vendredi 10 août 2018

Marx était-il réellement socialiste ?



En réponse à une critique de Marx que me faisait un interlocuteur sur un forum politique : « le marxisme a un impensé : le fait religieux, spectre qui hante le communisme et rend tout marxiste incapable de considérer la religion autrement que comme un épiphénomène (une fois la société transformée, l'opium disparaît, devenu inutile). Que d'erreurs. »

À quoi répondait un marxiste contemporain : « Ce n'est pas la religion supprimée qui supprime le besoin illusoire d'un monde plus réel que l'existence, c'est la réforme de la conscience qui supprime le besoin d'opium. »

Et pour justifier son propos il se lançait dans une vaste citation de Marx lui-même : « L'avantage de la nouvelle tendance, c'est justement que nous ne voulons pas anticiper le monde dogmatiquement, mais découvrir le monde nouveau, en commençant par la critique du monde ancien. Jusqu'ici les philosophes détenaient la solution de toutes les énigmes dans leur pupitre, et ce monde bêtement exotérique n'avait qu'à ouvrir le bec pour que les alouettes de la science absolue lui tombent toutes rôties dans la bouche. La philosophie s'est sécularisée, et la preuve la plus frappante en est que la conscience philosophique elle-même se trouve entraînée dans le tourment du combat de manière non seulement extérieure [dans la pratique], mais aussi intérieure [dans la théorie]. Si la construction de l'avenir et l'achèvement pour tous les temps n'est pas notre affaire, ce qu'il nous faut accomplir dans le présent n'en est que plus certain, je veux dire la critique impitoyable de tout l'ordre établi, impitoyable en ce sens que la critique ne craint ni ses propres conséquences ni le conflit avec les puissances existantes. [...]. Voilà pourquoi je ne tiens nullement à ce que nous arborions un drapeau dogmatique, bien au contraire. Notre tâche, c'est d'aider les dogmatiques à bien comprendre leurs propres thèses. [...]. C'est pourquoi, en partant de ce conflit de l'État politique avec lui-même [qui se manifeste par des troubles sociaux], on peut dégager partout la vérité sociale. De même que la religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité, de même l'État politique est le sommaire de ses luttes pratiques. L'État politique exprime donc dans sa propre forme, sub specie rei publicae, comme République [la chose publique, l'intérêt général], toutes les luttes, tous les besoins, toutes les vérités de la société. [...]. Par conséquent, rien ne nous empêche de relier notre critique à la critique de la politique, à la prise de parti en la politique, donc à des luttes réelles [plutôt qu'à des luttes dogmatiques], et de nous identifier à ces luttes. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires armés d'un nouveau principe : voici la vérité, agenouille-toi ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde. Nous ne lui disons pas : « renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c'est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat ». Tout ce que nous faisons, c'est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu'il doit faire sienne, même contre son gré. La réforme de la conscience consiste uniquement à rendre le monde conscient de lui-même, à le réveiller du sommeil où il rêve de lui-même, à lui expliquer ses propres actions. [...]. Notre devise sera donc : réforme de la conscience, non par des dogmes, mais par l'analyse de la conscience mystique, obscure à elle-même, qu'elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. On verra alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d'une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement. On s'apercevra qu'il ne s'agit pas de tirer un grand trait suspensif entre le passé et l'avenir, mais d'accomplir les idées du passé. On verra enfin que l'humanité ne commence pas une œuvre nouvelle, mais qu'elle réalise son œuvre ancienne avec conscience. » - Lettre à Arnold Ruge, sept. 1843 »



Bon, bilan des courses, Marx était sans doute un mégalomane qui avait « les yeux plus gros que le ventre », il s'est proposé de transformer le monde plutôt que de l’interpréter, ou autrement dit il n'a fait preuve d'aucune finesse. Dans ses doigts trop grossiers, dans son très fort appétit de tout posséder, dans son désir de maîtrise et d'Absolu d'inspiration hégélienne, en réalité il a enfermé tous ceux à qui il a servi de modèle monolithique, dans les geôles de sa vision du monde qui était aussi une interprétation, même si il s'en défend puisqu'il pensait détenir la vérité ultime.
En gros il s'est pris pour Dieu, ou tout du moins un messie, pour un créateur de religion, celle du matérialisme historique, une doctrine messianique. Ce que je ne lui reproche pas totalement, car il y a un tel vide de transcendance dans notre société qu'il est probable que bientôt on n'enterrera même plus les morts, car quand le monde aura basculé dans le nihilisme, on aura oublié la signification de ce rituel devenu soudain vide de sens... et on n'aura plus le temps dans un souci d'efficacité, et on trouvera ça trop cher dans un souci de rentabilité.
Le monde désormais est effectivement vide de ce qui faisait le propre de l'homme, sa part maudite au sein du règne animal, ce qui est toujours en excès de ce qu'un animal est censé être : la capacité de l'homme à faire preuve de transcendance, et donc sa condition de créateur de religions en voie d'oubli. Ce que précisément n'avait pas oublié Marx, et sur ce point on peut le louer pour son ambition, proprement humaine finalement, et Nietzsche aurait ajouté aussitôt humaine trop humaine !

Cependant pour modérer mon propos sur l'estime que je peux avoir pour Marx, il est tout aussi évident que la religion du bonheur des peuples que Marx s'est efforcé de créer, n'était pas une belle religion, même si c'était celle qu'il croyait devoir nécessairement découler des rapports de productions entre les classes sociales bourgeoises et prolétariennes. On l'a vu dans ce que les communistes ont fait des pays où ils ont exercé le pouvoir, en mettant toute l'énergie disponible au service du développement des moyens de production.
Ils ont soigneusement « oublié » en outre, de redistribuer les richesses au peuple et ont favorisé la création d'une nomenklatura de privilégiés. Ils ont été tout aussi dissimulateurs, fourbes et vénaux que ceux qu'ils condamnaient : les bourgeois.
La fourberie, la dissimulation, encore un comportement typique de ceux qui se targuent de vertu, c'est-à-dire tous les tartufes que furent globalement les communistes, et que continuent d'être aujourd'hui les bourgeois dans un pays comme la France, depuis un peu plus de 200 ans. Tout cela nous ferait presque regretter l'aristocratie, qui avait des valeurs, les exhibait, et ne se dissimulait pas derrière le mensonge permanent.
D'autre part, encore plus qu'en régime capitaliste de l'époque, les communistes ont saccagé les écosystèmes, pollués immodérément, fait disparaître des mers ancestrales, des forêts entières etc. Pour mettre toute l'énergie des ressources naturelles ainsi immodérément exploitées, toujours au service du développement des moyens de production, afin de soi-disant rattraper leur retard économique sur les pays occidentaux. Mais cela justifiait-il de sacrifier le peuple et le monde sensible ? Non je ne le pense pas, et c'est pourtant ce qu'ils ont fait !

On peut toujours gloser sur le fait de savoir si les communistes avaient mal interprété Marx ou non ? Je ne le pense pas qu'ils l'aient si mal interprété au fond. Marx avait vocation malheureusement à susciter une forme de religion matérialiste historiquement ultra monothéiste et monolithique, avec culte de la personnalité, sans remise en question possible de la vision du monde du gourou qu'il constituait aux yeux de ses lecteurs et disciples souvent fanatisés.
Au passage, aujourd'hui le monde crève de ce même dogmatisme mais dans l'autre camp, à travers l'idéologie néolibérale ultra-monolithique, qui a pris son plein essor sous l'impulsion de Thatcher et Reagan au tournant des années 80, et qui profite aujourd'hui de la chute du communisme pour montrer son vrai visage dogmatique voué à susciter des vocations de fanatiques. Le culte de la personnalité profite aujourd'hui plutôt au multi-milliardaires, essentiellement des GAFA et de la Silicon Valley, qui sont aux yeux de beaucoup de nos contemporains, les masses fanatisées à la propagande publicitaire et politico-médiatique, comme les héros de la modernité

Je sais qu'il ne faut pas dire ce genre de chose sous peine de désespérer les classes populaires, comme le pensait Sartre, « il ne faut pas désespérer Billancourt ! » ; mais de toute façon en France en tout cas -  je ne sais pas en Belgique - le communisme et même l'œuvre de Marx, je persiste à le dire parce que je l'ai observé lors de mes études de philo, sont complètement discrédités et taxés du mal ultime d'antisémitisme. Évidemment ils sont discrédités au sein des élites, qui au passage ne se rendent pas compte qu'elles adhèrent à une nouvelle forme de dogmatisme néolibéral tout aussi destructeur des équilibres anthropologiques et environnementaux que le communisme ; mais également au sein des couches populaires qui n'ont plus aucun espoir en rien, et votent massivement pour Mélenchon ou Marine Le Pen, en désespoir de cause et sans réelle adhésion à une idéologie ou même un vague programme, ce que tous les observateurs caractérisent à raison comme étant l'expression d'un vote de rejet.

Si espoir il devait y avoir il faudrait s'aider de l'œuvre de Marx, mais sans la considérer comme le chef d'œuvre indépassable et absolu de celui qui a tout compris. Autrement dit il y a d'autres auteurs socialistes que Marx, dont il conviendrait de s'inspirer tout autant que de lui. Un parmi les autres, mais pas un plus que les autres, sans contester le fait que Marx constitua sans doute le plus brillant d'entre eux. Sinon cela ne s'appelle plus du socialisme mais du dogmatisme (ce que furent les communistes : des dogmatiques de leur idéologie). Talent de Marx gâché donc malheureusement par sa mégalomanie d'inspiration hégélienne.
Hegel pensait lui aussi que sa philosophie constituait le chef d'œuvre ultime, l'aboutissement de toute la philosophie occidentale.

Ce sont de tels comportement de surestime de soi qui sont en totale contradiction avec un idéal d'inspiration populaire de décence commune (Common decency, George Orwell), que devrait bannir tout socialiste digne de ce nom.



9 commentaires:

  1. Votre détestation de K. Marx, Erwan Blesbois, je n'écris pas l'oeuvre de K. Marx puisque celle-ci vous est totalement étrangère, est nettement perceptible dans votre roman. "dans son très fort appétit de tout posséder." Vous parlez de K. Marx comme s'il avait été un dangereux capitaliste, ce qui montre d'emblée que vous n'avez pas lu K. Marx ou, si vous l'avez lu, que vous ne ne comprenez pas le matérialisme historique.

    "la « religion du bonheur des peuples » que Marx s'est efforcé de créer." Vous voulez rire, j'espère ? Et quand vous faites la jonction entre le bolchévisme et l'oeuvre de K. Marx c'est évidemment pour éructer sur sa mémoire. Éructer sur la mémoire d'un homme qui ne peut plus se défendre est la seule chose qui vous soit accessible en termes d'usage de la raison, parce que si votre raison ne vous sert qu'à éructer aussi sur la théologie rationnelle de Hegel, je vous le dis d'emblée, j'ai mieux affaire qu'à lire vos humeurs sur l'état du monde ou votre notion de décence commune.

    La raison ne sert pas à éructer sa bile sur la mémoire des disparus.

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    1. Steve Van Laer Alors pourquoi personne n'a-t-il correctement compris l'oeuvre de K. Marx ? Il devait bien y avoir une seule personne intelligente au sein des millions de « fidèles » qu'il a converti, débouchant sur des massacres et des génocides sans nom ? Oui c'est facile de cracher sa bile sur des morts, surtout si ils sont responsables plus ou moins directement de dizaines de millions de victimes. Hegel est le pire fléau de la philosophie occidentale, devant Descartes, Marx de je ne sais pas trop quoi, puisque lui-même refuse le qualificatif de philosophe, disons sociologue. Eh bien à eux deux ils sont responsables des deux pires barbaries du XXème siècle, le nazisme et le communisme. Bilan de ces deux barbaries, qui ont pour origines deux mégalomanes talentueux certes, de la pensée : plus de 100 millions de morts. Schopenhauer qui avait une certaine intuition et qui était un contemporain de Hegel, le voyait de son point de vue, tout simplement comme un « escroc » fumeux et incompréhensible. Alors je veux bien être l'imbécile que vous faites de moi, mais je ne pense pas que Schopenhauer l'était.

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    2. Ceci dit sur le fond vous avez raison, Hegel et Marx sont des génies, ils ont mal été interprétés par le commun des mortels qui est malheureusement bien incapable d'accéder à leur génie. C'est aussi la limite en même temps que ce qui fait la force de leurs théories géniales, divinement géniales et qui avaient tendance à vouloir se substituer au divin (surtout dans le cas de Marx), pour les foules endoctrinées.

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    3. Je vous ai déjà fait savoir que je n'ai pas le temps de jouer avec vous, trouvez-vous un autre copain de jeu pour agrémenter vos journées. Je ne suis pas là pour vous donner l'importance que vous ne méritez pas en répondant à vos masturbations mentales.

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    4. Oh la la, il se prend un peu trop au sérieux le petit mec progressiste qui croit à la réforme des consciences ! À moins d'envisager une réforme de la conscience pour que chacun accède au génie !

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  2. Erwan, j'en ai plein ma claque de ton Marx.
    Au final, je n'ai pas lu ton billet

    Si tu pouvais parler par toi même ce serait sympa.

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    1. Euh, tu aurais dû le lire, puisqu'au final je n'aime pas Marx que je considère comme un dangereux mégalomane, et je ne récite rien du tout en réalité, mes lectures nourrissent une réflexion mais ne se substituent aucunement à la réflexion.
      Marx a effectivement suscité le communisme, qui à son tour
      a discrédité tout idéal de socialisme, laissant un boulevard au néo-libéralisme contemporain sans freins et décomplexé, depuis l'essor donné par Thatcher et Reagan de façon dogmatique.
      C'est-à-dire, et c'est ce qui est désolant, que plus personne n'interroge l'idéologie libérale, mais soit la rejette, soit y adhère, de façon tout aussi dogmatique. Tout comme les gens ont adhéré ou rejeté le communisme, de façon tout aussi épidermique, sans réflexion en somme !

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    2. "Tout comme les gens ont adhéré ou rejeté le communisme, de façon tout aussi épidermique, sans réflexion en somme !"
      Ben dis donc !
      Question communisme, on a donné non ?
      En bref, qu'as tu contre l'idéologie libérale ?

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    3. Ma famille a bien vécu dans un petit village breton, unie et tout est tout sans doute pendant des siècles, mais pfuii, avec la logique néo-libérale en à peine une génération, celle des baby boomers, tout le monde s'en est parti dans son coin pour « réussir » et faire du profit. On a tout perdu, la langue bretonne, les liens filiaux, la famille s'est atomisée, on appelle ça le progrès, pfff... Quelle foutaise !!!

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