mardi 31 août 2021

D'un siècle à l'autre

 


J'ai lu le dernier livre de Régis Debray. J'ai trouvé l'ouvrage très richement documenté et rempli de culture, mais manquant de relief, il consiste en une succession de pirouettes stylistiques plus ou moins humoristiques, et enfin comme si l'auteur se résignait (comme les pauvres) à sa propre disparition. Bien sûr s'en exhale un parfum de nostalgie pour ce qui était mieux avant - ce que je ne nie pas, les années 70 politisées n’ont rien à voir avec notre époque de décrépitude morale, culturelle et intellectuelle.

On dirait un vieux farceur qui ne s'est jamais réellement pris au sérieux, ni lui ni la révolution cubaine, et il ne partage pas une vision heideggérienne de la technique, restant optimiste quant au destin de cette dernière, ce que je déplore.

Pas assez désespéré, un incorrigible optimiste. Pour se souder malheureusement, une nation a besoin de frontières et de s'unir contre un ennemi commun, sinon elle implose de l'intérieur comme aujourd'hui (guerre de tous contre tous), et se cherche des boucs-émissaires dans toutes les catégories de la population. Depuis de Gaulle qui incarnait parfaitement le père de la nation, je ne vois pas bien qui a repris le flambeau de cette symbolique qui pourrait nous dépasser ("une certaine idée de la grandeur de la France"), la société suivant un principe d'entropie a tendance à se fragmenter.

La mondialisation est sans doute un mythe imposé par le cosmopolitisme financier pour s'enrichir de façon exponentielle et qui risque d'imploser de l'intérieur, déchiré qu'il sera par les conflits de civilisations, et je ne crois pas aux bienfaits de la société protestante américaine, avec sa sous-culture qu'elle déverse sur les masses pour mettre tout le monde d'accord comme sous un bombardement continuel.

En outre chaque société a besoin de sacrifices, qui sont sa part maudite, autrefois c'étaient les héros qui remplissaient cette fonction sacrificielle de façon désintéressée et non les victimes, qui aujourd'hui revendiquent des droits - société victimaire intéressée. D’ailleurs j'avais lu dans l'un des livres de Debray qu'il avait beaucoup d'admiration pour Du Guesclin, ce vieux héros breton du Moyen-Âge dont il déplore ne pas être arrivé à la cheville.

Quoiqu'il en soit, ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une forme de masochisme, du point de vue de celui qui se sacrifie pour son pays et peut y perdre la vie - c'est sans doute l'opinion de beaucoup de nos contemporains qui dans leurs vies développent des comportement anhéroïques, voyant dans l'héroïsme le comble de l'absurde et du ridicule (influence de Céline ?) ? C'était le reproche que vous me faisiez, lorsque j'évoquais la logique sacrificielle, celle du crime fondateur, à la base selon moi de toute société humaine. C'était la fonction que remplissaient les religions (du latin religare : relier les hommes entre eux et à dieu), des polythéismes avec leurs sacrifices rituels, jusqu'aux monothéismes (on pense au sacrifice du Christ dans la religion chrétienne). Dans mon esprit quand je pense à l'"avenir d'une illusion", cela m'évoque plutôt la psychanalyse, cette pseudo science, que la religion.

Parce que la psychanalyse (et je vous rappelle que ma mère en est une, qui se distingue par son absence totale de la moindre pitié y compris pour sa progéniture) n'est pas une morale, difficilement mais possiblement un fondement à partir duquel tout recommencer (ce que je ne nie pas pour tous ceux que ça peut soulager), mais surtout un business où le bonheur des uns fait le malheur des autres (j'en sais quelque chose), et qui est parfaitement adapté à tous les systèmes politiques, donc d'où ne peut sortir aucune contestation sociale.

C'est une forme de conservatisme de l'ordre établi au nom du principe de réalité.

"Pointer du doigt, pour en fait, espérer un brin de massacre populaire" ?

Pour l'instant c'est surtout le peuple qui se fait massacrer : énucléations, mains amputées, gazages. Au niveau économique ce sont les classes moyennes et populaires qui se font massacrer, passées à la moulinette des reformes néolibérales depuis le début des années 80, détruisant en une ou deux générations tous les acquis des Trente Glorieuses et du CNR.

Il y a beaucoup de survivants, de gueux, assez peu de vivants encore libres et capables de ressentir la pitié ; ce n’est pas mon modèle de société : la société compétitive et élitiste (qui repose sur l’amour propre des acteurs et non l’amour de soi).

Si les peuples de la Terre pouvaient ne pas se satisfaire des exactions, privations, humiliations, etc. qu'ils subissent, et étaient capables de s'unir contre un ennemi commun ; leurs dirigeants corrompus et dictatoriaux, ou alors dans le cadre du néolibéralisme un ennemi bien plus subtil - le cosmopolitisme financier. Alors oui ce serait bien.

Mais rassurez-vous ce genre de discours n'est plus trop à la mode aujourd'hui, et les "gueux" n'ont plus assez de conscience de classe pour pouvoir s'unir ; donc cela n'arrivera jamais, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.

L'espèce a tout le temps pour pouvoir se suicider en paix.

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