même voulait faire des Juifs les maîtres et les guides de l’Europe en raison de leur héritage singulier, culturellement (Aurore), plutôt que les Allemands.

Nietzsche n'a jamais été du côté du peuple mais de celui de l'aristocratie. Peut-on comparer le cosmopolitisme financier actuel à une nouvelle forme d'aristocratie ? Je ne le pense pas car cette "élite" se caractérise par son manque de culture et sa vulgarité, son goût du bling-bling et du cash money. Elle n'a peut-être en commun avec l'aristocratie que le goût du luxe et de la domination, et les people qui se font lifter, refaire les seins et toutes les autres parties du corps, en sont les représentants les plus caricaturaux. On pourrait dire qu’ils singent l’aristocratie, sans le début du commencement de valeurs en commun.

 « Actuellement en croisière en Grèce sur le yacht de son mari milliardaire, Diane von Fürstenberg a dédié sa baignade quotidienne aux femmes afghanes : « Bénie au milieu des flots, je me sens libre et pourtant mon cœur saigne pour les femmes en Afghanistan… » »

Cosmopolitisme financier vs peuples = montée de l’extrême-droite ?

Je crois qu'il y a moins de différences entre un représentant lambda du peuple afghan, même inféodé aux Talibans, et un représentant lambda du peuple français, qu'entre un représentant de n'importe quel peuple du monde et un membre de l'élite financière cosmopolite. En quoi cette femme milliardaire peut-elle se permettre de parler au nom des femmes occidentales lambdas, alors qu’elle n’appartient pas du tout au même monde et n’affiche absolument pas les mêmes valeurs, de sueur et d'efforts du struggle for life qui au final abrutissent bien plus qu’elles n’épanouissent les femmes occidentales.

Si un intellectuel a quelque chose à dire sur la puissance du cosmopolitisme financier, qu’il le dise. Si c'est vraiment un intellectuel il est capable de le dire avec force. Non, je crois que la plupart s'accommodent très bien du monde tel qu'il est. D'ailleurs le nihilisme selon Nietzsche est dans la volonté des philosophes de changer le monde tel qu'il est ; et un peu plus tard Heidegger lui répondra que le nihilisme est dans la volonté de puissance.

Dans ce combat inactuel entre les deux philosophes, dont l'un est désormais directement assimilé à l'idéologie nazi selon les travaux d'Emmanuel Faye (qui en fait même LE théoricien du nazisme et du "racisme ontologisé"), il semble aujourd'hui que c'est Nietzsche qui ait vaincu quand on voit la façon dont se comportent nos contemporains et les effets de la propagande publicitaire.

Apparemment il n'y a pas d'alternative au camp du bien, c'est à dire au cosmopolitisme financier, si ce n'est l'extrême droite, et comment, et doit-on s'y résoudre ?

Sans doute une majorité d'intellectuels se contentent-ils de faire du mieux qu'ils peuvent leurs métiers d'universitaires, de profs, en accord avec leur conscience et afin d'empêcher que le monde se défasse. C'est sûr que Macron prend un peu les gens pour des cons ; alors qu'il est un pur produit du cosmopolitisme financier, il flatte la probité du petit peuple des intellectuels qui fait honnêtement son travail de mémoire sur les jeunes générations, avec en toile de fond le "plus jamais ça" induit par la Shoah, mais qui en "même temps" paralyse toute action politique susceptible de remettre en cause l’ordre établi autrement que par des réformes nous projetant en arrière socialement.

Par analogie donc avec les Vendéens, le sacrifice des gilets jaunes pourrait faire advenir le fameux « nouveau monde » (le meilleur des mondes ?), le nouvel ordre mondial d'où la richesse des milliardaires que l'on encourage à s'enrichir toujours plus, avec toutes les aides possibles et inimaginables de l'État, pourrait "ruisseler" sur les classes moyennes et pauvres.

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