Alain
FINKIELKRAUT : « À la suite d’une bénigne opération, j’ai contracté ce qu’on
appelle une maladie nosocomiale : trois vertèbres infectées, un long séjour à
l’hôpital, deux interventions chirurgicales très périlleuses qui auraient pu me
laisser paraplégique. Après bientôt trois mois de douleur et d’effroi, je sors
de l’enfer et je fais le trajet inverse à celui de la grande vieillesse : je me
réapproprie peu à peu les gestes élémentaires de la vie quotidienne, je marche
avec un déambulateur, j’utilise aussi des cannes. Une kinésithérapeute, ferme
et douce, remuscle mes jambes et fait patiemment de moi un homme comme les autres.
Mais
je ne veux pas verser dans le mélodrame : mes progrès sont rapides et, n’était
un mal au cœur irréductible, j’aurais retrouvé la joie de vivre. Je suis très
sensible à la fidélité de la directrice de France Culture, Sandrine Treiner,
qui diffuse d’anciennes émissions de Répliques, et, si la nausée me laisse
tranquille, j’espère revenir bientôt dialoguer sur l’antenne. C’est aujourd’hui
le but de mon existence.
Les
souffrances que j’ai connues ne m’ont pas recroquevillé sur moi-même au point
de me rendre sourd et aveugle à ce qui se passe autour de nous. « Siphonné,
dérangé, cinglé, malade mental, psychopathe, paranoïaque » : toutes les
épithètes cliniques qui pleuvent aujourd’hui sur Vladimir Poutine traduisent
notre désarroi. Il est vrai que nul ne s’attendait à voir l’autocrate du
Kremlin lancer son armée à l’assaut de l’Ukraine et menacer de riposte
nucléaire tous ceux qui voudraient lui mettre des bâtons dans les roues.
Mais
Poutine ne procède pas que de lui-même. Sa voracité vient de loin. On a cru
qu’avec la chute du mur de Berlin le Vieux Continent renonçait une fois pour
toutes à la forme de l’empire. Ce qui est le plus frappant dans cette guerre,
ce n’est pas la folie d’un homme seul, devenu étranger à la réalité, ce n’est
pas non plus le retour de l’histoire, c’est la persistance de la fatalité
russe. Tsarisme, communisme, poutinisme : la continuité impériale l’emporte sur
toutes les ruptures.
Certains
esprits fiers de leur impartialité et de leur réalisme soutiennent que
l’Occident a sa part de responsabilité dans la situation actuelle. L’Otan
aurait provoqué la Russie amoindrie en venant la narguer jusqu’à ses nouvelles
frontières. Cet argument ne tient pas : les pays Baltes, la Pologne, et tous
les pays de l’Europe centrale, ont choisi la protection de l’Otan contre ce
qu’ils savaient être l’expansionnisme russe. Dans un magnifique entretien avec
Philip Roth publié au milieu des années 1980, Milan Kundera affirme qu’« après
l’invasion russe en 1968 tout tchèque a dû faire face à l’idée que sa nation
pouvait être effacée de l’Europe sans faire plus de vagues que les 40 millions
d’Ukrainiens qui ont disparu dans les cinq dernières décennies dans
l’indifférence générale ». C’est le refus d’un nouvel effacement que les
réalistes considèrent comme une offense faite à l’effaceur. Ils appellent cela
« humiliation de la Russie ».
Lviv
est une ville qui a beaucoup voyagé dans l’histoire. Située à la périphérie de
l’empire austro-hongrois, cette capitale de la Galicie portait au XIXe siècle
le nom de Lemberg. Après la Première Guerre mondiale, elle fut incorporée dans
la Pologne indépendante et devint Lwow. Occupée par les Soviétiques en 1945,
elle est aujourd’hui ukrainienne et s’appelle donc Lviv.
J’avoue
que j’ai du mal à m’habituer à ce nom. Ma mère est née et a grandi à Lwow, et
elle a gardé de sa jeunesse dans ce joyau architectural un souvenir… disons,
mitigé. Comme beaucoup de Juifs ashkénazes, j’ai été élevé dans la méfiance,
pour ne pas dire pire, des Polonais et des Ukrainiens. « Pires que les Allemands
! », disaient mes parents, comme tous les rescapés, qui, pour la plupart, ont
toujours refusé de remettre les pieds en Ukraine et en Pologne. J’ai toujours
voulu leur être fidèle, mais l’héritier d’une victime manque à la fidélité
lorsqu’il se prend lui-même pour une victime.
Qu’il
s’agisse de la Pologne de Solidarnosc ou de la Croatie assiégée, j’ai
même mis un point d’honneur à transgresser l’interdit parental. J’ai protesté
contre l’invasion et la destruction de Vukovar (ville défendue par les Croates
et assiégée par les Serbes pendant 87 jours en 1991 pendant la guerre de
Croatie, NDLR) quand la Serbie de Milosevic présentait cette ville - avec un
certain succès, hélas - comme un bastion oustachi, c’est-à-dire hitlérien.
Poutine a voulu rééditer la même opération avec Kiev et Marioupol.
Mais
il a échoué. La ficelle était trop grosse. À l’idée d’un procès de Nuremberg
contre les dirigeants ukrainiens dans Kiev dévastée par l’armée russe, la
décence commune a réagi par le dégoût. Depuis la fin de la Deuxième Guerre
mondiale, l’antinazisme ment, et c’est toujours au nom du « plus jamais ça »
que quelque chose comme « ça » se prépare. »
Alain
Finkielkraut : « Cette guerre nous rappelle que les nations doivent être défendues
» / V.Trémolet de Villers et E.Bastié (Fig)
En
commentaire je dirais que si c'était pour dire ça à propos de la guerre en
Ukraine, il aurait mieux fait de se taire plutôt que d'utiliser ses contorsions
et arguties sémantiques habituelles. Lui qui se targue de défendre la grande
culture européenne élitiste, il fait directement le jeu de l'impérialisme
sous-culturel américain décérébrant (via Mac Do, Coca, Disney etc.) en Europe
via l'Otan notamment, et ne réfléchit pas une seconde à la possibilité qui nous
était éventuellement offerte de faire une grande Europe économique et
culturelle de l'Atlantique à Vladivostok dès la chute du mur, pour contrecarrer
les plans américains d'expansionnisme sous-culturel et néolibéral. On aurait pu
au moins essayer, comme l'avait esquissé de Gaulle, tout le monde se revendique
de lui mais tout le monde l'a trahi, spécialement au sein de "sa propre
famille politique"...
BHL
qui est notre plus grand philosophe français encore en vie, suggère
implicitement qu'il faudrait faire la guerre à Poutine jusqu'à le chasser du
pouvoir comme l'a sous-entendu Biden - car sinon comme le chasser du pouvoir ?
Je crains que la stratégie occidentale soit désormais de mettre la main sur les
énormes richesses du sous-sol russe. Pour cela ils ont attiré Poutine dans le
piège ukrainien afin d'accélérer sa chute, par de multiples provocations en
amont au moins depuis 2014. Même type de piège que le piège afghan dans les années
80, qui avait amené l'effondrement de l'empire soviétique quelques années plus
tard. L’Occident, il faudrait dire plutôt ici (comme presque partout ailleurs)
les États-Unis, chercherait désormais à ce que s'installe en Russie d'ici
quelques années, le même genre de situation d'anarchie et de chaos qu'au
Moyen-Orient, afin d'y installer un État fantoche sous sa botte.
"Notre
plus grand philosophe français" : il est bon de rire de temps en temps.
Disons le philosophe le plus visible médiatiquement, et cela haut la main -
avec également beaucoup de sang notamment libyen sur ces mains. Quand tous les
autres sont quasiment systématiquement traités de polémistes par les médias,
lui est toujours qualifié de philosophe avec une oreille très attentive et une forme
de déférence craintive - car il pèse très lourd financièrement et donc en
termes d'influence.
Autres
éléments de langage occidentaux, outre ceux qui distinguent entre polémistes et
philosophes, nos milliardaires sont appelés libres entrepreneurs, les leurs péjorativement
traités d'oligarques à la solde de Poutine ; nos informations qualifiées de
libres, objectives et pluralistes, les leurs traitées de propagande forcément
biaisée. Enfin les opposants dans nos régimes occidentaux qui reposent sur la
domination exclusive et sans réciprocité des États-Unis et des élites
financières qui font l'opinion au sein des "démocraties" (qui pour
cette raison ne le seraient pas, démocratiques, selon Rousseau), sont traités
de complotistes...
Doux
rêveur ce Victor Hugo, lui qui projetait devant l’Assemblée nationale en 1849
de détruire la misère. Non seulement la misère n'a pas été détruite, mais elle
a explosé dans le monde avec l'explosion démographique hors de contrôle ;
jamais il n'y a eu autant de souffrance dans le monde qui est directement
proportionnelle au nombre d'habitants. En Occident même, les inégalités
sociales explosent, la classe moyenne est en voie d'anéantissement, les riches
s'enrichissent comme jamais et leurs profits sont exponentiels. La crise qui se profile en
Europe liée à la guerre en Ukraine va faire le jeu des
milliardaires et des profiteurs de guerre. De plus la misère est raciste mais
pas antisémite bien au contraire, car aux États-Unis elle est directement
corrélée à l'origine ethnique, ce que mettent en évidence les statistiques
ethniques qui y sont autorisées contrairement en France.
Mais
seule note d'espoir, Hugo a raison de distinguer entre misère et souffrance,
car in fine, l'argent ne fait pas le bonheur, pas toujours... C'est très
rare mais on peut être riche et trop malade pour pouvoir en profiter. On peut
parier que la guerre en Ukraine va considérablement enrichir les États-Unis,
appauvrir l'Europe, et sans doute ruiner la Russie de façon irrémédiable. C'est
tout bénef pour les Américains par Européens interposés ! Je le répète, je pense que les Russes ont été attiré dans un piège en Ukraine ourdi de longue
date par les Américains qui jouent toujours à un jeu de billard à plusieurs
bandes et ont souvent un temps d'avance sur leurs ennemis qu'ils acculent au désespoir, et que le projet global des États-Unis est de démanteler la Russie pour
avoir accès à ses énormes ressources naturelles.