lundi 28 mars 2022

Pourquoi on n'entend plus Finkielkraut et pourquoi il aurait mieux fait de se taire ?




Alain FINKIELKRAUT : « À la suite d’une bénigne opération, j’ai contracté ce qu’on appelle une maladie nosocomiale : trois vertèbres infectées, un long séjour à l’hôpital, deux interventions chirurgicales très périlleuses qui auraient pu me laisser paraplégique. Après bientôt trois mois de douleur et d’effroi, je sors de l’enfer et je fais le trajet inverse à celui de la grande vieillesse : je me réapproprie peu à peu les gestes élémentaires de la vie quotidienne, je marche avec un déambulateur, j’utilise aussi des cannes. Une kinésithérapeute, ferme et douce, remuscle mes jambes et fait patiemment de moi un homme comme les autres.

Mais je ne veux pas verser dans le mélodrame : mes progrès sont rapides et, n’était un mal au cœur irréductible, j’aurais retrouvé la joie de vivre. Je suis très sensible à la fidélité de la directrice de France Culture, Sandrine Treiner, qui diffuse d’anciennes émissions de Répliques, et, si la nausée me laisse tranquille, j’espère revenir bientôt dialoguer sur l’antenne. C’est aujourd’hui le but de mon existence.

Les souffrances que j’ai connues ne m’ont pas recroquevillé sur moi-même au point de me rendre sourd et aveugle à ce qui se passe autour de nous. « Siphonné, dérangé, cinglé, malade mental, psychopathe, paranoïaque » : toutes les épithètes cliniques qui pleuvent aujourd’hui sur Vladimir Poutine traduisent notre désarroi. Il est vrai que nul ne s’attendait à voir l’autocrate du Kremlin lancer son armée à l’assaut de l’Ukraine et menacer de riposte nucléaire tous ceux qui voudraient lui mettre des bâtons dans les roues.

Mais Poutine ne procède pas que de lui-même. Sa voracité vient de loin. On a cru qu’avec la chute du mur de Berlin le Vieux Continent renonçait une fois pour toutes à la forme de l’empire. Ce qui est le plus frappant dans cette guerre, ce n’est pas la folie d’un homme seul, devenu étranger à la réalité, ce n’est pas non plus le retour de l’histoire, c’est la persistance de la fatalité russe. Tsarisme, communisme, poutinisme : la continuité impériale l’emporte sur toutes les ruptures.

Certains esprits fiers de leur impartialité et de leur réalisme soutiennent que l’Occident a sa part de responsabilité dans la situation actuelle. L’Otan aurait provoqué la Russie amoindrie en venant la narguer jusqu’à ses nouvelles frontières. Cet argument ne tient pas : les pays Baltes, la Pologne, et tous les pays de l’Europe centrale, ont choisi la protection de l’Otan contre ce qu’ils savaient être l’expansionnisme russe. Dans un magnifique entretien avec Philip Roth publié au milieu des années 1980, Milan Kundera affirme qu’« après l’invasion russe en 1968 tout tchèque a dû faire face à l’idée que sa nation pouvait être effacée de l’Europe sans faire plus de vagues que les 40 millions d’Ukrainiens qui ont disparu dans les cinq dernières décennies dans l’indifférence générale ». C’est le refus d’un nouvel effacement que les réalistes considèrent comme une offense faite à l’effaceur. Ils appellent cela « humiliation de la Russie ».

Lviv est une ville qui a beaucoup voyagé dans l’histoire. Située à la périphérie de l’empire austro-hongrois, cette capitale de la Galicie portait au XIXe siècle le nom de Lemberg. Après la Première Guerre mondiale, elle fut incorporée dans la Pologne indépendante et devint Lwow. Occupée par les Soviétiques en 1945, elle est aujourd’hui ukrainienne et s’appelle donc Lviv.

J’avoue que j’ai du mal à m’habituer à ce nom. Ma mère est née et a grandi à Lwow, et elle a gardé de sa jeunesse dans ce joyau architectural un souvenir… disons, mitigé. Comme beaucoup de Juifs ashkénazes, j’ai été élevé dans la méfiance, pour ne pas dire pire, des Polonais et des Ukrainiens. « Pires que les Allemands ! », disaient mes parents, comme tous les rescapés, qui, pour la plupart, ont toujours refusé de remettre les pieds en Ukraine et en Pologne. J’ai toujours voulu leur être fidèle, mais l’héritier d’une victime manque à la fidélité lorsqu’il se prend lui-même pour une victime.

Qu’il s’agisse de la Pologne de Solidarnosc ou de la Croatie assiégée, j’ai même mis un point d’honneur à transgresser l’interdit parental. J’ai protesté contre l’invasion et la destruction de Vukovar (ville défendue par les Croates et assiégée par les Serbes pendant 87 jours en 1991 pendant la guerre de Croatie, NDLR) quand la Serbie de Milosevic présentait cette ville - avec un certain succès, hélas - comme un bastion oustachi, c’est-à-dire hitlérien. Poutine a voulu rééditer la même opération avec Kiev et Marioupol.

Mais il a échoué. La ficelle était trop grosse. À l’idée d’un procès de Nuremberg contre les dirigeants ukrainiens dans Kiev dévastée par l’armée russe, la décence commune a réagi par le dégoût. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’antinazisme ment, et c’est toujours au nom du « plus jamais ça » que quelque chose comme « ça » se prépare. »

Alain Finkielkraut : « Cette guerre nous rappelle que les nations doivent être défendues » / V.Trémolet de Villers et E.Bastié (Fig)

En commentaire je dirais que si c'était pour dire ça à propos de la guerre en Ukraine, il aurait mieux fait de se taire plutôt que d'utiliser ses contorsions et arguties sémantiques habituelles. Lui qui se targue de défendre la grande culture européenne élitiste, il fait directement le jeu de l'impérialisme sous-culturel américain décérébrant (via Mac Do, Coca, Disney etc.) en Europe via l'Otan notamment, et ne réfléchit pas une seconde à la possibilité qui nous était éventuellement offerte de faire une grande Europe économique et culturelle de l'Atlantique à Vladivostok dès la chute du mur, pour contrecarrer les plans américains d'expansionnisme sous-culturel et néolibéral. On aurait pu au moins essayer, comme l'avait esquissé de Gaulle, tout le monde se revendique de lui mais tout le monde l'a trahi, spécialement au sein de "sa propre famille politique"...

BHL qui est notre plus grand philosophe français encore en vie, suggère implicitement qu'il faudrait faire la guerre à Poutine jusqu'à le chasser du pouvoir comme l'a sous-entendu Biden - car sinon comme le chasser du pouvoir ? Je crains que la stratégie occidentale soit désormais de mettre la main sur les énormes richesses du sous-sol russe. Pour cela ils ont attiré Poutine dans le piège ukrainien afin d'accélérer sa chute, par de multiples provocations en amont au moins depuis 2014. Même type de piège que le piège afghan dans les années 80, qui avait amené l'effondrement de l'empire soviétique quelques années plus tard. L’Occident, il faudrait dire plutôt ici (comme presque partout ailleurs) les États-Unis, chercherait désormais à ce que s'installe en Russie d'ici quelques années, le même genre de situation d'anarchie et de chaos qu'au Moyen-Orient, afin d'y installer un État fantoche sous sa botte.

"Notre plus grand philosophe français" : il est bon de rire de temps en temps. Disons le philosophe le plus visible médiatiquement, et cela haut la main - avec également beaucoup de sang notamment libyen sur ces mains. Quand tous les autres sont quasiment systématiquement traités de polémistes par les médias, lui est toujours qualifié de philosophe avec une oreille très attentive et une forme de déférence craintive - car il pèse très lourd financièrement et donc en termes d'influence.

Autres éléments de langage occidentaux, outre ceux qui distinguent entre polémistes et philosophes, nos milliardaires sont appelés libres entrepreneurs, les leurs péjorativement traités d'oligarques à la solde de Poutine ; nos informations qualifiées de libres, objectives et pluralistes, les leurs traitées de propagande forcément biaisée. Enfin les opposants dans nos régimes occidentaux qui reposent sur la domination exclusive et sans réciprocité des États-Unis et des élites financières qui font l'opinion au sein des "démocraties" (qui pour cette raison ne le seraient pas, démocratiques, selon Rousseau), sont traités de complotistes...

Doux rêveur ce Victor Hugo, lui qui projetait devant l’Assemblée nationale en 1849 de détruire la misère. Non seulement la misère n'a pas été détruite, mais elle a explosé dans le monde avec l'explosion démographique hors de contrôle ; jamais il n'y a eu autant de souffrance dans le monde qui est directement proportionnelle au nombre d'habitants. En Occident même, les inégalités sociales explosent, la classe moyenne est en voie d'anéantissement, les riches s'enrichissent comme jamais et leurs profits sont exponentiels. La crise qui se profile en Europe liée à la guerre en Ukraine va faire le jeu des milliardaires et des profiteurs de guerre. De plus la misère est raciste mais pas antisémite bien au contraire, car aux États-Unis elle est directement corrélée à l'origine ethnique, ce que mettent en évidence les statistiques ethniques qui y sont autorisées contrairement en France.

Mais seule note d'espoir, Hugo a raison de distinguer entre misère et souffrance, car in fine, l'argent ne fait pas le bonheur, pas toujours... C'est très rare mais on peut être riche et trop malade pour pouvoir en profiter. On peut parier que la guerre en Ukraine va considérablement enrichir les États-Unis, appauvrir l'Europe, et sans doute ruiner la Russie de façon irrémédiable. C'est tout bénef pour les Américains par Européens interposés ! Je le répète, je pense que les Russes ont été attiré dans un piège en Ukraine ourdi de longue date par les Américains qui jouent toujours à un jeu de billard à plusieurs bandes et ont souvent un temps d'avance sur leurs ennemis qu'ils acculent au désespoir, et que le projet global des États-Unis est de démanteler la Russie pour avoir accès à ses énormes ressources naturelles.

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