jeudi 17 mars 2016

Petites pérégrinations en pays breton

J'ai eu récemment des problème au travail, j'ai d'abord été convoqué par la directrice pour un conflit avec une collègue devant les élèves, ensuite j'ai qualifié un collègue de "psychorigide" en pleine réunion de professeurs, il y a eu des "oh" et des "ah" d'indignation, enfin j'ai dit à toute l'équipe de lire René Girard, son livre Le bouc émissaire. Le collègue que j'ai qualifié de "psychorigide" a quitté la salle de prof, en colère, sous entendant que si il restait une minute de plus, il allait s'énerver. Voilà où en est l'éducation nationale aujourd'hui mon pauvre Emmanuel, mais cela fait un peu de bien, je m'exprime, d'une drôle de façon, j'en ai conscience.
La suite de cet épisode calamiteux, est que j'ai fait un petit théâtre hystérique, en disant que c'était moi le bouc émissaire de l'équipe, que c'était un besoin dans toute société humaine de rechercher un bouc émissaire, surtout dans des moments de tension très fortes, comme c'est le cas dans l'établissement où je travaille, je me suis posé en victime de la fameuse rivalité mimétique chère à René Girard. Enfin un collègue est venu me voir pour essayer d'apaiser les choses, me disant qu'autrefois les grands conflits permettaient une régulation, les éléments dégénérés de la société étant envoyés à la guerre. Je ne pouvais m'empêcher de me dire que sa pensée avait quelque chose d'un peu nauséabond. Ceci dit j'aime bien ce collègue, il est "réglo".
Je ne suis pas particulièrement fier de cet épisode, je n'en tire aucune gloire, j'en ai même un peu honte. Mais c'est un passage obligé pour ma "renaissance". Je me choisis des ennemis comme dit Nietzsche, et j'utilise comme en aïkido, la force de l'adversaire contre lui-même, et en même temps je m'approprie sa propre force pour sortir de ma dépression récurrente.
Ma stratégie est d'utiliser la force de l'adversaire, ou plutôt son agressivité et sa volonté de nuire. Ma technique vise non pas à vaincre l'adversaire, mais à réduire sa tentative d'agression à néant. Mon état d'esprit peut être considéré comme la concrétisation du concept de légitime défense : une réaction proportionnée et immédiate à une agression, or mes collègues m'avaient peut-être pris pour un faible, ou un type bizarre sur qui on peut "cogner" en toute impunité, je voulais leur prouver le contraire. Mon collègue que j'ai qualifié de "psychorigide" avait commencé les hostilités, et était en même temps dans son bon droit d'un point de vue strictement légal, me faisant un reproche institutionnalisé devant l'équipe pour une peccadille, or je lui avait avoué ma difficulté à gérer un groupe classe très difficile, et qu'il aurait mieux fait de me donner des conseils plutôt que de m'enfoncer : or il n'avait rien voulu entendre et avait continuer de m'enfoncer, c'est alors que j'avais réagi. En fait, dans mon esprit, il n'y a pas de combat, puisque celui-ci se termine au moment même où il commence.
Environ une à deux semaines plus tôt, j'avais envoyé un mail à mes collègues :
"Chers collègues,
On a le droit de faire des erreurs, de se tromper, cela ne dénote pas forcément un manque de professionnalisme mais une difficulté à gérer des jeunes en manque de repères et qui n'hésitent pas à nous rentrer dedans. Alors si au lieu de se serrer les coudes on se fait insulter, mépriser par les collègues, cela ne facilite pas la tâche. Je sais que l'individualisme, le narcissisme, le libéralisme, la logique prédatrice du chacun pour soi sont dans l'air du temps, mais là par écrit, ça dépasse un peu les bornes. Personne n'est "chez soi" dans l'institution, même pas la directrice, ni a fortiori encore moins "x" ou "y", on travaille pour l'Etat, et l'Etat est le fruit de la souveraineté populaire, non le fruit du caprice de quelques uns, qui parce qu'ils ont un certain charisme ou une "grande gueule", se permettent de mépriser, et de remettre en cause le professionnalisme des collègues. C'est ce comportement, n'en déplaise à "x" notamment qui nous conseille "gentiment" de nous casser en "participant au mouvement", ou d'observer passivement sans responsabilités, qui dénote un manque de professionnalisme, et plus grave un manque de tolérance et d'humanité."
Que veux-tu que je te dise Emmanuel, nous vivons le règne de la génération narcissique à tous les échelons du plus bas au plus haut, le mot fidélité ne veut plus rien dire, tu fais déjà partie du monde du passé, et tu risques malheureusement d'aller de désillusions en désillusions car la situation n'est pas prête de s'arranger ; nous vivons la logique prédatrice du chacun pour soi poussée par la mentalité collective des enfants des baby-boomers, bien plus intolérants et bien moins enthousiastes que leurs aînés, tristes et méchants contrairement aux boomers qui au moins étaient enthousiastes, optimistes et gais et étaient bien plus heureux que leurs enfants flicards et divisés. D'ailleurs ce qui est rigolo c'est que le dernier Star Wars qui est un mauvais film, a au moins le mérite de montrer ce drôle de phénomène, les enfants des boomers sont plus ridicules que méchants à l'instar de Kylo Ren, emblématique de cette génération.
Je crois que mes collègue ont décidé de faire front contre moi, ce sont les femmes les plus virulentes. Au nom de la sacro-sainte cohésion de groupe et du fait qu'il ne faut pas heurter les "âmes sensibles" (nourries de jeux vidéos ultra violents et de musique rap au langage fleuri) que constituent nos élèves Tous mes collègues ont connaissance de mon blog et le lisent régulièrement. Je suis allé chez un collègue pour qu'il m'explique : ils me trouvent "bizarre" et me considèrent comme le "loup blanc", ils ne "comprennent" pas (comment comprendre que la société est perverse, quand on n'a pas eu un père pervers ?) ce que j'écris mais le lisent quand même. Enfin ils ont parlé de mon blog à la directrice, et auraient peut-être envoyé une lettre à notre supérieur hiérarchique, à l'inspecteur ou au recteur, demandant à ce que je sois sanctionné pour faute professionnelle. Dois je tirer fierté de tout cela ou en pleurer ?
Les jours qui suivirent furent  paradoxalement les journées les plus agréables depuis ma rentrée dans l'établissement, les gens étaient affables, souriants, comme si soudain il me trouvait un quelconque intérêt. Pour ce qui est des courriers à l'inspection, des démarches faites par certains collègues à mon encontre, la ligne que va suivre la directrice, cela demeure une inconnue.
Je crois sincèrement que mon coup de gueule y était pour quelque chose, et c'est aussi que ce coup de gueule a eu un point positif, il m'a sorti d'une prison psychique de méfiance à l'égard de tout le monde, là j'ai eu l'impression de maîtriser un peu plus mon destin, en imposant mon caractère, "impénétrable" au commun des mortels, j'en ai conscience. Je leur ai signifié : "De toute façon quoique vous fassiez je n'ai pas peur de vous". Alors que j'avais un peu peur d'eux, mais c'est aussi un groupe très soudé qui rejette assez violemment ceux qu'ils considèrent être comme "les autres", comme dans tout groupe avec ses mâles et ses femelles dominants.
Je ne ferais de toute façon plus jamais passer le groupe, et l'adaptation nécessaire à ce groupe avant la revendication de ma propre singularité. Or le groupe dans le cadre du travail a toujours été très dépersonnalisant pour moi. Et toute société humaine a de toute façon vocation à être dépersonnalisante. Le fameux troupeau des "moutons" plein de ressentiment, dont parle Nietzsche et qui empêche les "forts" (dont je ne suis pas) ou les "différents" (dont je suis plus) de s'épanouir.
L'adaptation est nécessaire, mais elle sera pour moi une ruse afin de ne pas être anéanti par le harcèlement professionnel et le toujours possible burn out.
Oui, il faut se protéger de ce qui nous fragilise, mais les autres ne sont pas nécessairement nos ennemis non plus.
Mais les vrais amis se comptent sur les doigts d'une main, les autres sont des compagnons de circonstance, avec qui il faut composer, dans une sorte de paix armé, "la paix, prépare la guerre". Bien sûr qu'il y a du positif à prendre, pour moi l'observation de la société humaine est quelque chose de très intéressant. Et cela suffit à ma joie.
Et ce que les gens me renvoient est source d'enrichissement, même quand ce qu'ils me renvoient est éventuellement négatif. Mais alors il faut tout un travail pour imposer sa personnalité et son caractère.
Oui il faut prendre le positif et en même temps rester très prudent. Le principal danger qui me pend au nez serait de favoriser une éventuelle levée de bouclier de l'ensemble des collègues... ce qui conduirait possiblement à un isolement professionnel... terrain idéal qui permettrait à un esprit pervers (il y en a toujours) de monter sur la durée un processus de harcèlement professionnel.
Tu vois tout cela je n'ai normalement plus le droit de l'écrire sur mon blog, car je suis "surveillé". J'avais pour stratégie de devoir employer un langage détourné, déguisé, pour parler en fait de ma vie professionnelle, et de devoir faire semblant de parler du général, pour en fait parler du particulier. Mais au fond à quoi bon ! Après tout je ne cite aucun nom de mes collègues, ni le nom de l'établissement où je travaille, si ce n'est qu'il se trouve en Bretagne, la terre de mes ancêtres.

Malheureusement la perversion généralisée qui agit sur la société entière agit aussi sur chaque individu en particulier, on assiste à une contagion de la perversité avec la chute des religions et des idéologies messianiques comme le communisme, qui pouvaient cimenter et fédérer le corps social dans la recherche du bonheur et du progrès.

1 commentaire:

  1. Attention, ton collègue est peut-être psychorigide, mais là tu l'attaques sur sa personnalité.
    Or s'il est prof comme toi c'est qu'il avait une personnalité suffisamment "saine" pour être prof.
    Dans ton article tu ne parles pas du tout des différents qui t'opposaient à cette personne qui s'en était prise à toi.
    Dans ces cas-là plutôt que d'attaquer la personne dans ce qu'elle est "spychorigide" selon toi, n'ayant pas lu René Girard (moi non plus d'ailleurs), sa personnalité est attaquée dans sa globalité.
    A mon sens il serait plus pertinent de discuter sur des points très concrets car cela dédramatise et remet les choses dans leur contexte d'une différence d'appréciation sur la pédagogie, ta façon d'enseigner aux élèves, etc ...
    Ce n'est que mon avis, mais rester toujours dans les faits, être factuel et ne pas attaquer la globalité de la personne dont on ne sait pas comment elle est dans la vie et cela ne nous regarde pas.
    Quant au groupe c'est normal que les prof se soudent entre-eux, dans un milieu qui n'est pas simple et ça serait dommage de rester trop à l'écart. Tu peux un jour avoir besoin d'eux, on ne sait jamais.
    Quant au fait que tes collègues lisent ton Blog, cela les regarde, ils font ce qu'ils veulent et tu n'as pas à t'en préoccuper.
    Bon courage.
    Marc.

    RépondreSupprimer