vendredi 30 décembre 2016

L'amnésie contemporaine


Est-ce que tu ne serais pas de ces gens qui disent constamment « il faut positiver » ?
Bon tu es optimiste, c'est dans ta « nature » dis-tu, donc tu n'as pas à te forcer puisque tu ne la contraries pas. Mais es-tu du côté des progressistes qui ne jurent que par l'innovation et qui estiment qu'au fond les migrants et les réfugiés valent peut-être mieux que les autochtones, car ils représentent la nouveauté et la richesse du bilinguisme notamment ?
Les progressistes de cette trempe ne veulent pas voir tout l'aspect destructeur qu'engendre fatalement l'innovation, du titre d'un livre de Luc Ferry intitulé L'innovation destructrice, en référence à une notion au fondement de l'idéologie du capitalisme, que Schumpeter a appelé « la destruction créatrice ».
Où tu situes-tu dans cette appréciation du progrès ? Du côté des dogmatiques, qui n'éprouvent en réalité aucune émotion pour le sort des migrants ou des réfugiés, et n'y voient que le mouvement du progrès qu'il faut accompagner ? Ou bien es-tu plus nuancé, et éprouves-tu encore des émotions pour tes vieux compatriotes de longue date ? Ou bien encore, éprouves-tu des émotions pour tout le genre humain indépendamment de ses origines et indépendamment du mouvement du progrès ? Mais alors tes émotions pourraient apparaître comme suspectes aux yeux d'un authentique progressiste qui te reprocherait de faire preuve de sentimentalisme, et peut-être même de mauvaise foi.
Quant à ta nature optimiste c'est une bénédiction par les temps qui courent, et tu as raison d'accepter ce rôle que t'a confié la providence de tracer une voie d'espérance pour ton prochain, en dépit d'un contexte qui peut sembler aux yeux des pessimistes, défavorable. Si l'on compare objectivement la situation actuelle à d'autres époques, notre époque n'est peut-être pas effectivement la pire ni la meilleure ; ou alors cela a toujours été à peu près pareil, ni meilleur ni pire, puisqu'en dépit de l'évolution de la technologie, la nature humaine, elle, ne change pas.
En politique tu as fait le choix cohérent avec ta nature d'accompagner les partis qui veulent faire évoluer les choses au moyen de réformes, sans essayer de changer la nature humaine comme l'ambitionne a contrario tout projet révolutionnaire. Ainsi donc te positionnes-tu du côté de la non violence, et sur ce point je suis en accord avec toi, tu as fais le bon choix. La nature humaine n'est effectivement pas modifiable. L'Homme moyen d'aujourd'hui est comparable concernant ses émotions à un Homme de Cro Magnon. Par contre elle est éducable, et l'Homme de Cro Magnon ne disposait pas des moyens d'éducation dont nous disposons.
Cependant les choix de la modernité sont de mauvais choix pour la nature humaine, à l'échelle de l'évolution d'un Homme tout au long d'une vie. A l'échelle d'une vie, un Homme est perfectible, mais le fruit de ses progrès ne se transmet pas de manière héréditaire, car ce fruit n'est jamais inné mais toujours acquis.
Les choix de la modernité qui encouragent l'innovation et son corollaire la destruction, développent les plus mauvais instincts de l'être humain et se font au détriment de la mémoire, de l'identité et de la culture. Mais surtout le plus grave, au détriment de la transmission aux génération futures. Or tout progrès de la nature humaine se fait tout au long d'une vie et ne se transmet pas de façon héréditaire, mais au moyen de l'éducation et de la culture. C'est bien cela le plus gros point faible de notre civilisation, qui en fait un colosse aux pieds d'argile. Car désormais elle néglige l'éducation, la mémoire et la culture, au profit d'un esprit d'innovation qui fait constamment table rase du passé. Au point que la mémoire de nos contemporains se rétrécit de façon dramatique et ne couvre même plus l'espace d'une vie, mais des fragments de vie qui s'articulent entre eux de façon de plus en plus incohérente.
Car l'innovation destructrice ne détruit pas seulement des objets comme tu le déplores, mais elle détruit ce qui est bien plus grave et problématique, la mémoire à l'échelle d'un Homme, et tout l'héritage qu'il serait susceptible de recevoir venant d'un patrimoine commun, propre à l'humanité entière.




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